Réalisé durant l’atelier du 18 décembre à Villenave d’Ornon (idem atelier en ligne de décembre)

En venant dans cette rue mal famée du vieux Lyon, certains diront que je cherche les ennuis. En fait, je cherche surtout la petite bête, celle qui fera tomber la bande de malfrats que j’ai dans le collimateur depuis trois ans. Des clients sérieux, connectés avec les mafias italienne et albanaise, rien que ça ! Trafic de drogues en tout genre avec les Calabrais de la ‘Ndrangheta, traite humaine avec les types de Tirana. Des types avec des protections dans les plus hautes sphères, où je soupçonne qu’ils ont un réservoir de clients de haut vol.

Alors, quand j’ai appris que la belle Luna avait ses entrées dans ce bouge minable, ça m’a mis la puce à l’oreille. La petite bête, la puce, vous faites le lien ? La belle Luna, vous voyez qui je veux dire ? La présentatrice télé, celle qui bat des records d’audimat ? Celle qui tutoie les stars et fait de la pub pour « Ariel lave plus blanc que blanc » ? Oui, c’est bien d’elle, dont il s’agit.

J’ai failli la manquer lorsqu’elle est sortie de l’hôtel toute habillée de noir, un bonnet enfoncé sur la tête. Elle s’est glissée comme un chat par la porte de derrière, où un motard l’attendait. Je n’ai eu que le temps de prévenir l’équipe pour organiser une filoche discrète, en se relayant.

Nous avons réussi à la localiser dans une maison sinistre en pleine campagne, et nous avons planqué dans le bois en face jusqu’au petit matin. C’est alors qu’un chien arriva en aboyant, les babines retroussées. Mon sang ne fit qu’un tour, quand soudain, à ma grande surprise, le chien s’avança vers moi en remuant la queue ! Je reconnus alors mon brave Mirza, moi qui me demandais depuis des mois où était passé ce chien ! Je m’approchai tout doucement et lui intimai à voix basse l’ordre de rester tranquille. Nous nous comprîmes d’un regard, Mirza est un malinois de la police, dressé à reconnaître tous types de drogue : un trésor pour des trafiquants !

Nous enfilâmes nos brassards de police et nous glissâmes discrètement dans la maison. Au rez-de-chaussée, se trouvaient des dortoirs sordides où se trouvaient de toutes jeunes filles. Nous avançâmes sur la pointe des pieds. Au premier étage, éclata le riff de « I can’t get no satisfaction », suivi d’une voix rocailleuse et puissante. Quel qu’il fût, le type avait du coffre. Nous mîmes à profit le niveau sonore pour débouler à l’étage supérieur. Et là, quel choc ! Sur une scène, se tenait un type énorme, vêtu d’un simple string et de boots de motard. De longs cheveux noirs tombaient sur ses épaules. Je reconnus Pierre l’Indien. Mais que venait-il faire dans cette galère, lui le saltimbanque ?

J’eus soudain la révélation : Marianne ! C’est vrai que Pierre en pinçait déjà pour elle, quand on jouait à la marelle  dans la rue où nous habitions tous les trois. Et à y regarder de plus près, Marianne et Luna se ressemblaient. Se pouvait-il qu’elles fussent une seule et même personne ?

Justement, elle était là, en déshabillé blanc. Nos regards se croisèrent et je sus que c’était elle. Cet instant ne dura qu’une demi- seconde, mais il sembla s’étirer comme un instant élastique et suspendu avant le déchaînement des événements. Les coups de feu éclatèrent des deux côtés. Mirza sauta à la gorge de Luna, puis la lumière s’éteignît. On me tordit le poignet, mon arme tomba, je me dégageai comme je pus. Je me glissai promptement à l’extérieur, à la recherche de bûches épaisses que j’avais repérées, et me ruai à l’intérieur. Les jeunes filles au rez-de-chaussée s’étaient réveillées et l’une d’elles avait réussi à rétablir la lumière. Un type fonça sur moi avec un couteau et je lui assénai un coup entre les deux yeux. Finalement, nous embarquâmes tout ce petit monde au commissariat.

Après avoir bien cuisinés nos prévenus, nous découvrîmes enfin, la clé qui nous permit d’identifier la structure de l’organisation et le nom de ses clients : du beau linge, croyez-moi ! Pendant des années, nous avions cherché à pénétrer leur réseau informatique, à la recherche des puces qui auraient pu nous livrer leurs secrets. Nous avions fait chou blanc, et pour cause ! Toute cette information était stockée à l’ancienne dans la réserve d’une médiathèque. Marianne était effectivement une documentaliste chevronnée, imbattable pour dénicher une poésie ouzbek, ou les thèses universitaires sur les petites bêtes les plus rares.

Après cette histoire, j’eus beaucoup de mal à consoler Pierre qui s’écroula en larmes sur mon épaule. Il m’expliqua que subjugué par sa belle, il s’était laissé entraîner dans cette histoire sordide. Il n’y a pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir !