Après avoir transformé sans le vouloir sa femme et ses enfants en balles de jonglage, Robert le magicien pense d’abord à se suicider. Il monte en haut d’un immeuble. Au dernier moment, par peur, il abandonne l’idée de sauter. Il redescend pour s’apercevoir qu’un message qui lui est destiné a été laissé en bas de l’immeuble. « Pour Robert le magicien, Invitation ». Avec une adresse, 7 rue du Pré-Violet.
Le 7 rue du Pré-Violet est situé à l’écart de la ville. Robert est à présent au portail d’un grand manoir. Il est 19h 20. Il sonne. Le portail s’ouvre aussitôt. Il avance dans la cour intérieure, sonne à la porte du manoir qui s’ouvre également. Il entre.
Sur chaque marche de cet escalier, il y a une tête aux yeux vitreux de la mort. Il enjambe chaque tête. Il monte à l’étage, comme poussé par un pressentiment. Il pénètre enfin dans cette grande salle où l’attend un homme lui aussi vêtu d’une cape.
- Bonjour Robert. Je m’appelle Eric. Je suis comme toi, magicien… Sois le bienvenu Robert ! Tu veux savoir d’où viennent ces têtes ? Elles appartenaient à des prestidigitateurs, de vulgaires prestidigitateurs. J’ai transformé le reste de leurs corps en gel hydroalcoolique.
Soudain il se met à jongler… avec les balles qui étaient auparavant dans la cape de Robert, ces balles de jonglage qui étaient jadis sa famille en chair et en os. Il se rue sur cet homme, son ennemi. Mais une cage apparaît autour de lui dans un fracas sonore. Ses bras passent à peine à travers les barreaux.
- J’étais sûr que tu réagirais comme ça. Je vais te garder dans cette cage un moment si tu veux bien.
Eric continue de jongler avec les balles. Et au fur et à mesure, celles-ci disparaissent dans les airs, éclatant comme des bulles de savon.
- Fais ton deuil, Robert. Qu’ils soient changés en balles ou en vapeur, ta femme et tes enfants sont partis à jamais. Quand tu transformes quelqu’un en objet, tu le tues.
La dernière balle de jonglage disparaît sous les yeux impuissants de Robert.
- Je t’avoue tout, Robert. C’est moi qui t’ai donné ce pouvoir. Cette magie. Je t’avais longtemps observé auparavant. Je me suis dis que c’était ce qu’il te fallait. Devenir vraiment un magicien. Ce n’est pas de ma faute si tu as tout foiré.
-
Pourquoi as-tu fait ça ?!
-
J’ai besoin de toi mon Robert. Il me fallait un autre magicien, pour qu’à deux nous puissions faire de grandes choses…
-
On… On ne se connait pas ! Et de quelles choses parles-tu ?!
-
Des choses comme… Transformer les gens en balles rebondissantes, qui à leur tour transformeront d’autres gens en d’autres balles…
-
Tu es un fou dangereux…
-
Mon cher Robert, tu t’es avéré être un vrai danger public. On se complète bien, non ?
-
Je dois t’empêcher de nuire… coûte que coûte.
– Comment tu comptes faire ça ?
– Tu l’as dit : Je suis un magicien…
Robert se concentre. Ne pense à rien. Il éloigne les mauvaises pensées. Sentiment de solitude. Mais aussi de détermination. Il se concentre, l’espace lui appartient. Il agite ses doigts. Il fait disparaître la cage. Avance face à Eric.
- Toi qui m’observes depuis longtemps, tu devais te douter que ça n’arriverait pas. Je ne te suivrai pas dans tes ténèbres.
-
Je comprends ta peur, Robert.
-
Abracadabra…
Robert le magicien transforme Eric en balle d’argile.
En descendant l’escalier, il change les têtes mortes en oiseaux. En sortant du manoir, il réduit le manoir en maison de poupées.
En marchant le long de la route, il jette la balle d’argile dans le fleuve.
- Quand tu transformes quelqu’un en objet, tu le tues…
Il continue de marcher au bord du cours d’eau.
- Et moi maintenant ? Que vais-je devenir ?
Et s’il se transformait lui-même en quelque chose ?
