Fanfan La Tulipe
“En avant, Fanfan la tulipe, en avant La Tulipe en avant !“. La jeune troupe avançait en martelant le bitume : “En avant, Fanfan La Tulipe, en avant La Tulipe en avant !“. Le jeune abbé qui menait la troupe était un romantique, il portait depuis toujours dans son bréviaire cette marguerite séchée à la page 63, l’année où il l’avait cueillie sans jamais oser l’effeuiller.
Bien sûr, il y avait eu quelques tentations dans les dortoirs du séminaire, où régnait souvent au printemps cette odeur entêtante des lys en bouquets de la chapelle toute proche, mais jamais il n’avait succombé à une défloration furtive. Il n’y avait que Dieu, seulement Dieu, mais aussi une étrange attirance-répulsion pour Charlotte Rampling dans “La chair de l’orchidée” qu’il avait vu en cachette l’an dernier, par simple curiosité, pour ne pas mourir idiot, un soir de 1975 où il se trouvait seul à Paris.
Bien sûr, il avait lu aussi “La faute de l’abbé Mouret” d’Émile Zola, avec cette fin incroyable où Albine se laisse enivrer jusqu’à mourir dans le parfum des fleurs amassées dans sa chambre, et son esprit romantique en avait était comblé. Mais non, il n’y avait que Dieu, seulement Dieu et cela lui suffisait, au moins s’en persuadait-il.
Dieu n’avait-il pas inventé les fleurs des champs qui caressaient les mollets de ses balades dans la campagne et dans la montagne ? Les aquilées, les gentianes, les pieds d’alouette, les éclatants boutons d’or, les giroflées au tendre parfum, les modestes fleurs de lin, les anémones si gracieuses, et ces coquelicots qui refusaient d’être cueillis, ces crocus si hardis au printemps et les délicieuses colchiques mauves de l’automne.
Dieu n’avait-il pas conçu les fleurs les plus prestigieuses ? Les camélias, les pivoines – ah ! les pivoines ! -, et ces grands lys qui fleurissaient les cathédrales avec les bouquets d’arums et de glaïeuls qu’il aimait arranger pendant des heures sur les autels, avec autant de vénération pour ces merveilles que pour Dieu lui-même.
Le jeune abbé fut tiré de sa rêverie : “En avant, Fanfan La Tulipe, en avant, La Tulipe en avant !”. La troupe continuait d’avancer d’un bon pas, il fallait arriver avant la nuit au château où Flora, la belle comtesse florentine leur avait réservé une grange pour dormir. Elle était jeune et belle.
Était-ce Fanfan La Tulipe qui lui donnait aujourd’hui ces airs de Gina Lollobrigida ?
Pendant que les garçons se reposaient après un copieux goûter offert par la comtesse, prenaient leurs quartiers dans la grange, et se préparaient pour le pèlerinage du lendemain, celle-ci proposa au jeune abbé de lui faire visiter ses jardins. Après le labyrinthe des buis, ils s’enfoncèrent dans une roseraie qui paraissait interminable. Tout cela contrastait tellement avec son jardin de curé au désordre pourtant si plein de charme. La comtesse, entre de longs silences, citait le nom d’une rose et se penchait pour en respirer le parfum. Elle lui souriait sans cesse et, lorsqu’elle lui effleura la main, il ne sut pourquoi il eut envie de l’embrasser, de la tenir dans ses bras. Elle aussi, pensait-il, comme toutes ces fleurs, était une créature du Divin et il ne put résister. Bien maladroit, il posa sa main sur le cou de la comtesse Flora, approcha ses lèvres et l’embrassa sur la joue. Aussitôt, il sentit un parfum de violette qui émanait de ses cheveux et quand elle pressa ses lèvres sur les siennes c’était comme la douceur d’un pétale de rose.
Elle lui prit la main pour le conduire jusqu’à la serre au fond du parc où ils furent à l’abri des regards.
Dieu avait bien fait les choses ce jour-là.
Décidément les fleurs sont à l’honneur sur le site !
