Nous renouvelons ce type atelier déjà proposé il y a quelques années
et qui avait alors permis d’écrire de nombreux textes de qualité.
Nous vous proposons ci-dessous 2 décors différents.
Vous allez inventer une histoire en l’insérant dans l’un de ces décors.
Remplissez chaque trou … … … du décor avec “quelque chose” :
des personnages qu’on verra vivre et se comporter, des évènements qui se produiront,
bref une histoire qui se déroulera dans ce décor.
Vous pouvez aussi enrichir le décor à votre guise.
Et, bien sûr, vous terminerez votre histoire en complétant le dernier “trou … … …“.
Pour cela :
- choisissez d’abord un des 2 décors ci-dessous et copiez-en le texte.
- remplissez les trous avec votre histoire (autant de lignes que vous voulez).
- collez ensuite l’ensemble dans la boîte de commentaires ci-dessous et envoyez.
Vous pouvez évidemment écrire une histoire pour chaque décor, et même plusieurs !
Ne retenez pas vos plumes !
à vous lire bientôt !
Décor n° 1
La lune éclaire comme en plein jour. Son œil, encore plus ouvert et brillant que d’habitude, diffuse une lumière froide et blanche.
… … …
Les vents marins poussent les nuages et lui offrent bientôt une couronne vaporeuse. Les ombres de la terrasse se faufilent
dans la maison, épousant les formes sombres pour mieux les étirer.
… … …
Sur la crédence, dansent, dansent les reflets de fines lames aiguisées. Dans le silence, dense, dense, cliquètent les aiguilles acérées de l’horloge comtoise.
… … …
La ville sommeille, mais la vie est en éveil. Le silence nocturne est tapissé de bruits furtifs qui font courir l’imagination.
… … …
Décor N°2 :
La lumière qui filtre par la haute fenêtre fait briller dans l’air tous les grains de poussière. Une poussière qui s’accumule ici depuis longtemps, on pourrait s’amuser à écrire sur cette immense table.
… … …
Aux murs, des ancêtres fatigués veillent sur cette immobilité. Figés pour toujours dans une posture, une attitude, dans un regard bienveillant ou fier, ils continuent de pendre, impavides, abandonnés aux murs de cette pièce où ils ont tous vécu.
… … …
Un escalier double, aux larges marches de bois sombres et grinçantes monte jusqu’à un perron aux vitraux art-déco qui s’ouvre sur un balcon en ferronnerie d’où l’on peut voir s’étaler un jardin à l’anglaise. Il pleut maintenant.
… … …
De part et d’autre du balcon, une longue galerie envahie de vigne vierge court le long de la façade. Les lourdes portes des cellules, en bois clouté, donnent toutes sur cette galerie. On en compte douze comme les douze apôtres.
… … …
Dans ces lieux règnent à la fois une grande quiétude et une odeur un peu piquante.
… … …
Décor n° 1
La lune éclaire comme en plein jour. Son œil, encore plus ouvert et brillant que d’habitude, diffuse une lumière froide et blanche.
Je me suis réveillé au milieu de la nuit. Est-ce les soucis de la journée précédente ? Pourtant d’habitude je relativise les choses et mes nuits sont calmes et paisibles. Non cela ne doit pas être ça !
Quand on a vécu ce que j’ai vécu, les difficultés de la vie quotidienne sont des broutilles !
Brusquement, je me souviens que ma grand-mère disait : c’est la lune, c’est la pleine lune, qui empêche de dormir. Je riais à cette époque. Adolescent, rien ne venait troubler mon sommeil. Ma mère disait : on pourrait tirer un coup de canon, à côté de Buzz, il ne bougerait même pas.
Les vents marins poussent les nuages et lui offrent bientôt une couronne vaporeuse. Les ombres de la terrasse se faufilent
dans la maison, épousant les formes sombres pour mieux les étirer.
Éveillé, comme s’il faisait jour, je n’ai aucune envie de me recoucher. Je sais que je tournerai en vain dans mon lit et que je ne me rendormais pas. La lune est magnifique, on distingue parfaitement les mers et les cratères. Je la vois si près et si loin à la fois, que cela réveille un souvenir, lointain maintenant, et tellement prégnant.
Sur la crédence, dansent, dansent les reflets de fines lames aiguisées. Dans le silence, dense, dense, cliquètent les aiguilles acérées de l’horloge comtoise.
Horloge comtoise que j’ai achetée lors d’un de mes voyages en France. Depuis, elle m’a toujours semblé incongrue dans mon logement moderne, typiquement américain. Pourtant, elle me rappelle une gloire passée, aujourd’hui où j’ai sombré dans l’anonymat.
La ville sommeille, mais la vie est en éveil. Le silence nocturne est tapissé de bruits furtifs qui font courir l’imagination.
Je n’ai pas besoin de faire travailler mon imagination, ma réalité était encore plus fantastique que tout ce qu’on peut imaginer. Moi Buzz, j’ai posé les deux pieds sur cette boule incandescente, qui brille dans le ciel et peu d’hommes ont un souvenir aussi remarquable.
En regardant la lune immense sur le ciel, je suis à nouveau dans la Mer de la Tranquillité…
Réminiscences
La lumière qui filtre par la haute fenêtre fait briller dans l’air tous les grains de poussière. Une poussière qui s’accumule ici depuis longtemps, on pourrait s’amuser à écrire sur cette immense table.
La porte par laquelle est entré Victor reste entrouverte sur la valise qu’il a déposée sur le seuil. Il fait le tour de la grande pièce, déchirant dans sa lente et pensive progression quelques toiles d’araignées que personne n’a jamais dérangées tout au long de ces longues années. Cette maison est inhabitée depuis la mort de son père. Après les obsèques, il avait tourné la clé pour s’éloigner sans se retourner et rejoindre l’Indonésie où il avait famille, travail et avenir, il n’y est jamais revenu. Son épouse, l’amour de sa vie l’a quitté, ses enfants sont grands et un désir incontrôlé l’a poussé à venir s’installer dans cette demeure où il a grandi.
Le coeur battant, il marche sur les pas de l’enfant et de l’adolescent qu’il fut entre ces murs. Il est assailli par les souvenirs, très embellis sans doute par l’éloignement et le temps. C’est à peine s’il n’entend pas l’appel de sa mère l’invitant à cesser le jeu pour venir se mettre à table, l’aboiement familier de Simba, leur jeune chienne, maline et joueuse, ou le son du moteur de la voiture de son père s’arrêtant sur le gravillon.
Aux murs, des ancêtres fatigués veillent sur cette immobilité. Figés pour toujours dans une posture, une attitude, dans un regard bienveillant ou fier, ils continuent de pendre, impavides, abandonnés aux murs de cette pièce où ils ont tous vécu.
Les observant l’un après l’autre Victor se dit que ses fils sont après lui les derniers de cette lignée, viendront-ils un jour jusqu’ici, eux qui n’y ont jamais vécu et qui ont construit leur vie ailleurs ? Il se sent tout à coup envahi par une immense tristesse, celle de ne pouvoir jamais partager avec eux cette période de sa vie, en ces lieux dont il leur a si souvent parlé. Il reste un moment devant le portrait de son grand-père, cet homme qu’il avait tant aimé dans son jeune âge, un modèle de grand-père. Victor réalise tout à coup qu’il sera désormais toujours partagé entre ses racines retrouvées et ses fils à l’autre bout du monde, qui lui manquent déjà.
Un escalier double, aux larges marches de bois sombres et grinçantes monte jusqu’à un perron aux vitraux art-déco qui s’ouvre sur un balcon en ferronnerie d’où l’on peut voir s’étaler un jardin à l’anglaise. Il pleut maintenant.