En une série de balles qui rebondiraient jusqu’au ciel, au point de faire chuter les étoiles…
- Abracadabra…
FIN
Vico ! J’avoue que je suis un peu déçu par cette deuxième partie, non point parce est qu’elle est mal écrite, mais elle ne correspond pas à ma sensibilité.
J’aime les contes, mais le tien est un peu trop morbide à mon gré…
Désolé.
Merci d’avoir publié la suite.
J’hésite entre l’allégorie qui me reste impénétrable, une deuxième lecture possible et plus philosophique, ou tout simplement l’évocation d’un rêve / cauchemar mal terminé qui pourrait faire les délices d’un psychanalyste.
J’ai trouvé la chute un peu laborieuse, il me semble que les 5 dernières lignes ne sont pas indispensables, mais ce n’est que mon opinion.
@Loki : Je suis sûr que notre camarade Vico accepterait qu’on imagine pour ce texte des deuxièmes parties alternatives où, peut-être, on ressusciterait sa petite famile… 🙂
Hello Vico,
Je viens de lire les deux parties de Robert le Magicien. J’en ressors à la fois intéressé, mitigé et enthousiaste.
Dès la partie 1 j’ai trouvé certains éléments originaux, notamment dans l’aspect horrifique humour noir : Ce passage où le lotissement de Robert redevient une forêt primaire. Cet aspect non-retour de la magie, magie qui semble être plus ou moins contrôlable, terrifiante d’irréversibilité. Cette phrase : « Quand tu transformes quelqu’un en objet, tu le tues ».
Autant d’éléments qui appuient sur une horreur originale, loufoque autant que terrible, avec un fonctionnement à la fois logique et absurde.
J’aime bien les dialogues entre Robert et Éric, même si je les trouve un peu expédiés. Le personnage d’Éric est… intriguant. Je trouve son comportement énigmatique, comme une conséquence d’enjeux cachés, non révélés au lecteur. Il y a aussi sa dernière phrase : « Je comprends ta peur, Robert. ». Hm… Voilà qui est bien mystérieux…
Ce qui m’a un peu manqué, c’est peut-être s’en savoir plus sur Robert et Éric, sur leurs pensées, leurs affects.
Ton texte accueillerait volontiers, je pense, davantage de passages narratifs entre les lignes de dialogues pour les rendre plus impactant, de détails sur le manoir pour rendre le lieu plus réel, plus palpable.
J’aime bien la fin, je ne saurais dire pourquoi.
Cette fin me semble triste. Robert semble mourir… ou pas ? Le dernier mot, Abracadabra, est à présent teinté d’un passé sinistre, d’un vide inquiétant, d’un mystère implacable. On a la sensation d’un processus mécanique qui arrive à sa fin, presque comme si ce mot n’était qu’un signal sonore émis automatiquement par des êtres aliénés, guidés désormais par une force qui les dépasse, qui les fait agir de façon absurde, une magie corrompue qui amène tôt ou tard les êtres vivants à devenir de simples objets, soit en se transformant eux-mêmes, soit en se métamorphosant les uns les autres, volontairement ou par accident.
Beaucoup de métamorphoses. Et beaucoup de têtes séparées de leurs corps (têtes changées en oiseaux, tiens, là c’est l’inverse, de la matière morte recyclée en matière vivante – une tentative de Robert de conjurer le sort ?). Bon sang tout de même, pauvres prestidigitateurs…
Je rejoins un peu Hermano : « …l’évocation d’un rêve / cauchemar mal terminé qui pourrait faire les délices d’un psychanalyste. ». Mais j’aime aussi les histoires dont je n’ai pas les clefs. Si ces histoires me happent suffisamment, alors c’est gagné, j’imagine. Ça a été le cas avec Robert le magicien.
Je trouve également, que ce récit pourrait en effet se prêter à des fins alternatives, voire à l’écriture d’une suite. Ou pas. À l’auteur de décider !
Merci pour l’imaginaire, Vico. Au plaisir de se lire sur Oasis…
Merci pour vos retours !
Merci Tom pour avoir développé. On peut parler d’analyse, je pense. C’est bien vu. Tu m’as fait redécouvrir ma nouvelle !
Pourquoi pas, Hermano, oui, imaginer des deuxièmes parties alternatives, ou des suites… je vais proposer un atelier dans ce sens…
A bientôt.