Chers amis, nous voici donc tous réunis dans une même tristesse pour mettre un terme définitif à la vie d’un objet qui nous était si cher, à Denise et à moi même, si cher que nous avons décidé le principe de cette petite cérémonie funèbre et nous vous remercions du fond du coeur d’avoir bien voulu l’honorer de votre chaleureuse présence.
Objets inanimés… disait Lamartine, à moins que ce ne fut Chateaubriand ou François Maurel. Oui, chers amis la disparition d’un objet, tout objet fût-il, peut être une très grande peine. Son ronronnement saccadé et si familier sur le coup des 6 heures du matin me manquera douloureusement, et c’est avec tant de douceur que j’ai si souvent été sorti d’une profonde sieste par le discret tchac-tchac de l’aiguille ! Je revois les essais si amoureusement précis : il faudra reprendre un centimètre ici, étends bien ton bras, ne bouge plus, enfin tous ces petits réglages qui vous meublent un samedi après midi de tournoi des 6 nations. Le vide que je pressens va être si béant que je ne suis pas certain de pouvoir le combler.
Seuls restent maintenant quelques vestes ou pantalons si solides, si merveilleusement inusables que je ne vois le jour d’en choisir de nouveaux.
Chère Denise je me tourne vers toi, et lisant dans tes pensées je sais bien qu’aucune autre machine ne sera digne de remplacer celle-ci, que désormais c’est autrement que devra s’organiser notre vie. Vous devez comprendre chers amis qu’après une si longue et si tendre complicité aucune solution de remplacement ne pourrait être acceptable. Cela nous demandera force et renoncement mais à rien ne servirait en effet de vouloir singer, si vous me permettez ce modeste calembour, de vouloir singer donc ce bonheur naturel qui fut si central dans notre vie. Hélas plus de surjets, plus de zigzags, plus de points boutonnières, il nous faudra désormais apprendre à nous en passer. Soyons courageux et avec nos proches compatissants dont je mesure l’affectueuse solidarité, allons déposer ensemble, chère Denise, cette machine symbole d’une vie si douce mais hélas révolue, dans la remorque qui l’emmènera vers sa destination finale, la déchetterie
Quelle bonne idée “d’exhumer” (pardon du vilain jeu de mots) des textes anciens ! Notre site est plein de diamants bruts qu’il suffirait de polir…
“Écrire l’éloge funèbre et grinçant d’un objet dont on feint de regretter la disparition” est une consigne d’écriture pleine de possibilités.
Tu as choisi en 2019 la machine à coudre. Ce choix me touche pour deux raisons. La première est qu’elle représente pour les jeunes générations un instrument désuet. On ne répare pas, on jette. Seules quelques fanas coupent, taillent et cousent des pièces de tissu pour s’en faire une robe, une jupe, un corsage, etc. Je ne connais pas d’hommes se réalisant un costume…
Cette situation va peut-être évoluer sous l’amicale pression du camarade Poutine et les obligations d’une transition énergétique indispensable.
La deuxième raison, plus personnelle : ma mère était couturière. J’ai vécu mon enfance dans le bruit d’une machine à coudre Singer. Non pas ces modèles électriques qui ont succédé à ces merveilles technologiques dont les pieds de la couturière, dans un va-et-vient harmonieux et régulier, mettaient en mouvement les rouages de la machine. J’ai gardé longtemps cette “Singer” qui me rappelait les morceaux de tissus épars sur le sol, les “Tubinos” de différentes couleurs, les mains expertes de ma mère qui transformait un morceau de tissu sans vie en un magnifique corsage. Par manque de place ma “Singer” a terminé un jour dans les mains d’un brocanteur. Puisse-elle encore servir d’élément de décoration !
Oui, une lecture agréable, empreinte d’une petite touche de nostalgie. Une excellente idée d’écrire ainsi l’épitaphe de ces objets qui nous furent aussi familiers…
On pourrait en effet évoquer aussi le garde-manger, le moulin à café bien serré entre les genoux, les comtoises, les Solex et bientôt l’automobile à moteur à explosion !
A propos de machine à coudre, j’oserai dévoyer l’expression et parler de “Deus ex machina”, pour cet engin aux rouages si parfaits et capable de tant de merveilles qui nous rappelle le temps d’avant le “prêt à porter” où les tailleurs et les couturières fleurissaient à chaque coin de rue.
Merci pour cette petite madeleine ! 🙂 collector qui ne mérite pas la déchetterie.
J’ai lu ce texte avec plaisir : bel hommage à l’objet élégant et précieux ; hommage aussi aux travailleurs et travailleuses du textile, à leur adresse , à leur précision, à leur ténacité.
Loki, le témoignage concernant ta maman couturière, m’a touchée .
Je n’ai pas de machine mais je travaille la laine et les tissus avec beaucoup de plaisir.
Merci à vous. Vous avez tous retenu le caractère nostalgique de ce texte, laissant de côté (par gentillesse ?) ce qui m’avait amusé en l’écrivant : L’aspect horriblement macho et faux-cul de celui qui feint de regretter “la mort” d’une machine à coudre qu’il jugeait trop invasive dans son petit confort. il est vrai que ces petites merveilles occupent une place à part dans nos souvenirs.
Loki moi j’ai encore la vieille “Singer” de ma grand-mère mais je n’ai pas encore eu le courage de la restaurer.