Un matin je me suis réveillé et j’ai dit stop !
Stop à tous ces écrans et ces objets qui remplissent mes journées et monopolisent mon temps.
Ma première décision a été de couper la chaîne qui me reliait à mes « amis » sur tous ces réseaux dits sociaux : Facebook, Instagram, Copains d’avant, Twitter, Linkedin etc.
Parlons-en de ces « amis » qui me gonflent avec leurs messages bourrés de fautes et d’une banalité affligeante, leurs photos édifiantes, leurs vidéos grotesques. Qu’en ai-je à faire de leur emploi du temps journalier, de leurs vacances, de leurs états d’âme, de la couleur et de la consistance des excréments de leurs rejetons, de la dernière recette du soufflé au camembert ?
Moi je veux de vrais amis, des amis en chair et en os !
Je prenais donc une résolution forte : je ne contacterais plus mes amis sur un écran, mais j’irai à mes amis.
Pour ne plus succomber à cette addiction électronique, je rangeais mon ordinateur en haut d’un placard à côté d’une vieille paire de chaussures, d’un grille-pain hors d’usage et du portrait d’une lointaine grand-mère. La Box qui trônait depuis des années sur une tablette dans l’entrée vint rejoindre à son tour son compagnon informatique.
Mon téléphone portable fut dépouillé de sa puce jetée pour un retour impossible dans la cuvette des WC. La carcasse irait rejoindre dans la poubelle jaune tous les éclopés de la technologie moderne. Je ne gardais que le téléphone fixe qui me permettra d’entendre la voix chaude de mes amis sans être inondé par un flot incessant de SMS à l’orthographe douteuse et aux éternels Emojs.
J’allais en faire autant avec la tablette quand j’eus l’idée de m’en servir pour caler la table de la cuisine, branlante depuis des années.
Cette initiative eut pour effet de déclencher l’ire de ma compagne. Branchée depuis l’âge de douze ans elle ne pouvait pas comprendre le bien-fondé de ma réaction devant l’addiction dont je venais de prendre conscience.
Lui ayant expliqué les raisons de mon changement de vie, sa réaction fut de descendre une valise, d’y empiler ses affaires et de m’avertir qu’elle retournait chez ses parents.
À son départ j’aurais dû être triste, mais j’avoue que je ne le fus point. À trente ans ayant eu enfin le courage de briser les liens qui m’enserraient aux écrans, rester en ménage avec une boulimique des connexions auraient été un frein à ma rédemption. La voir constamment avec son portable à la main m’était devenu insupportable. Entendre à tout moment du jour et surtout de la nuit le bip des mails arrivant sur son ordinateur m’était devenu intolérable. Elle ne se débranchait même pas pendant nos câlins. Ses écouteurs dans les oreilles la voir battre la mesure au cours de nos ébats coupait tous mes effets.
Depuis que j’avais succombé à l’ivresse des mails et des réseaux sociaux, mes « amis matériels » étaient devenus rares. Tout restait à faire !
Il était urgent que je rentre physiquement en communication avec l’univers m’entourant.
Maintenant à chaque fois que je montais dans un wagon de métro je hurlais « bonjour » à la cantonade. Je parlais à mes voisins, je les interrogeais sur leurs identités, leurs occupations et leurs projets. Il faut croire qu’ils avaient perdu l’habitude de communiquer, car certains se levaient pour aller s’asseoir à l’autre bout du wagon, d’autres soupiraient en m’écoutant poliment et je ne comprends pas pourquoi aucun n’a jamais voulu me donner son adresse pour que nous établissions des relations plus solides. Heureux d’avoir échappé au joug qui m’opprimait depuis des années, j’essayais d’expliquer à mes voisins de compartiment absorbés à tapoter sur leurs écrans, le bonheur qu’on a à parler et à fréquenter des amis en chair et en os. Il faut croire qu’ils étaient tous intoxiqués, aucun n’a eu la patience d’écouter, jusqu’au bout, mes discours. Et pourtant comme ma vie était devenue douce sans ces agressions médiatiques. Je dormais comme un nouveau-né. J’avais retrouvé la joie de manier un stylo pour rédiger mon courrier. C’est avec délectation que je pliais soigneusement mes lettres pour les glisser dans les enveloppes. C’est devenu une cérémonie de coller religieusement le timbre. Pour me faire encore plus d’amis, je déposais mes lettres directement au guichet du bureau de poste. Certes les réactions de l’employée n’étaient pas toujours aimables, mais j’étais compréhensif, il faut l’être avec ses amis, la pauvre femme avait peut-être des problèmes dans son couple. D’ailleurs elle me faisait pitié devant l’écran de son ordinateur, moi qui avais retrouvé la liberté. Ma liberté fut complète quand je dis à mon employeur que je refusais de travailler avec un ordinateur et que dorénavant j’exécuterai mon travail manuellement. Mais cet homme était obtus et me pria de quitter sans tarder l’entreprise. Je n’eus aucun regret à le faire en voyant les regards de mes anciens collègues collés sur leur ordinateur, indifférents à tout ce qui les entourait.