Cet escalier il y a si souvent joué, il a si souvent glissé sur sa rampe en cachette de sa mère ! Mais il ne se souvient pas d’être jamais allé au delà. II parvient sur le balcon, s’y avance, curieusement il voit le jardin comme il l’a connu, l’herbe est coupée de frais, les grands arbres se reflètent dans l’étang où circulent quelques poissons rouges, et où de grosses bulles s’entourent d’ondes concentriques, l’orage n’est pas loin. Les allées bien tracées s’enfoncent dans la verdure. Etrange sensation.
De part et d’autre du balcon, une longue galerie envahie de vigne vierge court le long de la façade. Les lourdes portes des cellules, en bois clouté, donnent toutes sur cette galerie. On en compte douze comme les douze apôtres.
Victor reste maintenant figé, appuyé de dos sur la balustrade du balcon. Devant lui, là, commence le domaine interdit, jusqu’à cet instant effacé de sa mémoire.
Dans ces lieux règnent à la fois une grande quiétude et une odeur un peu piquante.
Mais il sent cette quiétude trompeuse, il lui semble qu’enfant il a toujours su l’existence des cellules pourtant jamais il n’a osé braver l’interdiction. A-t-il eu une enfance si heureuse ? Pour le moment une sorte de d’empêchement psychologique le maintient dans l’immobilité car revoici les lourds nuages qui obscurcissent son passé, qu’il a toujours chercher à ignorer pour finalement les oublier. Quelques grosses gouttes tombent sur ses épaules, les douze portes sont là, sombres, mystérieuses et menaçantes. Il aurait préféré ne pas s’avancer mais il s’avance quand même, poussé désormais par une force étrangère. Sur chaque porte un prénom est inscrit, il reconnaît les prénoms de ses ascendants, ceux des portraits de la salle d’en bas. Il s’arrête devant la porte de son père, la onzième, ose-t-il l’ouvrir ? Oui il ose, poussé par la même force. “Entre mon fils, je t’attendais, maintenant que je ne suis plus ma vie ne doit plus avoir de secret pour toi, entre, explore, tu connaîtras ton père tel qu’il fut, tu as assez avancé sur ton propre chemin pour savoir que chacun a un côté obscur, tu ne seras donc pas tout à fait déçu”, Victor est envahi par un frisson glacial, autour de lui s’accumulent quantité d’objets, d’images, des scènes lui défilent dans la tête, il en reconnaît certaines, d’autres lui sont étrangères. Son père n’était donc pas l’homme dont il avait voulu garder la mémoire. Il y avait une autre femme que sa mère, une jeunesse qui n’était pas celle qu’il lui avait racontée. Et puis ces longues absences, ses accès de violence et tous les doutes cruels, refoulés. Bouleversé Victor ressort en claquant derrière lui la porte de cette cellule où son âme s’est déchirée selon les cicatrices du passé. Sur la douzième porte, à sa gauche, il voit son nom déjà inscrit, mais après avoir hésité il décide de ne pas l’ouvrir, il a lui aussi des lâchetés à oublier. Aucune cellule n’est destinée à ses fils, la rupture, comme il le craignait est donc consommée et c’est peut-être mieux ainsi.
Une goutte de pluie pesante et chaude vient se loger dans le coin de son oeil, premier signe d’une forte averse tropicale. Victor s’éveille, le coeur bondissant, et comme à la sortie de tout cauchemar il ressent un profond soulagement. Maintenant il est certain qu’il ne reviendra jamais dans la maison de son enfance et il s’emploie dès cet instant à bannir toutes ces images, à calmer la tempête que cet étrange voyage a soulevé en son for intérieur. Il se dégage de son hamac et, sous une pluie déjà battante, rejoint à la hâte la maison de son fils aîné où s’affaire sa belle fille, qui affiche fièrement sous son sarong l’imminence d’un heureux évènement.`
Victor se réjouit que dans son rêve il ne soit pas entré dans la cellule de son grand-père.
Au loin on distingue les tours de Jakarta.
Bravo à vous deux pour votre production !
