Nous vous proposons ci-dessous 2 décors différents.
Vous allez inventer une histoire en l’insérant dans un de ces décors.
Remplissez chaque trou … … … du décor avec “quelque chose” :
des personnages qu’on verra vivre et se comporter, des évènements qui se produiront, bref une histoire qui se déroulera dans ce décor. Vous pouvez aussi enrichir le décor à votre guise.
Et, bien sûr, vous terminerez votre histoire en complétant le dernier “trou … … …“.
Pour cela :
- choisissez d’abord un des 2 décors ci-dessous et copiez en le texte
- remplissez les trous avec votre histoire (autant de lignes que vous voulez)
- collez ensuite l’ensemble dans la boîte de commentaires ci-dessous et envoyez
Vous pouvez évidemment écrire une histoire pour chaque décor, et même plusieurs !
Ne retenez pas vos plumes !
à vous lire bientôt !
Décor n° 1
La Seine coule sous la passerelle des Arts, entre le Louvre et l’Institut de France. Dans les eaux calmes du petit matin se reflètent les arbres florissants de ce matin de juin et la coupole dorée de l’Académie Française. De part et d’autre des berges, des siècles d’histoire et de culture nous contemplent.
… … …
En ce jour encore jeune, la ville ne bruisse pas encore de l’agitation vibrionnante de l’heure de pointe. La circulation est fluide, peu de péniches viennent troubler la surface du fleuve et comme dit la chanson, les balayeurs sont plein de balais, les cafés nettoient leurs glaces et les amoureux sont fatigués.
… … …
Ah, les amoureux, ils sont passés nombreux sur cette passerelle. Les rambardes sont si chargées de cadenas d’amour qu’elles ressemblent à ces maharadjahs aux lourds colliers.
… … …
Sous cette passerelle chargée d’Histoire et d’histoires, coule la Seine, et nos amours, faut-il qu’il m’en souvienne, la joie venait toujours après la peine.
… … …
Décor N°2 :
La mousse tapissait les rochers qui masquaient l’entrée de la grotte, une mousse bien dense et bien verte, égayée de petites fleurs blanches.
… … …
Un long boyau aux parois humides, où il fallait cheminer courbé pendant quelques minutes, était éclairé par des torches installées tous les dix mètres. Au loin, on entendait un souffle inquiétant.
… … …
Ce couloir improbable débouchait sur une large salle arrondie au plafond d’une argile ocre, très lisse, qui pouvait accueillir au moins trente personnes. Au centre, une table de marbre gris, carrée, sur laquelle se dressait un gros cierge trapu.
… … …
Tout autour de cette salle voutée des alvéoles creusées dans la roche, à espace régulier, permettaient de s’asseoir. Au-dessus de chacune d’elles, un petit portrait de la taille d’une grosse médaille. Entre elles, un cierge allumé, plus petit et plus fin que le cierge central, et à la cire de couleur rouge.
Cet éclairage si particulier ajoutait à l’aspect étrange du lieu en projetant des ombres qui s’animaient même lorsqu’on restait immobile.
… … …
Et toujours ce souffle… et maintenant, cette odeur.
… … …
La Seine coule sous la passerelle des Arts, entre le Louvre et l’Institut de France. Dans les eaux calmes du petit matin se reflètent les arbres florissants de ce matin de juin et la coupole dorée de l’Académie Française. De part et d’autre des berges, des siècles d’histoire et de culture nous contemplent.
Accoudé à la rambarde Samuel observe rêveur le fleuve glisser sous le pont son flot lourd et continu. Cette eau verte et massive que ces vénérables monuments voient passer depuis si longtemps circule sans fureur, toujours la même et pourtant jamais la même. Il imagine les bâtisseurs du Louvre du haut de leurs échafaudages rêver comme lui sur ce même cours d’eau. Ils ont vieilli et ils ne sont plus, comme lui vieillira et s’effacera alors que le fleuve égal à lui même traversera Paris comme aujourd’hui et comme hier. Une belle allégorie de l’écoulement du temps. Soudain un détail éveille sont attention : quelques dizaines de mètres en amont une petite tache rouge. Elle avance vers lui parmi de menus débris à peine ballottés et animés d’un même mouvement uniforme et lent. C’est une fleur, une rose rouge, fraîche et éclatante. Samuel est intrigué et il invente tout de suite l’histoire d’un amant déçu par une longue et vaine attente et d’une fleur jetée à l’eau de rage et de dépit. Cette rose qui passe maintenant sous le pont est le symbole d’un amour brisé.
Mais il faut revenir au présent et à la réalité, abandonner les ouvriers d’antan et les amants meurtris. Samuel s’écarte de la rambarde et d’un pas lent se dirige vers la rive droite. Demain il s’attardera à nouveau sur la passerelle pour un autre petit moment d’évasion.
En ce jour encore jeune, la ville ne bruisse pas encore de l’agitation vibrionnante de l’heure de pointe. La circulation est fluide, peu de péniches viennent troubler la surface du fleuve et comme dit la chanson, les balayeurs sont plein de balais, les cafés nettoient leurs glaces et les amoureux sont fatigués.
