J’aurais pu vous écrire une nouvelle épistolaire destinée aux initiés, à l’élite, à la crème, au divin. J’aurais pu vous raconter un suspens insoutenable, énigmatique et sombre, au nom de notre complicité au sourire entendu et silencieux, excusant mon délire pathétique et mes traits assassins. J’aurais pu dessiner des alexandrins pour vous dire je vous aime. J’aurais pu vous envoyer une lettre en poste restante qu’un jour peut être, un préposé désœuvré aurait lue en diagonale, avant de la jeter à la poubelle. J’aurais pu vous déverser mes histoires de famille, les bonnes et les mauvaises, celles qui font sourire et celles qui font pleurer, celles qui sont cachées dans les sens interdits…
J’aurais pu, j’aurais pu mais je ne l’ai pas fait, va savoir pourquoi…
Par paresse ? Par procrastination ? Par peur de libérer à nouveau les vieux démons que j’ai mis du temps à calmer dans leur coin ? Par sensation d’avoir déjà un peu tout dit ? Par besoin vital désormais d’un monde neuf où chaque pierre apportée à l’édifice se doit d’être le plus vierge possible de traces de rancœurs, de cauchemars à remords et de cris de colère ?
J’ai le sentiment depuis peu de m’orienter vers cette dernière solution. La sagesse me guette mais elle est aveugle et tâtonne maladroitement pour trouver la sortie du labyrinthe. Elle se cogne, se trompe de sens, repart en arrière, se désespère mais finit toujours par avancer.
Ma sagesse est têtue ; elle a envie de vivre !
J’ai longtemps (du moins il me semble que cela fait longtemps) écrit sans me préoccuper de l’incidence de ma production verbale, m’abritant derrière la sempiternelle certitude que je me devais d’écrire sans censure aucune et tant pis pour celzéceux que cela pouvait choquer.
C’était plutôt facile pour moi, car, il fut un temps où les mots naissaient dans ma tête sans crier gare, sans trace de croissance et de maturation apparente. Ils jaillissaient, insolents, indomptables avec le besoin impérieux de trouver la sortie sous peine de mort rapide par suffocation avec l’insupportable spectre de tomber dans un puits sans fond, dans le noir de l’oubli… Peut-être une sensation de mourir sans avoir été ou quelque chose comme ça…
Le paroxysme de ces éruptions se produisait généralement aux premières contractions du ventre de la nuit précédant l’inéluctable enfantement du jour.
Je les entendais crier, me supplier de les sauver, de leur offrir refuge dans les limbes de ma mémoire encore vive. Les mots étaient alors en pleine forme et dessinaient dans mon demi sommeil embrumé des formes fascino-inquiétantes, des danses envoûtantes, des paysages époustouflants, des voyages immortels…
De ce geyser dithyrambique et formidable, bon nombre d’entre eux disparaissaient presque aussitôt dans une vapeur lumineuse se dissipant en nuage translucide.
Généralement au réveil, il ne restait qu’une poignée de rescapés, les meilleurs, je ne sais pas mais sûrement les plus tenaces puisqu ils avaient réussi à s’installer dans ma conscience avec l’incontournable mission de les sauver de l’oubli en leur offrant la vie éternelle dans les draps blancs d’un lit de papier ou d’un écran lumi-naissant. Mes mains se mettaient alors à leur service. Parfois même souvent, avant toute chose, le corps et l’esprit encore frissonnants de ces énigmatiques voyages nocturnes, je jetais le contenu du sac en vrac, comme les pièces d’un puzzle.
Devant moi alors, un gros tas de mots fait de lueurs passagères, de fantasmes refoulés, de bouts de phrases, de bribes d’alexandrins, de rimes improbables…
Un joyeux bordel, en somme, sauvé du naufrage.
L’état d’urgence étant désormais passé derrière nous, les mots et moi, j’avais l’autorisation d’aller faire pipi dans le jardin et de saluer les chênes dans la fraîcheur matinale puis de prendre un petit déjeuner revigorant avant de commencer l assemblage du puzzle…
Sans tarder, sans tarder…car déjà en préparant mon café, des idées fusaient dans ma tête pour mettre les choses en place afin de rendre la future chose présentable au monde du réel…
J’aurais pu donc enclencher le processus et vous saouler à nouveau de mes émerveillements chaotiques, de mes coups de tristesse, de ma houle lénifiante, de mon vague à l’âme…
Mais… non…
Désormais, je peux vous parler de la pluie et du beau temps sans y dissimuler une allusion subtile à un passé délétère. Désormais, je peux saisir un sourire croisé dans une rue éphémère sans y voir forcément une douce machination destinée à me pourrir le reste de ma journée avec le ricanement persiflant de ma solitude ragaillardie qui se réinstalle aussitôt au beau milieu du lit. Désormais je peux écrire autre chose que le constat amer de mes états d’âme.