Chamans, c’est avec une grande virtusoité que tu as su utiliser les élements du décor pour nous livrer cette histoire à la fois palpitante et pleine de mystère. Une vraie belle imagination, même si je m’interroge encore sur les tours de Jakarta…?
Loki, une belle idée donnée par l’astre lunaire.
Je ne sais pas si cela est voulu, mais j’ai beauxcoup aimé que tu nous présentes Buzz (Aldrin, bien sûr) comme quelqu’un qui dormait beaucoup car cela m’a rappelé le poème de Victor Hugo “Booz endormi“. J’ai trouvé qu’il y avait là une magnifique coïncidence et que cela rajoutait beaucoup de poésie au texte, même si ce clin d’oeil est peut-être involontaire.
et maintenant :
1 – Vous savez que vous pouvez chacun écrire un autre texte avec l’autre proposition de décor.
2 – Vous pouvez, si vous voulez, publier cela dans la rubrique “Nouvelles” du site.
Je vais avoir du mal à me mettre à votre niveau. Je me demande si je ne vais pas essayer de mélanger les deux décors… ? 🙂
Les tours de Jakarta ? J’aurais pu dire les gratte-ciel de Jakarta (bof!), c’était juste pour confirmer au lecteur que Victor n’avait pas quitté l’Indonésie.
Merci pour ton commentaire.
El Maximo
La lumière qui filtre par la haute fenêtre fait briller dans l’air tous les grains de poussière. Une poussière qui s’accumule ici depuis longtemps, on pourrait s’amuser à écrire sur cette immense table.
Le vieil homme s’assoit sur un fauteuil à bascule qu’il a rapporté de là-bas, souvenir de l’époque où était en pleine gloire.
Aux murs, des ancêtres fatigués veillent sur cette immobilité. Figés pour toujours dans une posture, une attitude, dans un regard bienveillant ou fier, ils continuent de pendre, impavides, abandonnés aux murs de cette pièce où ils sont accrochés depuis longtemps.
Il regarde les portraits souvenirs d’une enfance difficile.
Son père, partant très tôt, le matin pour aller cultiver du café sur une terre ingrate.
La récolte était rarement bonne, et quand il réussissait à obtenir plusieurs sacs de ces grains précieux, il en tirait une somme dérisoire qui permettait à peine à la famille de vivre.
Heureusement qu’il y avait sa mère qui faisait des ménages chez un riche propriétaire.
Un escalier double, aux larges marches de bois sombres et grinçantes monte jusqu’à un perron aux vitraux art-déco qui s’ouvre sur un balcon en ferronnerie d’où l’on peut voir s’étaler un jardin à l’anglaise. Il pleut maintenant.
Il ne pleuvait pas souvent là-bas et ce jardin est un véritable éden.
Le vieil homme, qu’il est maintenant, se souvient de l’adolescent qu’il était aidant son père. Plus il grandissait, moins il supportait la résignation de ses parents. Cette exploitation des paysans par de riches propriétaires le révoltait.
Et c’est tout naturellement, qui s’était engagé dans un groupe marxiste, « les chemins de l’espoir ».
La répression l’avait obligé à se cacher avec son groupe, dans la forêt tropicale, et il menait des actions de guérilla sur les troupes gouvernementales qui les recherchait.
De part et d’autre du balcon, une longue galerie envahie de vigne vierge court le long de la façade. Les lourdes portes des cellules, en bois clouté, donnent toutes sur cette galerie. On en compte douze comme les douze apôtres.
Ces cellules lui rappellent la cellule dans laquelle il avait été enfermé, un jour après avoir été capturé.
Ses geôliers le torturaient pour lui faire avouer les noms de ses amis, et les lieux de leur cachette.
Jamais il n’avait parlé, il serait mort aujourd’hui, si des partisans de son organisation n’avaient attaqué la prison et l’avaient libéré.
La lutte s’était durcie et des pays communistes avaient envoyé des armes pour soutenir leur révolution.
Il se souvient, comme hier, quand « El gringo », chef de la junte militaire, qui régnait sur le pays, avait été abattu dans le palais où il se terrait.
