Avant d’écrire ce texte, munissez-vous d’un dé… Oui vous avez bien lu, un dé.
Pour un atelier sur les destinées, cela nous a semblé approprié.
Ah, me direz-vous, comment trouver un dé au fond de mes placards puisqu’en ces temps troublés il est difficile d’en acheter ?
Si vous êtes en panne de dés, voici un modèle à enregistrer sur votre ordinateur et à imprimer. Et après, un peu de colle et c’est joué !
https://www.fiche-maternelle.com/des-a-jouer-nombres.jpg (merci aux enseignants qui ont concocté ce site et mettent à disposition des outils pédagogiques).
Voici six situations, si, si.
Chacune est numérotée. Lancez donc votre dé, et en fonction du résultat emparez-vous de la situation associée au chiffre que le sort vous a attribué. Une situation correspond à un contexte, souvent inattendu : Prénom / métier / quand / pourquoi. Le hasard, encore une fois.
Écrivez en une page maximum ce qui est arrivé au personnage en vous mettant à sa place et en utilisant le « je ». Vous pouvez choisir le style que vous voulez : compte-rendu, poème, lettre, journal intime, etc.).
PS : vous avez le droit de jouer plusieurs fois.
Et les destinées sont…
1 | Pierre | un maçon | le matin à onze heures | parce qu’il avait les mains sur les hanches |
2 | Violette | une boulangère | en sortant de chez elle | parce que son mari avait des boutons |
3 | Ali | un naufragé solitaire | un jour de 2091 | parce qu’il faisait des cocottes en papier |
4 | Julie | une professeure de yoga | au bal du 14 juillet | parce qu’elle ne trouvait plus son chat |
5 | Charles | un charmeur de serpents | le soir, sous la Tour Eiffel | parce qu’il est pauvre |
6 | Bérangère | une harpiste | au pot de départ du pianiste | parce qu’elle avait des souliers vernis rouges |
Le sort en est jeté, « Alea jacta est » !
Bonjour bel inconnu !
Je vois que tu me regardes avec insistance. Dans le groupe joyeux où je me trouve, tu m’as distinguée entre toutes. Je ne crois pas qu’on se connaisse, si ? Tu es peut-être musicien comme moi ? Harpiste aussi ? Nous nous sommes peut-être croisés à une audition, c’est ça ?
Je vois que tu glisses quelques mots à l’oreille de ton copain. Puis, je sens ton regard qui s’attarde sur mes courbes. Maintenant, tu me dévisages tranquillement, un sourire aux lèvres. Une légère chaleur m’envahit, je manque de me tordre la cheville avec mes talons. Ce doit être le champagne qui me monte à la tête… Je m’enhardis et lève ma coupe dans ta direction. Viens trinquer avec nous ! Tu connais Pierre, le pianiste ?
Tu me regardes maintenant d’un air interrogateur. Oui, Pierre ! Celui en l’honneur duquel nous trinquons aujourd’hui… Tu sais qu’il part s’installer à Berlin ? Et moi au fait, je m’appelle Bérangère…
Mais ? Je vois une belle femme rousse qui s’approche de toi. Elle glisse son bras sous le tien avec un air de propriétaire. J’entends d’ici sa voix : « Qu’est-ce que tu as à fixer cette femme ? ». Tu poses ta main sur la sienne et tu lui réponds : « Regarde ses souliers vernis rouges ! Cette touche de couleur sur cette photo en noir et blanc, c’est vraiment une trouvaille esthétique ! »
Tout d’un coup mon champagne n’a plus de goût. Je me sens si plate et insignifiante…
Pour conforter Matelote dans son intuition que j’aime bien utiliser le mot “hanche”, et j’ose même ici le mettre au pluriel !
https://www.oasisdepoesie.org/textes-dauteurs/autres-textes/purana/affirmer-son-style-dialogue-avec-matelote-3/
Pierre, le maçon, sur un chantier
Il était onze heures, l’heure du bouillon. C’était samedi matin. Avec les autres membres de notre groupe musical, nous avions décidé de donner notre petit concert de ce soir dans un décor de chantier, dans la banlieue de Valenciennes. C’était original : de la musique classique dans ce décor de chantier !