La journée au bureau est ennuyeuse et banale, il la laisse couler comme comme l’eau tranquille du fleuve. Le lendemain le voici à la même heure et au même endroit. L’air est à nouveau léger en cette matinée d’été commençant et la Seine a changé ses reflets, le ciel est à peine voilé par quelques imperceptibles cirrus. Samuel fixe distraitement la surface de l’eau et n’aperçoit pas tout de suite la rose rouge qui vient vers lui, quand il la voit enfin elle n’est qu’à quelques mètres, aussi belle et mystérieuse que celle de la veille. Tout à son étonnement il se dit qu’il doit changer son histoire, la version de l’amant dépité ne tient plus et puis finalement l’heure est bien trop matinale pour un rendez-vous galant ! Non il s’agirait plutôt hier comme aujourd’hui d’une fleur devenue encombrante, témoin d’une liaison gâchée et initiée par le même séducteur pour qui la rose rouge n’est qu’un subterfuge rituel aux apparences romantiques, une sorte de piège grossier rapidement déjoué par les deux femmes qui s’en sont débarrassées d’un geste las au lendemain d’une nuit décevante.
Cela fait maintenant une semaine que Samuel tous les matins guette la rose rouge qui ne manque jamais d’arriver, ponctuelle, dans sa trajectoire régulière qui la dirige entre les mêmes piles pour poursuivre ensuite sa course de l’autre côté du pont, quitter Paris et sans doute se perdre dans les méandres du fleuve. Aucune des histoires qu’il invente ne parvient à rendre compte de cet étrange évènement. Samuel le rêveur est dépassé, pourtant ces roses qui viennent à sa rencontre et qu’il est seul à avoir remarquées parlent à son coeur, il ne sait pas, il ne sait plus mais il s’invente des histoires d’amour.
Ah, les amoureux, ils sont passés nombreux sur cette passerelle. Les rambardes sont si chargées de cadenas d’amour qu’elles ressemblent à ces maharadjahs aux lourds colliers.
L’amour a besoin de symboles, cadenas ou roses, compléments des mots maladroits qui le disent si mal. Le cadenas semble sceller une union à jamais alors que la rose inscrit un moment intense dans le souvenir amoureux et ne fige pas le futur. Mais des roses amenées tous les matins par la Seine ?
Samuel interrompt ses pensées, c’est l’heure de regagner la rive droite et tout en marchant il lui vient une idée.
Le lendemain matin au lieu de retrouver son poste d’observation habituel il parcourt le pont sans un regard pour le fleuve. Au bureau c’est une morne matinée, il se montre peu concentré sur son travail et les heures s’égrainent trop lentement, enfin midi venu, à la pause de mi-journée il se dirige d’un pas rapide vers la passerelle. Il y a beaucoup de monde, des badauds, des passants, des touristes et même des couples de passants et de touristes amoureux. Il doit jouer des coudes pour retrouver sa position favorite et le voici appuyé à la rambarde regrettant déjà d’oser ainsi défier le sort. Depuis quelques jours il ne pense plus qu’à ces roses, il n’a aucune explication et que veut-il vérifier exactement ? Une idée comme ça juste pour voir, un vieux fond d’esprit scientifique, vestige de l’intérêt qu’il manifesta au lycée pour le cours de physique, l’a peut-être poussé à faire varier un paramètre. Il est midi trente environ, le soleil est haut, une brise chaude agite les chevelures et pousse des vaguelettes dont le clapot le long des quais berce doucement les rêveries estivales. Et … La voici ! La rose attendue et redoutée avance et ondule au fil du courant. Il ne peut y croire, il en tremble, aucun doute n’est désormais permis, la chose est inconcevable mais ces roses lui sont adressées à lui, le timide et obscur Samuel. D’où viennent-elles et avec quel message ? Il attend que la fleur passe sous ses pieds et il traverse la largeur du pont pour la voir s’éloigner jusqu’à la perdre de vue, il est plongé dans un trouble profond, comme si elle emportait une part de lui-même vers un ailleurs mystérieux. Il ne retournera pas au travail aujourd’hui. Ses pas le conduisent vers la rive gauche et il descend les premières marches avec cette impression déjà éprouvée de se sentir observé. Son regard s’échappe vers le Pont Neuf et heurte la longue silhouette d’une femme vêtue de noir, à son cou pend une paire de jumelles et, son sang se glace, elle tient dans le creux de son bras un bouquet de roses rouges. Leurs yeux se croisent un court instant et il lui semble déceler l’esquisse d’un sourire, mais elle se retourne immédiatement et se fond dans la foule qui, aux premiers bienfaits de l’été, peuple le quai Conti. La mélancolique beauté de cette apparition le bouleverse. Il reste immobile sur les marches, il sait que cette vision hantera sa mémoire jusqu’au dernier instant. Un frisson puissant électrise tout son corps : le bouquet ne comptait plus que sept fleurs ! Que penser, que faire ? Lui revient l’image des bâtisseurs disparus.
Et s’il ne lui restait plus que sept jours ?