Et cela avait été son jour de gloire, lui qu’on surnommait dans la résistance marxiste « El Maximo » avait été nommé chef du gouvernement provisoire.
Dans ces lieux règnent à la fois une grande quiétude et une odeur un peu piquante.
Et « El Maximo » pense aux évènements qui se sont succédé ensuite.
Il soupire. Il a bien fallu arrêter et exécuter les tortionnaires de la junte.
Emprisonner, tous ces gros propriétaires qui suçaient le sang des travailleurs.
Il se souvient encore des acclamations du peuple quand il apparaissait au balcon du palais sur la place de la république.
Il aurait dû être plus vigilant !
Certains compagnons des « chemins de l’espoir » se sont enrichis aux dépens du pays.
Il a bien fait de réagir en faisant arrêter exécuter certains de ses anciens compagnons marxistes. Mais rien n’y faisait la corruption, le désordre gagnaient de plus en plus le pays.
Il a eu plus de chance que « El gringo ». Il a pu s’enfuir avant que des renégats envahissent le palais et s’emparent du pouvoir.
Il sera éternellement reconnaissant à la France de l’avoir exfiltré et accueilli.
La poussière sur cette table lui rappelle que cela s’est passé il y a bien longtemps…
Une nuit agitée.
La lune éclaire comme en plein jour. Son œil, encore plus ouvert et brillant que d’habitude, diffuse une lumière froide et blanche.
Anis, la chatte grise, dort sur la dernière planche du placard ; elle adore ce coin où sont rangés des pulls et des vêtements chauds.
Pendant des heures et des heures, Dorine a marché de long en large dans sa chambre, elle a lu, elle a mangé des biscuits, elle a écouté de la musique sans arriver à vaincre l’insomnie. Enfin, vers trois heures du matin, elle s’est assoupie, sa respiration est régulière, elle paraît paisible.
Les vents marins poussent les nuages et lui offrent bientôt une couronne vaporeuse. Les ombres de la terrasse se faufilent dans la maison, épousant les formes sombres pour mieux les étirer.
Un train passe, dans les environs ; le bruit réveille la jeune femme à peine endormie.
Elle regarde l’heure sur son réveil : trois heures et demie. Et Jim n’est toujours pas rentré ! Après son boulot, il va volontiers jouer au bowling et boire des chopes au centre de la ville.
Sur la crédence, dansent, dansent les reflets de fines lames aiguisées. Dans le silence, dense, dense, cliquettent les aiguilles acérées de l’horloge comtoise.
Dorine est inquiète mais elle se force à se rendormir, se disant « chacun mène sa vie ; je ne
peux sacrifier la mienne pour lui ; toute à l’heure, je devrai être au magasin à huit heures, ranger, préparer, nettoyer, et être à même de recevoir et de conseiller des clients désireux d’acheter de nouveaux vêtements. «
La ville sommeille mais la vie est en éveil. Le silence nocturne est tapissé de bruits furtifs qui font courir l’imagination.
Dans un deuxième sommeil peu profond, secouée par l’inquiétude qu’elle essaie de repousser, des bruits ténus lui parviennent de la terrasse comme de légers pas.
Alarmée, elle distingue, par la fenêtre, la silhouette d’un homme à l’air très jeune vêtu d’un anorak matelassé, d’un bonnet de laine, de chaussures souples. Il a escaladé le mur avec une adresse étonnante ; il marche sur la terrasse à la recherche d’une ouverture vers l’appartement. Les fenêtres sont bien fermées ; il y a de la lumière ; Dorine a allumé la radio avec un volume très élevé ; effrayé par la lumière et le bruit, le voleur
file à toute vitesse. Réveillée elle aussi, Anis s’avance vers la fenêtre comme si elle venait inspecter les lieux.
Vers six heures et demie, des pas se font entendre dans le hall. C’est Jim qui rentre !
Il va prendre une bière à la cuisine ; il va retrouver Dorine dans la chambre.
