Les reptiles avançaient, avançaient en bon ordre, menaçants, sinuaient ensemble comme s’ils avaient tous suivi la même musique envoûtante.

Il avait encore des impayés, c’était sa routine de pater familias. Cette fois encore, il n’avait pas acquitté sa… “contribution volontaire”, comme disait le parrain. Et le parrain, cette fois, en avait eu assez et l’avait fait jeter dans la fosse aux serpents. Pour l’exemple.

Il sentait comme un goût d’huître sous la langue, jusque vers les dents du fond. Maintenant tous les reptiles se trouvaient autour de lui. Il suait abondamment et une peur ancestrale, incontrôlable, faisait vibrer chacun des ses nerfs comme les cordes d’une sinistre contrebasse, une contrebasse sont le son s’amplifiait chaque seconde. Une contrebasse qui, dans sa mélopée, aurait entraîné, envoûté, animé toutes ces langues venimeuses.

Tout cela pour un manquement à la “contribution volontaire”.

Ils avaient fait irruption chez lui, comme une bombe, en faisant éclater toutes les portes. Il avait encore une fois plaidé : les fins de mois difficiles, la nouvelle grossesse de sa femme, ses trois enfants à nourrir. Rien n’y avait fait. Il n’avait plus réussi à trouver ces accents charmeurs qui tant de fois, trop de fois, l’avaient délivré des colères du parrain.

Une brise froide caressait son front. C’était fini maintenant.

 

Variante :

Les arguments se faisaient de plus en plus pressants, les demandes de plus en plus fermes et claires, chacune s’ajoutant aux autres comme un orchestre qui jouerait la fugue. La fugue… Sa fugue.

Encore une fois, il n’avait pas pu se décider, pas su se décider à tout casser, à rompre toutes ses amarres pour partir vers elle. Pour elle, il continuait à voguer comme un bateau qui passe au large, trop au large. Et elle en avait eu assez de cette routine, de cet amant qui la laissait trop seule. Alors, elle l’avait trompé – mais trompe-t-on son amant ? – pour le jeter dans les labyrinthes ou règnent les affres de la grande rage d’amertume. La rage, et l’amertume, et la tristesse, et l’impuissance rodaient partout autour de lui, dans cette geôle sans soupirail.

Il sentait cela dans son corps, et dès qu’il posait ses yeux quelque part c’était comme un vertige, comme un coup de poing qui lui faisait éclater l’estomac, une angoisse qui nouait et séchait sa gorge. Plus possible de déglutir ; pas même de vomir ses tripes. Plus un mot ne voulait sortir de sa bouche pour dire… mais pour quoi dire ? Même pas un pleur ne savait couler.

Tout cela pour un besoin d’amour qu’il n’avait su combler.

Tout doucement, depuis longtemps, mot après mot, elle l’avait préparé. Patiente. Il se doutait bien de ce qu’elle voulait lui dire, mais il n’avait rien à plaider pour sa défense, il ne trouvait plus les mots pour l’empêcher d’avancer, pour la retenir. Il ne pouvait rien lui donner de plus sans sombrer, sans engloutir toute sa vie et devenir un autre que lui-même, un autre, … différent, qui alors n’aurait plus su l’aimer, qu’elle n’aurait plus jamais voulu aimer.

Une brise glacée passait sur son corps. C’était fini, alors, c’était fini ? Il ne pouvait le croire.

 

 

atelier d’écriture juin 2020 : https://www.oasisdepoesie.org/forums/topic/dialogues-a-trous-et-apres-les-destinees/