C’est vrai que cela ne me changeait pas trop, moi qui manie la truelle et le fil à plomb toute la journée, mais pour le public c’était vraiment inhabituel, ce contraste entre la pagaille des poutrelles et des échafaudages et la pureté des accords de l’orchestre.
J’étais là et j’attendais, les deux mains sur les hanches de ma contrebasse, prêt à commencer la répétition.
Irina, notre violoniste tchèque, pour encore une fois me faire du gringue, commença – en me regardant droit dans les yeux – à chantonner avec son accent délicieux : « Laisse tes mains sur mes han-han-ches, ne fais pas ces yeux furibonds, la la la, la la la… ».
Hum, me dis-je… Celle-là, il va falloir qu’elle passe à la casserole… !
À suivre…
https://www.youtube.com/watch?v=Jg3wBAfTMOk
P.S. J’espère que Matelote aura aussi compté un “délicieux” supplémentaire !
Afa
— Je vous le jure, Monsieur le Commissaire, je ne croyais pas déclencher le moindre dérangement et me retrouver devant vous. Enfin, vous me connaissez. Tous les ans je suis là pour la saison, je n’ai jamais provoqué d’incident, en aucun cas vous n’avez enregistré une plainte contre moi. Je viens juste gagner ma vie. Je ne vends rien, je donne du spectacle à la générosité du public, j’anime le marché par cet art que mon père m’a appris, lui qui le tenait de son père, un secret de famille depuis toujours. C’est pas n’importe quel musicien qui peut faire ça, vous savez ? Ici depuis le temps tout le monde connait Ali le charmeur de serpents. Il n’y a pas que les enfants pour courir faire le cercle autour de mon panier aux premiers sons qui sortent de ma flûte ancestrale, les grands aussi sont intéressés par mes cobras. Ils me posent beaucoup de questions. Ce sont eux les plus impressionnés, je les vois retenir leurs gosses et les empêcher de s’approcher. Ce n’est pas l’envie qui manque à certains de venir les toucher. J’ai toujours respecté les règles de sécurité.
— Votre participation pour donner de l’attractivité au marché n’est pas contestée. Elle a du charme, si j’ose dire. Elle plait beaucoup aux vacanciers. Pourtant ce matin à 11 heures vous avez été à l’origine d’un grave désordre public, et ça, ce n’est pas admissible.
— Je ne pensais pas en partant après avoir soigneusement recouvert le panier de sa peau de chèvre et posé ma flûte par dessus que mon absence allait provoquer un tel affolement. Je suis désolé qu’on ait déplacé la police et fait appel aux pompiers pour récupérer deux reptiles confinés dans une corbeille, ça me semble excessif.
— À vous qui êtes habitué, peut-être. Notre mission est de veiller à la tranquillité de la population. Nous devons prendre les mesures qui s’imposent pour éviter qu’une simple inquiétude ne dégénère en panique.
— Je vous comprends, Monsieur le Commissaire, mais entre nous, je peux vous l’avouer ici, mes serpents sont inoffensifs, les crochets leur ont été retirés.
— Ce que j’aimerais vous entendre avouer, c’est pourquoi vous êtes resté si longtemps éloigné de votre couffin ? Il semblait abandonné. Ne me dites pas qu’il y avait seulement un petit besoin à satisfaire !
— Pas du tout ! Jamais un « Aïssaoui » n’aurait abandonné son gagne-pain et surtout sa flûte qui lui vient de ses ancêtres. C’est à cause d’Afa. Faut que je vous dise que Sâlima ne peut pas vivre sans Afa. Afa la suit partout. S’il n’est pas dans ses jambes, c’est parce que Sâlima le cajole dans les bras.