– Bonjour ma chérie ! Dit- il gaiement.
De nouveau réveillée, énervée par sa nuit mouvementée, par la visite du malfrat, par le sommeil insuffisant et discontinu, Dorine lui répond très sèchement et lui lance de copieuses injures. Traité de goujat, de paresseux, de monstre, d’égoïste, de mufle, il va cuver ses bières sur le divan du salon.
Dorine se lève, déjeune, s’apprête à partir travailler.
Élégante, maquillée avec soin, elle quitte l’appartement et tente de cacher sa fatigue et ses soucis.
Le soir, quand elle rentre, ils bavardent dans une ambiance assez courtoise ; elle lui parle de sa journée ; Jim lui apprend que des bandits ont cambriolé un appartement de l’immeuble voisin.
La lune éclaire comme en plein jour. Son œil, encore plus ouvert et brillant que d’habitude, diffuse une lumière froide et blanche.
À perte de vue, c’est la toundra recouverte de neige, une neige dont tous les cristaux étincellent sous l’astre du soir. Oui, de son œil démesuré elle regarde ce renard qui avance sur la dune, puis vers la grève balayée par le vent. Il avance vers cette maison, là-bas, tout au bout de la baie. La mer n’est pas encore gelée et les vagues déferlent doucement sur le rivage. La lune veille toujours.
Les vents marins poussent les nuages et lui offrent bientôt une couronne vaporeuse. Les ombres de la terrasse se faufilent
dans la maison, épousant les formes sombres pour mieux les étirer.
L’animal n’est plus qu’à quelques dizaines de mètres de la bâtisse maintenant. Il sait que c’est là qu’il faut se rendre, c’est là que le rendez-vous est fixé, pour cette nuit, à onze heures du soir. Les « autres » seront là et le rite qui doit être accompli le sera, conformément au contrat. Ses membres sont presque entièrement gelés par le vent pénétrant qui souffle de plus en plus fort. Seule la moëlle de ses os répond encore et, épuisé, il arrive enfin à atteindre l’entrée.
– Nous t’attendions, lui fait la tortue sur le pas de la porte. Les « autres » sont déjà arrivés. Nous sommes en cuisine.
Le renard suit la tortue jusqu’à cette vaste cuisine où trône une immense cheminée, digne d’un château médiéval. Enfin, il peut se réchauffer. Il ferme les yeux et reste un long moment devant l’âtre avant d’aller saluer les « autres », le groupe des Fontainistes : le lion d’abord – à tout seigneur tout honneur -, mais aussi le rat moqueur, puis la belette, le petit lapin et le chat qui ronronne. Le corbeau sur son perchoir, le reconnaissant, le salue d’un clin d’œil malin.
La sage fourmi se fait discrète comme toujours, juste un petit sourire, quant à la cigale, elle est absente : c’est l’hiver voyez-vous, ce n’est pas le temps des cigales… Même la grenouille est là qui lui lance un petit « croa ».
Les conversations continuent dans un joyeux brouhaha. Tous se racontent comment ils ont traversé l’année qui vient de passer.
Après quelques minutes, le lion tape sur sa timbale pour réclamer le silence.
Sur la crédence, dansent, dansent les reflets de fines lames aiguisées. Dans le silence, dense, dense, cliquètent les aiguilles acérées de l’horloge comtoise.
– Mes amis, fait-il, tout le monde est arrivé maintenant. La pleine lune est avec nous ce soir, le concile peut se tenir, et c’est l’anniversaire de Maître Jean aujourd’hui. Comme chaque année, nous allons le fêter dignement, et bien sûr le menu sera végétarien !
À ces mots, manquant d’écraser la fourmi sa voisine, le bœuf se lève aussitôt pour applaudir à cette déclaration, suivi par tous les autres.