Sous cette passerelle chargée d’Histoire et d’histoires, coule la Seine, et nos amours, faut-il qu’il m’en souvienne, la joie venait toujours après la peine.
L’amour s’en va comme cette eau courante
L’amour s’en va
Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violente
La mousse tapissait les rochers qui masquaient l’entrée de la grotte, une mousse bien dense et bien verte, égayée de petites fleurs blanches.
Une mousse tellement belle que Rose n’avait pu s’empêcher de la caresser. Guy qui n’attendait qu’une occasion pour s’approcher d’elle avait posé une main sur la sienne. Voyant qu’elle se laissait faire, il avait placé son autre main sur sa taille et l’avait attiré vers lui. Rose s’était adossée à la mousse si douce et tendait ses lèvres vers lui lorsque son appui se déroba sous elle, révélant un passage caché. Elle faillit tomber à la renverse mais Guy la rattrapa. Lorsqu’ils se relevèrent, ils découvrirent une large anfractuosité qui permettait le passage d’un homme debout. Tous deux passionnés de spéléo, ils n’hésitèrent nullement à s’y engager. À vrai dire, ils étaient plutôt excités par cette découverte. Au bout d’une trentaine de mètres, il leur sembla apercevoir une légère lueur. Aussi, malgré les éboulis qui rendaient le chemin de plus en plus difficile, ils continuèrent leur progression. Rose allait la première, faisant fuir quelques rats surpris d’être dérangés. Grâce à sa veste et ses pantalons en toile, elle put ramper mais en se glissant entre deux rochers elle se râpa la main. Elle parvint néanmoins à dégager le chemin pour son compagnon.
– Guy, il y a de la lumière là-bas ! Qu’est-ce que ça peut bien être ?
– Une installation spéléo peut-être ?
– C’est bizarre, non ?
– Maintenant qu’on est là, t’as pas envie d’en savoir plus ?
– J’sais pas
– Eh bien, moi oui ! On en connaît des grottes dans la région, et celle-là on ne l’a jamais vue, ni même entendu parler !
– On pourrait revenir avec du matos et des copains ?
– Avec des copains ? Ah, non, si quelqu’un doit découvrir cette grotte, c’est nous !
– Découvrir cette grotte, ça n’a pas de sens, d’autres l’ont trouvée avant nous, puisqu’il y a de la lumière…
– Sois pas trouillarde, allez, avance !
Rose soupira, de toutes façons ils ne pouvaient pas échanger leurs places et elle ne voulait pas passer pour une peureuse. Ils aboutirent bientôt à un long boyau aux parois humides, où il fallait cheminer courbé pendant quelques minutes. Il était éclairé par des torches installées tous les dix mètres. Au loin, on entendait un souffle inquiétant.
– T’as vu les torches Guy ?
– Oui, elles doivent fonctionner sur batterie, ça m’a tout l’air d’être un truc de spéléos.
– Et c’est quoi ce bruit à ton avis ?
– Il doit y avoir une entrée d’air à l’autre bout
Ce couloir improbable débouchait sur une large salle arrondie au plafond d’une argile ocre, très lisse, qui pouvait accueillir au moins trente personnes. Au centre, une table de marbre gris, carrée, sur laquelle se dressait un gros cierge trapu.
Rose l’aperçut la première.
– C’est quoi ce truc ? On dirait une salle de cérémonie secrète ? On est tombés où, Guy ?
Elle tomba en arrêt et sa voix s’étrangla :
– Viens voir ça, c’est flippant !
Tout autour de cette salle voutée des alvéoles creusées dans la roche, à espace régulier, permettaient de s’asseoir. Au-dessus de chacune d’elles, un petit portrait de la taille d’une grosse médaille. Entre elles, un cierge allumé, plus petit et plus fin que le cierge central, et à la cire de couleur rouge.
Cet éclairage si particulier ajoutait à l’aspect étrange du lieu en projetant des ombres qui s’animaient même lorsqu’on restait immobile.
Rose examina de près les portraits. Les reflets des flammes dansaient sur les figures émaillées à dominante rouge et noir, découvrant deci delà une oreille pointue, un regard sombre, un bonnet rouge, une main fourchue…
Décomposée, Rose se tourna vers Guy :
– Ça craint Guy, on est chez les satanistes !
Guy se pencha vers les portraits et la prit par les épaules. Elle se redressa, les sens aux aguets :
– Et toujours ce souffle… et maintenant, cette odeur…
– Viens ! lui murmura Guy
– Je veux m’en aller !
– Je veux savoir !
Leurs regards se croisèrent. Yeux clairs en détresse contre yeux sombres surexcités. Il l’entraîna fermement par la main et ils arrivèrent dans une deuxième grotte circulaire. Sur des autels éclairés de bougies noires étaient disposés des viscères sanguinolents, des yeux énucléés et des crânes humains. Une puissante odeur de putréfaction se mêlait à des effluves d’encens et au centre se dressait un autel surmonté d’une croix renversée.
Avant de s’évanouir, Rose eut le temps de croiser le regard enfiévré de son compagnon et d’apercevoir un 666 tatoué sur son avant-bras.
Je ne respecte peut-être pas exactement les consignes, mais ce décor, déjà jalonné de références par Line – références que je n’avais pas vraiment conscientisées ! – m’a tout de suite inspiré ce patchwork. Je reviendrai avec autre chose.
La Seine coule sous la passerelle des Arts, entre le Louvre et l’Institut de France. Dans les eaux calmes du petit matin se reflètent les arbres florissants de ce matin de juin et la coupole dorée de l’Académie Française. De part et d’autre des berges, des siècles d’histoire et de culture nous contemplent.
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine.
Les gens se lèvent, ils sont brimés
Les traversins sont écrasés
C’est l’heure où je vais me coucher
Il est cinq heures
Paris se lève
En ce jour encore jeune, la ville ne bruisse pas encore de l’agitation vibrionnante de l’heure de pointe. La circulation est fluide, peu de péniches viennent troubler la surface du fleuve et comme dit la chanson, les balayeurs sont plein de balais, les cafés nettoient leurs glaces et les amoureux sont fatigués.
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
La tour Eiffel a froid aux pieds
Entre la nuit et la journée
Ah, les amoureux, ils sont passés nombreux sur cette passerelle. Les rambardes sont si chargées de cadenas d’amour qu’elles ressemblent à ces maharadjahs aux lourds colliers.
Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l’onde si lasse.
Et sur le boulevard Montparnasse
La gare n’est plus qu’une carcasse
Sous cette passerelle chargée d’Histoire et d’histoires, coule la Seine, et nos amours, faut-il qu’il m’en souvienne, la joie venait toujours après la peine.
L’amour s’en va comme cette eau courante
L’amour s’en va
Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violente.
Car la Seine est une amante
Extravagante quand l’ange est sur
La Seine, la Seine, la Seine
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure.
Il est cinq heures
Je n’ai pas sommeil
Le pont Mirabeau (Guillaume Apollinaire) https://www.poetica.fr/poeme-794/guillaume-apollinaire-le-pont-mirabeau/
Paris s’éveille (Jacques Dutronc)
La Seine, la Seine, la Seine (Vanessa Paradis – Matthieu Chedid) https://www.youtube.com/watch?v=9Z-NbQvhzKM&feature=youtu.be
La seine (Jacqueline François)
La Seine coule sous la passerelle des Arts, entre le Louvre et l’Institut de France. Dans les eaux calmes du petit matin se reflètent les arbres florissants de ce matin de juin et la coupole dorée de l’Académie Française. De part et d’autre des berges, des siècles d’histoire et de culture nous contemplent.
Assis sur un banc, Gaspard contemple les reflets de l’eau.
Il aime venir ici regarder les légers mouvements du fleuve, les arbres, le ciel, les oiseaux.
Il observe volontiers les gens qui passent.
Il a quatre-vingt quatre ans; il porte une barbe grise et blanche; une casquette protège son crâne
de la pluie, du vent ou du soleil; son visage est ridé; ses yeux vert amande et son sourire expriment douceur et sérénité.
Il marche avec une canne, lentement, prudemment.
La passerelle des Arts est son lieu de prédilection.
Les parents de Gaspard, venus d’Espagne, sont arrivés à Paris en 1930. Ils avaient fui leur petit village La Colila.
Son père avait trouvé du travail dans un atelier de menuiserie.
Gaspard est né le 6 mai 1936.
Tout petit, il venait sur le pont des Arts avec sa mère; elle lui chantait des complaintes de son pays natal et lui racontait des histoires d’Espagne, de France et d’ailleurs.
En ce jour encore jeune, la ville ne bruisse pas encore de l’agitation vibrionnante de l’heure de pointe. La circulation est fluide, peu de péniches viennent troubler la surface du fleuve et comme dit la chanson, les balayeurs sont plein de balais, les cafés nettoient leurs glaces et les amoureux sont fatigués.
Gaspard revoit des bribes de sa vie, comme de petits films:
son enfance, ses frères, sa sœur, ses études pour devenir instituteur, ses années passées à l’école, entouré de nombreux petits d’hommes, son épouse, ses enfants, ses petits-enfants.
La proximité de la nature, le calme de ce début de journée lui apportent une sorte d’apaisement.
Ah, les amoureux, ils sont passés nombreux sur cette passerelle. Les rambardes sont si chargées de cadenas d’amour qu’elles ressemblent à ces maharadjahs aux lourds colliers.
Il se rappelle ses amours de jeunesse: la jolie Cathy, la grande Sabine, la mignonne Elise.
C’est avec Gabrielle qu’il a créé une petite famille. Ils s’étaient rencontrés à un petit concert organisé par un ami de Gaspard.
Un courant de sympathie s’était vite établi entre eux; Gaspard était tombé très amoureux ; elle, petit à petit, s’était mise à l’aimer;elle jouait du piano avec beaucoup de délicatesse.
Ils avaient mené une vie simple, très active, assez heureuse.
Sous cette passerelle chargée d’Histoire et d’histoires, coule la Seine, et nos amours, faut-il qu’il m’en souvienne, la joie venait toujours après la peine.
