Atelier du 27 novembre à Villenave d’Ornon
Lettre de Catherine
Chers amis,
Voici mon paradis printanier, niché au cœur de la Haute-Savoie ! N’est-il pas coquet, ce hameau, avec ses chalets posés délicatement au fond de ce vallon, cette oasis de verdure ? Un village de poupée si charmant que j’ai le cœur presque dévoré de remords, en pensant à vous que j’ai abandonnés au froid et à la grisaille de votre banlieue villenavaise…
Chaque moment de la journée est, ici, un enchantement pour le regard. Au matin, l’aube rose caresse doucement la cime des montagnes. Et puis, soudain, vers midi, c’est une féérie que cette lumière orangée de mai qui ranime herbages humides et pâturages verdoyants. Le soleil brille d’un éclat sans pareil et réchauffe l’esprit aussi bien que le corps.
On pourrait passer une vie entière dans cet écrin de verdure et ce silence intemporel…. Hélas ! il me faut revenir à la vie ordinaire : je rentre, mardi 10.
Mais j’aurai le plaisir de vous retrouver !
Gros baisers,
Corinne
Réponse De Marie à la lettre de Catherine
Chère amie,
Mais tu ne connais pas l’envers du décor, moi qui le connais bien ce lieu.. L’effroi y est pourtant à son comble, et ceci chaque soir de chaque jour de chacune des années que dieu fait !
Dieu ! Il a depuis bien longtemps déserté Chatel, ma pauvre amie. L’enchantement dont tu parles, l’aube rose qui caresse doucement la cime des montagnes, la lumière orangée qui réchauffe les herbages !!! De quoi rêves-tu là ! De l’apparence des choses, du simulacre de quiétude que ce lieu t’inspire !
Pauvre naïve, qui croit que le soleil la haut échauffe les esprits aussi bien que les corps…ne sais-tu donc pas entrevoir au-delà des images ce que le réel détient d’horrible et de menaçant ?
N’as-tu jamais voulu savoir pourquoi tous, jeunes et vieux, ont abandonné les lieux, muets et hagards ?
N’as-tu jamais pu imaginer que se joue toutes les nuits, le plus affreux des drames ?Des gens, il y en a partout, toutes les nuits, apeurés, résignés misérables ;
Imagine, ton paradis printanier est un enfer nocturne ou des êtres innommables dévalent les pentes en rangs serrés pour accomplir des rites sataniques, des bacchanales terrorisantes…
Nul n’a jamais pu les identifier, les nommer, les assigner à résidence. Tous se terrent et colmatent leurs fenêtres quand tombe le soir… des hypothèses sur leur origine et leurs desseins, mais jamais rien de vérifiable… la peur et encore la peur.
Des rumeurs sourdes et parfois des cris traversent la nuit et il nous faut nous cacher encore et attendre l’aube.
Je hais ta prose, j’abhorre ton décor de théâtre ; ce village est contaminé et il nous faudrait tous le fuir.
Tu périras de ta candeur, chère amie, ta prose parle d’un paradis imaginaire… des démons soulèvent tes montagnes, s’insinuent dans nos corps…tu es bien la seule à n’en rien savoir.
L’écrin de verdure et le silence intemporel dont tu fais état sont un leurre et ta cécité une infirmité
Pourras tu un jour, un soir plutôt , ouvrir réellement tes yeux abusés et cesser de nier l’évidence de cette terreur mystérieuse et machiavélique ?
Bien à toi
Marie
En lisant la lettre de Corinne, parfumée et colorée, on se retrouve dans un paradis vert foisonnant émaillé de fleurs au-delà de l’imagination.
Un hameau paisible ou l’on ne s’ennuie jamais, car il change de couleur et de texture en fonction de la position du soleil.
En revanche. La lettre de Marie est un récit impitoyable sur le côté obscur de ce petit vieux monde.
C’est comme si Corinne était face au côté brillant de la lune, regardant le ciel depuis la terre alors que Marie se tient, froide et effrayée, quelque part sur le côté sombre de la lune.
Certes, les deux côtés existent côte à côte. Il y a deux visages du même satellite.
Catherine, tu as peint ton paradis de telle manière que je préfère continuer à regarder le côté brillant de la lune. Et toi, Marie, tu as créé une scène si terrifiante qu’il est presque invitant à prendre la prochaine navette spatiale vers le côté obscur de la lune, d’être là juste pendant un court moment. Cependant, assez longtemps pour avoir le mal du pays et vouloir retourner à son propre monde rêveur.
Je vous remercie toutes les deux.