Nous y voilà…
J’avoue que l’inspiration me manque et que les mots ne se bousculent pas au portillon. S’autoriser à être heureux n’ enclenche pas automatiquement l’ouverture du manège à bonheur, surtout que j ‘ai pris la sale habitude d’endosser l’habit du poète maudit poursuivi par une funeste destinée.
Là, je sais faire et j’ai encore en stock moult tirades et autres images qui feraient pleurer les plus récalcitrants, les blindés du sentiment et autres esclaves de leur ultra violence dans ce monde terrifiant qui n’appartient qu’à eux.
Mais non, c’est décidé.
Désormais, je chanterai l’Amour pur ou je ne chanterai plus…
Fini de vous inquiéter à mon sujet, fini de vous faire subir mes lamentations de victime courageuse, fini ce parcours jalonné de pièges à feu dans les ornières du passé.
Et puisque demain est demain, paraît il, j ‘ambitionne à l’avenir de faire mon Édouard à la force tranquille, mon Joël imprévisible, ma Sophie tourbillon ou bien ma Virginia et ses mots papillons !
Que c’est bon de se glisser dans le fond de nos consciences et de se lover dans cet amour cadeau !
Que c’est bon d’écrire le bonheur avec les lettres de l’Amour !
Alors, oui, je reconnais que mon style risque de tourner un peu à la guimauve sirupeuse et dégoulinante d’un adepte forcené de la méthode Coué mais bon, ma décision est prise et même si je ne trouve pas les bons mots pour écrire le bonheur, l’essentiel n’est il pas de le vivre ??? …
A suivre…
Mr O
J’ai adoré ton texte, il pousse à son paroxysme l’art de ne rien dire !
En effet, c’est un art d’écrire une centaine de lignes pour finalement découvrir que l’on n’a pas fait avancer le Schmilblick.
Pour parodier, Pierre Dac, dont je suis fana : « celui qui n’a rien à écrire, en écrit autant que celui qui n’en écrit pas plus que lui ! »
Ta nouvelle est un régal pour mon esprit, et c’est très justement pour cela que l’algorithme qui gère le site l’a placé à côté de mon texte intitulé « Chaos ».
Jouer avec les mots et les phrases n’est pas à la portée tout le monde et il faut savoir bien nager pour plonger dans l’absurde. Dommage que tu termines ton texte comme si tu regrettais ta logorrhée épistolaire en parlant de bonheur et d’amour.
Ce qui précédait suffisait largement à lui-même !
J’aime analyser les discours de nombreux hommes politiques, certains ont atteint un summum pour parler, une demi-heure, sans rien dire !
Je pense qu’il y a là, un filon à creuser pour toi, leur proposer tes services pour rédiger leur discours…
Une introspection un peu fataliste ou désabusée de l’écrivain qui s’auditionne pour délit de page blanche.
Que tout cela est fort bien écrit, je trouve, et agréable à lire jusqu’au bout !
Un écrivain qui veut se retrouver au premier matin du monde, libéré du fardeau des haines, des rancœurs (tiens, il y a « cœurs » dans rancœurs !), ou bien, tel un grand sage, tel Ulysse « plein d’usage et raison », s’élever au-dessus de la meute pour seulement évoquer le beau, le pur, le vierge, le parfait.
Je ne sais… mais ô combien cela me parle fort.
Combien aussi me parle cette écriture pulsionnelle, celle que je préfère pratiquer, celle qui me saisit le plus souvent, mais de moins en moins je l’avoue. Je confesse par ailleurs que moi aussi j’ai des chênes dans mon jardin pour les mêmes usages et que je me booste au café au lait.
Alors, OK pour l’Amour? Chiche !
J’espère que ta prose ou ta poésie resteront aussi percutantes, et si guimauve il y a nous ne manquerons pas de le dire en commentaires pour le meilleur et pour le pire ! 😊
Je gamberge à propos d’Edouard, de Joël, de Sophie et de Virginia qui ne manquent pas de m’interpeler.
Sont-ce Glissant, Dicker, Rostopchine et Woolf, ou plutôt Balladur, Robuchon, Binet et ma voisine ?
Quoique, lorsque du passé il faut faire table rase comme je le comprends dans ton texte, tous ceux-là sont déjà hors-jeu !
À bientôt donc sur cet écran pour une suite et merci pour cette confession que j’ai appréciée du début à la fin.