Gabrielle joue toujours du piano; leurs 3 enfants sont devenus adultes; Gabrielle et Gaspard ont 5 petits-enfants.
Pour rien au monde, Gaspard ne se priverait de ses promenades à la passerelle des Arts.
Dans les mouvements du fleuve, il revoit, comme dans un livre, les moments de sa vie.
A côté de lui, il entend chanter leur mélodie préférée à tous les deux : Greensleaves…
… … …
Ambroise
La Seine coule sous la passerelle des Arts, entre le Louvre et l’Institut de France. Dans les eaux calmes du petit matin se reflètent les arbres florissants de ce matin de juin et la coupole dorée de l’Académie Française. De part et d’autre des berges, des siècles d’histoire et de culture nous contemplent.
L’air est frais, tout est calme, c’est l’heure où Ambroise aime venir avant que la foule pressée n’envahisse les quais. Il est presque seul et il profite de ce moment presque tous les matins. Il n’a jamais compris pourquoi tant de gens aiment se lever tard et sortir quand la chaleur est déjà là et que tout est bruyant alors que dès l’aurore on peut méditer en entendant le chant des oiseaux et presque le bruit de l’eau qui coule. Mais ce matin, il ne sera pas seul : deux jeunes filles d’environ dix-huit ans, bras-dessus, bras-dessous, avancent vers lui sur la passerelle chargée de cadenas. Elles sont jeunes et fraîches comme le matin, elles sourient en se regardant comme si elles complotaient quelque chose.
En ce jour encore jeune, la ville ne bruisse pas encore de l’agitation vibrionnante de l’heure de pointe. La circulation est fluide, peu de péniches viennent troubler la surface du fleuve et comme dit la chanson, les balayeurs sont plein de balais, les cafés nettoient leurs glaces et les amoureux sont fatigués.
Maintenant que les filles s’approchent, Ambroise se rend compte que c’est à lui qu’elles sourient, elles sont de plus en plus proches, elle minaudent maintenant en venant se frotter légèrement à lui :
–Alors, mon minou, comment ça va ce matin ? fait la brune, qui est vraiment petite, une tête de moins que lui, les yeux noirs rieurs, ses cheveux bouclés lâchés sur les épaules.
–Ben, quoi, t’es muet ou quoi ? fait sa copine une belle rousse avec une mèche bleue, au large sourire moqueur, qui le regarde d’un air provocateur en posant sa main sur son cou et en lui lançant un fort coup de hanche.
Ambroise est soudain désorienté, il ne s’attendait vraiment pas à cela. Il ne réalise même pas qu’il vient d’être accosté par deux filles plutôt très jolies, ici, sur le Pont des Arts. Lui, si romantique, ne comprend pas : d’habitude cela ne se passe pas comme ça. C’est d’abord à l’homme de se déclarer, non ? Pourquoi pas d’accoster ? et même de faire du rentre-dedans ! Ambroise est en train de perdre tous ses repères.
Ah, les amoureux, ils sont passés nombreux sur cette passerelle. Les rambardes sont si chargées de cadenas d’amour qu’elles ressemblent à ces maharadjahs aux lourds colliers.
Il regarde les filles brièvement, jette un œil sur les cadenas, cherche à comprendre quel est le rapport entre cette brusque et étonnante manœuvre et les lourds témoignages d’amour. Il n’y parvient pas. Il bredouille deux ou trois mots incompréhensibles, comme pour les repousser.
–Ben alors, mon minou, t’as pas envie ?
–Tu sais que t’as un beau cul, toi !
Les deux filles se frottent encore à lui pendant quelques longues secondes qui le laissent toujours désemparé. Il reste planté là, comme un idiot, pendant qu’elles s’éloignent pliées en deux par un grand rire sonore qui les suit jusque sur le quai de Conti. Et elles rient ! et elles rient !
Sous cette passerelle chargée d’Histoire et d’histoires, coule la Seine, et nos amours, faut-il qu’il m’en souvienne, la joie venait toujours après la peine.
Ambroise reprend ses esprits au fur et à mesure qu’elles disparaissent et que leur rire se dissipe dans le matin. Apaisé, il sourit maintenant de cette “aventure” en hochant la tête.
Bravo les filles ! pense-t-il, il fallait y penser et il fallait le faire ! Trouver un gros empoté comme moi… Pfff !!! Allez ! encore une occasion de ratée ! Tu ne changeras pas, mon ami !
Pour terminer sa promenade, il se dirige vers le but qu’il s’est fixé ce matin : le square du Vert Galant – sous le Pont Neuf – où, le temps d’un sourire, il a croisé hier cette belle femme seule en chapeau et manteau verts.
La mousse tapissait les rochers qui masquaient l’entrée de la grotte, une mousse bien dense et bien verte, égayée de petites fleurs blanches.
Un joli décor reconstitué entièrement en matériaux synthétiques, dont les propriétaires de ce qui paraissait être une boîte de nuit à la mode étaient particulièrement fiers. Des blocs de béton armé recouverts de moquette vert mousse parsemée de cristaux de gypse pour figurer élégamment de discrètes fleurs blanches disposées à la volée. L’effet était saisissant ! Le rideau qui masquait l’entrée était peint d’un trompe-l’œil assez réussi qui prolongeait cette moquette et donnait à l’endroit un aspect à la fois naturel et magique.