Les claviers m’étaient devenus étrangers. J’allais chercher directement de l’argent à la banque. J’avais rangé ma carte bancaire dans un tiroir et c’est avec délectation que je rédigeais mes chèques aux caisses des supermarchés. Cela me donnait l’occasion d’engager la conversation avec les caissières esclaves du commerce moderne et je voyais bien à leur air contrarié qu’elles étaient malheureuses de leur condition ou peut-être qu’elles pensaient que je prenais trop de temps ? Où peut-on trouver de nouveaux amis, si ce n’est dans les files d’attente ? Contrairement à autrefois où je repérais les files les plus courtes, je choisissais maintenant les plus longues afin d’avoir le temps de parler à mes voisins. Je voyais bien à leurs mines exaspérées qu’ils n’étaient pas encore conscients de la nécessité de communiquer avec son prochain. Mais Rome ne s’est pas bâtie en un jour…
Je ne désespère pas !
J’ai eu raison de ne pas me désespérer deux amis policiers sont venus me chercher. Ils m’ont parlé avec douceur et compréhension. Ils m’ont emmené dans une grande maison à la campagne où je me suis fait un nouvel ami, un psychiatre qui comprend ma lutte contre l’addiction dont j’étais victime. Plus qu’un ami c’est un vrai père pour moi, il me parle posément et m’écoute sans m’interrompre. Une amitié solide vaut mieux que mille amitiés superficielles…
Bravo Loki, je crois que c’est ce qui attend beaucoup de personnes ! Un sevrage drastique risque peut-être de faire déboulonner un bon nombre d addicts !! La réalité est assez triste tout de même, brillamment évoqué dans ta nouvelle !!
Qui va piano va sans.
Merci Carinne !
Cette petite nouvelle est parodique !
Bonjour Loki,
Ta nouvelle m’a fait rire comme un bossu.
Pourtant le contenu n’est pas marrant.
Je pense que le déclenchement de mes zygomatiques est lié à la correspondance entre tes exemples et ce que
je vis quotidiennement autour de moi et aussi à ta manière d’écrire, d’ amplifier et de rendre vivantes les
situations.
Merci.
A la fois drôle, triste et grinçant.
Monde de solitudes, au pluriel, mais qui ne se rejoignent pas.
Au final, qui est le plus fou…
Le fou ou celui qui le suit ? Le fou ou celui qui le fuit ?
Je ne sais pas à quel point je l’aurais trouvé soit attendrissant soit malaisant si j’avais été son voisin de file d’attente…
Bone chance à lui,
Soutien aux caissières.
Tellement vrai et que moi aussi je ressens à 100%, parfois douloureusement pour avoir essayé sans succès de rencontrer “en vrai” certains amis virtuels ou certaines amies virtuelles.
Je trouve ce texte que je qualifierais plutôt “d’essai” (on pourrait ainsi se passer de la conclusion) vraiment bien construit et agréable à lire. J’ai essayé de traquer la faute d’orthographe pour faire un petit pied de nez à l’auteur ; mais non, c’est impeccable ! 🙂
Je me suis délecté de ce texte. Il commence très fort :
Parlons-en de ces « amis » qui me gonflent avec leurs messages bourrés de fautes et d’une banalité affligeante, leurs photos édifiantes, leurs vidéos grotesques. Qu’en ai-je à faire de leur emploi du temps journalier, de leurs vacances, de leurs états d’âme, de la couleur et de la consistance des excréments de leurs rejetons, de la dernière recette du soufflé au camembert ?
Combien de fois me suis-je fait cette réflexion ?! Et les souhaits de bons anniversaires, automatisés, standardisés qui tombent en cascade (Ding ! Ding!) sur les groupes WhatsApp et Facebook ? Nous sommes tous contaminés et nous n’en sortirons pas mais ça fait tellement plaisir de le penser. Et nous pouvons prendre un peu de recul, tenter de ne pas sacrifier les vrais amis qui demandent temps et attention aux écrans qui bouffent nos loisirs et nous enferment. Aller au concert, au stade, au théâtre, au cinéma, au restau pour se retrouver, parler et se poser un peu pour écrire en évitant les fautes même si c’est parfois sans un total succès.
Une forme de résistance ?
Soyons optimistes, il me semble que ce temps a commencé et que tu n’es pas seul.
Merci Loki.