— Oh là ! Oh ! Quelle salade me racontez-vous là ?
— La vérité vraie, Monsieur le Commissaire. Quand Sâlima, ma femme, »Ma Pure » est venue me dire qu’Afa avait disparu, qu’elle ne le voyait plus, sachant le souci que cela allait déclencher si on ne le retrouvait pas au plus vite, j’ai vite recouvert mes serpents, déposé ma flûte en travers et je suis parti l’aider à la recherche d’Afa…
— Mais alors il fallait nous prévenir ! Nous avons des dispositions particulières à prendre dans les plus brefs délais lors d’une disparition d’enfant…
— Je vous demande pardon, Monsieur le Commissaire, Afa n’est pas son fils, notre fils, c’est son chat, « Le Sublime ».
Le 12 avril 2091, seul sur l’océan.
Ce soir, comme tous les soirs le soleil se noie dans des franges d’écumes. La nuit tombe et ma minuscule embarcation, ballottée par une mer en furie a toutes les peine du monde à se maintenir à flot. Mais je n’ai pas peur, la solitude et le combat contre la tempête sont mon lot quotidien.Toute la journée d’énormes vagues se précipitent et s’entrechoquent sous un soleil de plomb, poussées pas des vents chauds et violents. Seule la nuit amène un peu d’accalmie.
Triste fin de siècle. Je suis Ali, presque naufragé et contrebandier en cocottes en papier. Ainsi va ma vie, je traverse les océans pour apporter ma modeste contribution à l‘équilibre du monde. Mon commerce est illicite, la fabrication des cocottes en papier a été totalement prohibée et traquée dès 2075, quand les ressources en cellulose se sont épuisées. Le papier a disparu de la vie quotidienne, il reste des livres conservés dans des forteresses bien gardées, mais inaccessibles, le dernier a été imprimé il y a une quinzaine d’années. Alors les gens, saturés de petits, de moyens et de grands écrans et d’une assistance robotique étendue à tous les domaines, se sont livrés à des activités souterraines sur d’antiques feuilles, qu’ils trouvaient dans de vieux meubles, des bacs d’imprimantes laissées à l’abandon, des rames oubliées dans les greniers. Bref, le papier est devenu rare, recherché, objet de marché noir, voire source de corruption. Mais également symbole de résistance à une société aveuglée par la course à la richesse individuelle. Les anciens parlent de la crise de 2020, mortifère, mais disent-ils porteuse d’un espoir de changement, occasion ratée, une de plus.
L’organisation clandestine la plus emblématique fut celle des Aquatristes, ainsi nommée pour la découverte d’une gisement de feuilles A4 dans les ruines d’une vieille papèterie. Ils furent à l’origine d’un trafic d’oeuvres origamiques négociées sous le manteau à des prix pharamineux. Au noir le cours de la cocotte en papier n’a cessé de grimper lentement. D’une réalisation facile, à la portée de presque tous, elle laisse une large part à la créativité dans le choix des couleurs et de la décoration. La demande est internationale. J’ai dans mon petit bateau de quoi faire le bonheur d’enfants et d’adultes d’outre-océan, où le papier est encore plus rare, et d’en tirer un honnête bénéfice. Mon commerce est illégal mais je rends les gens heureux et je lutte à ma façon contre l’abrutissement général.
Maintenant il fait nuit, je vais me reposer un peu, après avoir vérifié que ma précieuse cargaison est encore au sec.
Violette est la désignation parfumée d’une fleur
très sensuelle, entêtante, féminine à offrir un jour de l’année 2091
est une spécialité de Toulouse
Violette ou Violetta, le féminin de Violet naufragé solitaire bien connu
à choisir, un prénom parmi ceux que je préfère
Violette est tout sauf banal , et suranné à la fois
Violette , et si le poème débutait ainsi?
Violette en bouquet, ne pourrait-elle pas susciter le désir chez un homme?