Dès l’arrivée, on pouvait s’imaginer soit dans un conte comme ceux d’Andersen, soit à l’orée d’un escape game de nouvelle génération, soit – animé de pensées plus interlopes – en train de pénétrer dans le Saint des saints d’un lieu satanique ou d’un antre sadomasochiste. L’imagination trouvait son compte dès l’entrée de ce nouveau lieu qui d’ailleurs était énigmatiquement baptisé “Le sein des saints” sur la plaquette publicitaire, ce qui laissait à chacun la possibilité de laisser encore davantage vagabonder son imaginaire.
Passée l’entrée, un long boyau aux parois humides, où il fallait cheminer courbé pendant quelques minutes, était éclairé par des torches installées tous les dix mètres. Au loin, on entendait un souffle inquiétant.
Ambiance…
Allan et Rania avançaient en se tenant par la main, un peu inquiets de s’aventurer ainsi en territoire inconnu. Tout restait artificiel, des torches suspendues aux murs qui étaient manifestement des fac-similés électriques jusqu’aux parois qui résonnaient quand, glissant sur le sol humide, ils venaient s’y cogner. Ce n’était pas la première fois qu’ils se trouvaient dans des lieux étranges, et d’habitude ils aimaient ça, mais aujourd’hui, ils sentaient monter une sorte d’angoisse.
Mais, me demanderez-vous, comment étaient-ils arrivés jusque dans ce lieu ? Eh bien, Allan et Rania avaient reçu en cadeau de mariage de la part de Jean-Loup, un vieil ami de Rania, un coffret DS : “Découverte-Surprise”. Comme tous les deux aimaient les surprises, et comme le recommandait la notice accompagnant le coffret, ils étaient venus jusqu’ici sans chercher à savoir ce qui les attendait, un peu comme quand on ne veut pas savoir le sexe de l’enfant à naître.
Oui, surprise… mais toutes les surprises sont elles de bonnes surprises ? Le coffret ne le disait pas…
Ce couloir improbable débouchait sur une large salle arrondie au plafond d’une argile ocre, très lisse, qui pouvait accueillir au moins trente personnes. Au centre, une table de marbre gris, carrée, sur laquelle se dressait un gros cierge trapu.
Un peu soulagés de l’oppression de ce long boyau, Allan et Rania purent enfin se redresser, toujours en se tenant par la main. Le décor provoquait chez eux une sorte de sidération ; Rania enfonçait ses ongles dans la paume d’Allan. Ils retinrent quelques instants leur respiration avant d’oser faire un pas dans la salle. Que devaient-ils faire maintenant ? Qu’allait-il se passer ?
( Note de l’auteur : Je vous le demande et à ce moment précis je me le demande aussi ! …)
Non, ce n’était pas un mauvais rêve, pas la peine de se pincer, Allan sentait les ongles s’enfoncer dans sa paume jusqu’au sang.
Tout autour de cette salle voutée des alvéoles creusées dans la roche, à espace régulier, permettaient de s’asseoir. Au-dessus de chacune d’elles, un petit portrait de la taille d’une grosse médaille. Entre elles, un cierge allumé, plus petit et plus fin que le cierge central, et à la cire de couleur rouge.
Cet éclairage si particulier ajoutait à l’aspect étrange du lieu en projetant des ombres qui s’animaient même lorsqu’on restait immobile.
Quand leurs yeux se furent habitués à cette demi pénombre, ils purent en faire le tour et détailler les médaillons, en partant de la gauche et en tournant autour de la salle. Sur le premier médaillon, ils reconnurent le portrait de Jean-Loup ! Cela les soulagea un peu, enfin quelque chose à quoi se raccrocher. “Quel plaisantin”, pensa Rania.
En continuant à tourner autour de la salle, ils examinèrent tous les médaillons… Chacun d’eux portait un portrait de Jean-Loup, chaque fois un peu plus jeune pour finir par une photo de Jean-Loup dans un chou, probablement quelques jours après sa naissance. Ils ne l’auraient pas reconnu ainsi nu dans son chou, mais la succession des portraits à travers les âges attestait qu’il s’agissait bien de la même personne. Il y avait seize médaillons, un portrait de Jean-Loup environ tous les quatre ans. Oui, vous calculez bien : Jean-Loup avait maintenant près de soixante-dix ans.
Tous les cierges alors s’éteignirent, à l’exception du cierge central, noir, massif.
Alors, une voix claire, une voix de femme, s’éleva. Une voix agréable, qui rendit l’atmosphère moins inquiétante, moins oppressante. La voix semblait flotter juste sous le plafond voûté de la salle :
“Jean-loup a choisi pour vous le coffret “Near Death Experience“, choisissez maintenant une alvéole pour vous asseoir.”