« Merci, dit le lion, le repas est prêt, approchez-vous. Allez, Perrette, sers-nous maintenant ! »
Et les Fontainistes, loin de la ville et de ses tracas, peuvent une nouvelle fois accomplir le rite : fêter le maître avec un festin digne d’Archimboldo qui – dit-on – l’avait souvent inspiré, presqu’autant que le vieil Esope.
La ville, elle sommeille, mais la vie est en éveil. Le silence nocturne est tapissé de bruits furtifs qui font courir l’imagination.
Et aussi parfois d’un grand vacarme lorsque vient le soir de l’anniversaire du Maître. Mais l’imagination, elle, court toujours !
Oui, vous attendez une morale à tout cela, je le sens.
Alors, disons que « tout vient à point à qui sait attendre », même l’imagination, et il était temps que je publie mon petit couplet !
Ou bien encore : « travaillez, prenez de la peine, c’est le fond qui manque le moins ! encore faut-il ne pas être cigale… »
Je vous laisse en trouver d’autres !
La lumière qui filtre par la haute fenêtre fait briller dans l’air tous les grains de poussière. Une poussière qui s’accumule ici depuis longtemps, on pourrait s’amuser à écrire sur cette immense table.
Jean Chrétien – le bien nommé – considère la pièce avec émotion. Il l’a tellement connue cette salle de réfectoire ; elle était tellement animée quand le soir, après la prière, les moines se réunissaient pour un repas frugal, tous attablés autour de la grande table de chêne. Le temps du recueillement était suspendu pour quelques heures et les moines échangeaient en une sorte de débriefing sur les travaux de la journée et sur ceux qui les attendaient encore le lendemain, certains aux champs, d’autres à la cuisine ou au potager, les derniers – les plus savants – à la reproduction de riches enluminures et à la décoration de la chapelle dont le style baroque, chargé d’angelots et de dorures, faisait l’admiration de tous et poussait même d’autres congrégations au péché de jalousie.
Jean, alors, était Prieur de cette abbaye de Saint Elme, au temps de sa splendeur.
Aux murs, des ancêtres fatigués veillent sur cette immobilité. Figés pour toujours dans une posture, une attitude, dans un regard bienveillant ou fier, ils continuent de pendre, impavides, abandonnés aux murs de cette pièce où ils ont tous vécu.
Oui, il les reconnaît ces visages qui tous les soirs présidaient au benedicite. Ce sont tous les prieurs que son abbaye a connus à travers les siècles, depuis que le roi avait décidé de sa construction pour rendre grâce au ciel d’avoir fait cesser cette terrible et interminable épidémie de peste bubonique.
Il a connu certains de ces personnages qui regardent la table sans ciller, lorsqu’il est arrivé comme novice à l’abbaye et aussi ensuite après qu’il eut prononcé ses vœux : Bertrand Calamel avec ses longues moustaches, son air patelin et son accent rocailleux du Rouergue, Jehan Mortier sévère et sec comme une brindille prête à flamber, comme ses yeux noirs et perçants, et enfin Martin de Verduzan, aux nobles manières, à qui il a lui-même succédé. Le dernier des portraits porte une étiquette où il est écrit “Jean Chrétien – Prieur †1931“. C’est son propre portrait. Il porte sur la tête une capuche gris bleu, de la même couleur que son habit de bure. Ses yeux aussi sont gris bleu comme les veines de ses mains qu’il tient jointes sous son menton. Il ne porte ni barbe ni moustache, il est un peu chauve, les joues creuses, le nez droit, et sa peau marbrée a une légère teinte olivâtre. On dirait un personnage tiré d’un tableau du Greco.
Un escalier double, aux larges marches de bois sombres et grinçantes monte jusqu’à un perron aux vitraux art-déco qui s’ouvre sur un balcon en ferronnerie d’où l’on peut voir s’étaler un jardin à l’anglaise. Il pleut maintenant.
Comme dans un rêve, Jean Chrétien survole ces marches sans les faire grincer et atteint le haut de ce double escalier.
