
J’ai fait un rêve étrange et pénétrant, le souvenir m’en est revenu en prenant mon petit déjeuner.
Ce faisant, je me suis demandé, si les rêves ont un sens particulier. D’aucuns pensent qu’ils
reflètent nos peurs, ou nos désirs les plus profonds, d’autres que c’est le fait de mots ou d’actes,
de notre journée restés dans notre inconscient. Ma grand-mère disait qu’en parler les efface. Par
cette affirmation, elle nous invitait à les raconter pour juguler nos frayeurs. Mais quand ils sont
beaux pourquoi ne devrait- t- on pas les partager, au risque de les oublier ?
Un rêve dit étrange peut être : lyrique, charmant, poétique, impressionnant, abracadabrant,
inquiétant. L’étrangeté, vient surtout du contexte, et de notre état émotionnel du moment.
Par exemple, cette nuit je me promenais au bord de l’eau. Tout le marécage s’étirait de brumes
basses, une angoisse aurait pu m’étreindre, faisant rejaillir en moi les douleurs du passé. Et
pourtant non. J’étais heureuse, ma journée avait été superbe, ensoleillée, entre amis. Le repas
était délicieux, et les vins tout autant. En fait je prolongeais par le rêve ces moments idylliques.
J’avançais sur un sentier, à la fraicheur du matin. La brume donnait à l’eau des reflets argentés,
tout était paisible, à telle enseigne que mon sang aussi s’était immobilisé. Les oiseaux
s’éveillaient, et leurs pépiements, tels des flûtes aux envolées musicales légères, venaient
interrompre le silence.
Soudain, apparurent devant moi, émergeant du marécage, à différentes hauteur, des objets en
osier Ils faisaient penser à des tubas, trois instruments de musique qui, en se reflétant dans l’eau
formaient une ronde de six. Des sons charmants en sortirent, puissants et mélodieux à la fois.
Je compris alors qu’une faune aquatique composée de poissons, grenouilles, et écrevisses,
cachée sous l’eau, s’était réunie. Soufflant de toutes leurs forces, ils nous livraient cet étonnant
concert.
Cela paraissait étrange et surprenant, mais n’étions-nous pas dans le jardin de Brocéliande, où
tout n’est qu’enchantement ?
Tout à coup le ciel s’assombrit, le vent sifflait dans les branches, des trombes d’eau s’abattaient
sur moi. Affolée, je me réfugiais dans une grotte. Mes vêtements dégoulinaient, mes cheveux
restaient collés à mon front. Je me rendis compte que j’avais perdu mes chaussures. J’étais pieds
nus. Mon environnement était hostile, sombre et glacé. Je sentais la peur me gagner.
Pour me rassurer, j’avançais un peu vers l’extérieur. Ça n’était guère mieux. Alors que les arbres
ployaient sous le poids du vent, les objets en rotin étaient toujours là. Curieusement très droits,
figés, ils narguaient les éléments déchaînés. C’étaient à présent des trompettes, qui jouaient le Requiem de Mozart.
Une ambiance de films d’horreur, et pourtant je n’en regardais jamais. D’un naturel
impressionnable, je faisais tout pour les éviter, il en était de même pour les scènes trop violentes.
Encore aujourd’hui je ferme les yeux, me bouche les oreilles et demande comme une enfant
« dis moi quand ce sera fini. » Mais dans mon rêve, personne à mes côtés pour me le dire.
Dans le fond, avais je passé une aussi bonne journée que ça ? Nous nous étions réunis entre
amis de longue date. Au fil du temps des couples s’étaient formés, séparés, recomposés.
Depuis que Pierre et moi avions décidé de divorcer, je n’avais pas trouvé l’âme sœur.
En fait, mon inconscient avait parlé : j’étais effroyablement seule.
Rolande.
Atelier du 12 avril. Conservatoire des Landes de Gascogne. Sanguinet.
Photo Sophie Prestigiacomo et Régis Poisson jardin de Brocéliande Bréal Monfort
1ère phrase du texte « j’ai fait un rêve étrange et pénétrant. »
Phrase ou strophe au choix du poème de Bernard Manciet à insérer dans le texte : « tout le
marécage s’étirait de brume basse…Mon sang aussi s’était immobilisé. »
J’aime beaucoup ta référence aux films d’horreur. Tu utilises le même mécanisme, en décrivant de prime abord un paysage idyllique. Mais à la réflexion (de l’image dans l’étang), nous voilà plongés dans un monde menaçant, nous passons de la musique légère du Carnaval des animaux et de son orchestre aquatique au sombre Requiem de Mozart ! Ton écriture est cinématographique avec de nombreuses images et leur accompagnement musical qui, comme chacun sait, est indispensable pour l’installation de l’atmosphère. Merci Rolande !