Allan et Rania, impressionnés, ne songèrent qu’à obéir et durent se lâcher la main. Rania s’assit sous la huitième alvéole en partant de la droite près de laquelle elle se trouvait et Allan préféra la troisième, surmontée de la photo de Jean-Loup enfant, juché sur un tricycle et souriant de toutes ses dents. Les bougies rouges se rallumèrent de part et d’autre de leurs sièges. Ils attendaient…
Et toujours ce souffle… et maintenant, cette odeur.
Une odeur de fleurs de lys, entêtante, forte, mais une odeur de bonheur.
Ils attendaient, figés.
Rania commençait à avoir froid. Depuis qu’il lui avait lâché la main, Allan paraissait ne se soucier que de sa propre personne, n’ayant plus un regard pour sa femme. La voix rude d’un homme résonna dans cette salle voûtée, sous la terre, c’était celle de Jean-Loup : “Vous qui avez pénétré ici, perdez maintenant toute espérance, abandonnez tout et venez me rejoindre.”
Un mécanisme fit alors basculer les sièges où se trouvaient les nouveaux mariés et ils furent happés dans un tourbillon lumineux. Précédés du cierge noir, ils étaient véritablement transportés par ce souffle au point qu’ils perdirent connaissance dans le parfum des fleurs de lys.
Combien de temps cela avait-il duré ? Une fraction de seconde ou bien un siècle ? On n’aurait su le dire. Ils étaient maintenant étendus et endormis comme la Belle au bois dormant, côte à côte sur un matelas confortable gonflé à l’eau. Ils semblaient apaisés et paraissaient n’attendre qu’un signe pour se réveiller.
Jean-Loup les contemplait les bras croisés, assis dans un large fauteuil de skaï rouge installé dans un coin de la pièce, satisfait. Tous les trois étaient nus dans cette pièce blanche au matelas blanc et au fauteuil rouge.
Au bout d’un long moment, il se leva enfin et vint poser un baiser sur la bouche de Rania, puis un autre. Au vingt-troisième baiser elle ouvrit les yeux et se réfugia sur les genoux de Jean-Loup qui avait l’apparence de la huitième photo, lorsqu’il avait exactement vingt-huit ans. Ils semblaient s’aimer.
Quelques minutes plus tard, Allan qui paraissait avoir huit ans se réveilla lui aussi et considéra sans émotion sa femme dans les bras de cet homme. Il ne les connaissait ni l’un ni l’autre. Il posa la main sur le mur et secoua la tête, puis le corps entier, comme un chien qui s’ébroue, puis il traversa le mur et sortit rejoindre le paradis qui l’attendait à l’extérieur.
Jean-Loup et Rania considérèrent le matelas rempli d’eau.
Le décor des sentiments
La lumière qui filtre par la haute fenêtre fait briller dans l’air tous les grains de poussière. Une poussière qui s’accumule ici depuis longtemps, on pourrait s’amuser à écrire sur cette immense table.
La grande salle est désertée depuis des années. de petites tables et chaises disposées le long des murs l’entourent et toutes sont masquées par de grands draps et les chaises recouvertes de jolies housses blanches.
Je soulève légèrement les tissus et ce sont de vieux mobiliers de bistrot qui m’apparaissent. Disposés autour de la grande et solide table d’hôte.
Un bar, un beau vieux bar de bois ornementé et ciré est nu et poussiéreux. Les anciennes tireuses à bière pression sont quelque peu ternies par les années.
Quand je suis entrée, tournant avec difficulté la grosse clé, je ressens de manière diffuse la mémoire tourmentée des lieux, malgré la pesanteur figée de l’endroit.
J’observe que la pièce a été entretenue malgré tout car il y a peu de toiles d’araignée. Tu y es sans doute pour quelque chose.
Aux murs, des ancêtres fatigués veillent sur cette immobilité. Figés pour toujours dans une posture, une attitude, dans un regard bienveillant ou fier, ils continuent de pendre, impavides, abandonnés aux murs de cette pièce où ils ont tous vécu, il y a plusieurs générations.
La tapisserie des murs, moins ancienne, vieux rose et turquoise délavé, peut être datant de dix ou vingt ans, se voulait sans doute joyeuse par les derniers occupants. Entre les tableaux d’ancêtres, qui donnent du cachet à l’endroit, sont disposés de jolis petits cadres, des miroirs colorés, mais aussi des photos de joyeux convives, trinquant à qui mieux mieux. Je crus reconnaitre d’ailleurs une ou deux célébrités, des artistes de passage ou peut-être de fidèles consommateurs de cet ancien bistrot de village gardois.
Un escalier double, aux larges marches de bois sombres et grinçantes monte jusqu’à un perron aux vitraux art-déco qui s’ouvre sur un balcon en ferronnerie d’où l’on peut voir s’étaler un jardin planté d’oliviers et amandiers et un platane qui va bientôt perdre son feuillage fauve. Il pleut maintenant. C’est l’automne, saison propice au souvenir et la nostalgie.
Je me souviens de ton père et du mien, attablés à cet endroit tous les matins, qui retrouvaient ici leurs amis, tous biens accueillis par la patronne, une femme souriante et discrète, veuve, je crois. Elle était épaulée par un serveur qui changeait chaque saison, un enfant du village le plus souvent, venu gagner quatre sous, et des pourboires que ne manquaient pas de lui laisser les clients.