Ces vitraux, il s’en souvient, c’est lui qui les avait commandés à André Delatte, maître verrier qu’il avait connu dans son enfance en Lorraine et avec lequel il avait conservé de forts liens d’amitié. Avant d’être banquier, puis verrier, Delatte avait même envisagé de prononcer ses vœux et de rejoindre l’abbaye. Ce dernier avait donc un fort attachement à Saint Elme et il avait tout de suite accepté d’y développer tout son art. Et c’était vraiment merveilleux de pouvoir contempler, déjà depuis le bas de l’escalier, la lumière filtrée par ces chefs-d’œuvre.
Et, par derrière, le jardin que les moines entretenaient avec soin, autant pour les fleurs qui ornaient et embaumaient toujours la chapelle que pour les légumes qui les nourrissaient. Jean se souvient de l’application avec laquelle ils traquaient le moindre brin d’herbe.
Aujourd’hui le jardin reste entretenu, mais par qui ? Accoudé au balcon, Jean croit apercevoir deux silhouettes au milieu du jardin anglais. Oui, ce sont bien Sébastien et Barthélémy, les deux jeunes moines jardiniers qu’il a connus. Ils n’ont pas vieilli. Sous cette petite pluie de printemps tous les deux s’affairent à bêcher et à ratisser un carré de terre où ils sèmeront quelque légume. Ils lui sourient en l’apercevant sur le balcon et lui montrent un grand panier déjà plein de carottes fraîchement arrachées. À son habitude, il leur répond d’un signe de la main, en forme de bénédiction.
De part et d’autre du balcon, une longue galerie envahie de vigne vierge court le long de la façade. Les lourdes portes des cellules, en bois clouté, donnent toutes sur cette galerie. On en compte douze comme les douze apôtres.
Jean, le Prieur, avance maintenant le long de la galerie en palpant, entre les rameaux de vigne vierge, la pierre du mur rêche sous ses doigts. Ses doigts qui sont presque transparents. Il sent qu’il est transparent, que personne ne peut le voir sinon les deux moines jardiniers qui le suivent du regard. Il ne marche pas, il flotte lentement le long de la galerie, laissant sa main courir sur le mur entre les feuilles.
Dans chaque cellule, un moine est en prière, immobile, silencieux, en lui-même. Le prieur les salue un par un d’un bref hochement de tête, d’abord les cellules sur la gauche du balcon, puis celles du côté droit. Beaucoup d’entre eux ont les yeux fermés et ne le voient pas continuer à glisser le long de cette galerie.
Tout est en ordre et en silence. Il peut maintenant descendre visiter les moines cuisiniers. Tel un ectoplasme, il passe au travers des murs pour rejoindre la vaste salle où plusieurs marmites sont installées dans l’immense cheminée. Là aussi, c’est le silence, personne ne parle, chacun s’affaire à sa tâche avec application. Il peut seulement sentir la chaleur de l’âtre et, de temps en temps, voir éclater une braise dans une petite gerbe d’étincelles. Personne ne le voit, il se tient pourtant au beau milieu de la pièce, face à la cheminée.
Dans ces lieux règnent à la fois une grande quiétude et une odeur un peu piquante.
Est-ce encore l’odeur de la moutarde, fabriquée et vendue ici par les moines pendant des générations, ou est-ce encore autre chose ? … Est-ce l’odeur acide du démon qui comprend qu’il sera bientôt le seul maître des lieux ?
Jean Chrétien revient à la grande salle de réfectoire, où trône la longue table poussiéreuse. Pourtant appuyées sur cette table, ses deux mains ne laissent aucune trace dans la poussière qui recouvre le bois. Il contemple de nouveau les portraits. Il s’arrête sur le dernier, le sien.
Bientôt cent ans que Jean, le dernier Prieur de l’abbaye de Saint Elme, revient chaque jour visiter les lieux et finir en se laissant absorber par son portrait accroché au mur.
Aujourd’hui encore, tout reste en ordre, Jean peut se retirer et entrer en prière, prier pour nous les yeux fermés, sous la pierre froide du cloître, jusqu’à demain.