Est-ce l’atelier sur ce thème qui a déclenché le processus ? Ou l’arrivée du printemps ? Les voies du seigneur sont impénétrables…
Quoi qu’il en soit le seigneur a permis la rédaction de cette nouvelle singulière.
Singulière déjà par le titre et le héros.
L’analogie entre le jeune abbé et Fanfan un coureur de jupons hors pair et un fin bretteur n’est pas évidente.
Situer l’action dans les années 1975 non plus. Un abbé blanc de peau est rare en cette période où l’Église subit une grave crise de recrutement et va chercher ses curés en Afrique.
L’attirance-répulsion pour Charlotte Rampling dans “La chair de l’orchidée” est effectivement plus qu’étrange.
Que le jeune séminariste ait lu “La faute de l’abbé Mouret” d’Émile Zola est aussi improbable.
Ce qui est moins improbable c’est qu’il succombe au charme de Flora. La chair est faible ! L’Église l’interdit, mais pas Dieu.
Les jeunes garçons actuellement ont d’autres fantasmes, le mien a été Gina Lollobrigida.
Est-ce aussi un fantasme de l’auteur ?
Cette promenade pourtant classique parmi les fleurs est pleine de charme.
Classique aussi cette idylle qui se noue dans la roseraie.
Un scénario mille fois répété dans la littérature, mais nos cœurs d’enfants ne s’en lassent jamais.
Peut-on ajouter : ils se marièrent et eurent de nombreux enfants ?
Ou d’une façon moins poétique : l’abbé avait pensé à se munir de préservatifs…
Merci Loki pour avoir lu et commenté mon modeste récit. Il est vrai que c’est une histoire qu’on connaît déjà un peu…
Mais pour répondre à tes remarques, rappelle-toi tout de même que 1975, c’était il y aura bientôt 50 ans et qu’il y avait encore quelques vocations.
Quant à la chair de l’orchidée et à la faute de l’abbé Mouret, j’ai coutume de dire qu'”on ne sait jamais ce qui se passe sous les teeppees”, mais je pourrais peut-être en dire autant pour les soutanes 🙂 !
P.S. Il n’y a pas que que Lollobrigida dans la vie, Loki, il y a aussi Sophia Loren ! 🙂 Je recommande ; autant que les jardins à l’italienne.
Hermano !
Je n’ai aucun mérite d’avoir lu ta nouvelle.
Le titre m’a tout de suite fait penser à Gérard Philippe qui fait partie de mon passé. Cette nouvelle signée de ton pseudo ne pouvait qu’un gage de qualité…
Certes Sophia Loren… Mais chacun ses goûts, la nature est bizarre. Chez les individus mâles, les hormones ne bouillonnent pas toutes pour le même fantasme !
Il y avait aussi Brigitte Bardot, Marylin Monroe…
Bonjour Hermano,
je reconnais toute la qualité littéraire de votre texte, propice à la rêverie d’un monde, hélas pour bien des raisons, disparu à tout jamais de notre univers,
J’ai lu ces écrits avec beaucoup de plaisir ; l’écriture est jolie ; on imagine, on sent les parfums ; “l’interdiction” donne du piment et de l’humour à l’action.
Merci Hermano!
Merci à vous d’avoir lu et commenté :
@Loki : la reine restera pour moi Audrey Hepbrun. D’autres charmes…
@Bouloche : je ne suis pas du tout un tenant du “c’était mieux avant”, mais où seraient les délices de la nostalgie si tout continuait de manière immuable ?
@Nima : ravi de t’avoir parfumée et même pimentée !
Comme tout cela est bien écrit ! Une danse dans les fleurs, de la tulipe à Flora, fleur d’un autre genre si belle en son jardin. On souffre pour ce jeune prêtre qui finit par succomber à l’ivresse du péché, divin lui aussi. Oui les fleurs ont quelque chose de puissamment sensuel et c’est très bien rendu dans ton texte. Le récit d’une rencontre romantique, évidemment un peu corsée par le fait que le jeune homme est prêtre. Puissance de la création, parfum vénéneux de l’interdit.
Merci Chamans pour le détour par ce jardin et pour ton commentaire.