Mon père s’y attablait donc avec le tien, c’était du côté à gauche près de la vitre, il y invitait parfois Jean, Guytou et Dédé et ils jouaient aux dés ou à la belote en buvant leur café du matin ou leur bière du soir.et refaisaient le monde, jamais en reste des racontars sur le village. Joyeux moments qui se lisaient sur le visage de nos paternels à leur retour. Nos mères nous envoyaient parfois les y chercher s’ils tardaient trop à rentrer…
Ils parlaient aussi souvent des bourgeois qui habitaient la bâtisse « avant » et qui l’avaient acquise à leur retour des colonies, d’Afrique noire je crois, après une guerre là-bas. Les beaux parents de la patronne apparemment, des belges qui voulaient continuer à vivre au soleil. Ils avaient un fils, Hubert qui épousa une belle d’Uzes.
C’est vrai qu’elle avait de la classe, Adèle. Même au bar, elle avait une façon de vous saluer d’un mot, d’un joli sourire qui vous faisait rêver.
Les beaux-parents partis sous d’autres cieux avec l’âge, le jeune couple avait transformé la maison en auberge pour exploiter le potentiel du lieu qu’ils avaient baptisé « le doux’ze repos »
En effet, de part et d’autre du balcon, une longue galerie envahie de vigne vierge court le long de la façade. De lourdes portes de cellules, en bois clouté, donnent toutes sur cette galerie. On en compte douze comme les douze apôtres. … … …
Le jeune couple en fit de jolies chambrettes aux murs blanchis à la chaux, meublés simplement et avec goût.
Hubert se mit aux fourneaux pour faire table d’hôte de temps à autre, en soirée et l’auberge accueillit des randonneurs, des habitants des environs, des artistes voisins et parfois même des touristes aux quels on avait vanté l’authenticité de la maison et la qualité de l’accueil et de la cuisine.
Pour que tout soit parfait, il manquait juste au jeune couple une descendance…qui ne tarderait plus selon les dires des commères du village, attendries par le couple amoureux.
Mais un jour, le malheur s’abattit sur Adèle et sur la table d’hôte.
Hubert parti au marché d’Uzes comme tous les samedis, et ne revint jamais. Il avait été fauché sur la route des combes par un chauffard et n’y avait pas survécu.
Adèle fit front avec l’aide de tout le village, malgré ses parents, qui l’exhortèrent de vendre la grande bâtisse. Elle ne voulut pas quitter cet endroit chaleureux qui avait vu grandir Hubert et dont les habitués étaient comme sa famille. Par contre elle ne fit plus table d’hôte et se contenta de faire du Doux’ze repos un hôtel et un bistrot.
Un jour le vieux Guytou, ami de nos pères, veuf depuis quelques années arriva au café avec un air enfariné, tripotant son revers de veste nerveusement.
– J’ai une annonce à vous faire à tous, nous dit-il en rougissant
– Eh ? s’interrogèrent ton père et le mien, déjà attablés à côté de la fenêtre
– J’ai rencontré Jeannette à la fête du Pin le mois dernier…et voilà, nous voulons vous inviter à manger chez nous, pour fêter nos amours !déclama-t-t-il, vous êtes tous bienvenus.
– Comment çà « chez nous » ? nos amours ?s’interrogeaient entre eux tous les convives du café du village, la mine étonnée et dissimulant leurs rires sous cape.
Guytou, veuf de 80 ans bien sonnés, était tombé amoureux de Jeannette 70 ans, voilà ce que tous comprirent après éclaircissement et le « jeune couple »comptait bien rattraper le temps perdu de dix années de veuvage chacun.
Sitôt dit sitôt fait, tout le monde se transporta dans la rue voisine, dans la belle maison de Guytou, pour rencontrer Jeannette qui les attendait avec boire et manger à profusion. Même Adèle, qui ferma le café exceptionnellement avec un mot d’excuse.
Sacrés Jeannette et Guytou ! Leurs amours donnaient une joie de vivre à tout le village et souvent le matin, les habitués de l’auberge allaient boire un bon café chez les amoureux. Mais pas l’après-midi, car quand les volets étaient fermés, tout le monde comprenait que le couple était bien occupé et les rires et commentaires fusaient le lendemain matin au café, au grand amusement de tous !
L’amour est-il contagieux ?
Nos pères nous racontèrent que quelques mois plus tard, l’auberge resta porte close définitivement car la patronne, Adèle, était partie avec le serveur. Tous les habitués durent migrer au bistrot du village voisin.
Aujourd’hui, dans ces lieux règnent à la fois une grande quiétude et une odeur un peu piquante.
Serait-ce l’odeur des sentiments ?
Quelques années plus tard Jeannette et Guytou se succédèrent de peu au paradis des amoureux. L’enterrement fut joyeux. Leurs enfants furent étonnés du monde présent.Ton père et le mien leur succédèrent. Leurs tombes sont proches au cimetière du village.
Nos mères nous ont rappelé que la bâtisse était toujours vide.
Qu’en dis-tu, mon amour ?
Chrisdottir