La Brèche

Petite mûre

Précieuse, amoureuse

Epicée, dure croquante et juteuse.

Fruit d’amour dans les ronces, à saisir, accroupie, sur la pointe des pieds.

Sanguine

Rouge, noire

Abondante surprenante rare, trésor sucré et âpre, de balade en enfance, solitaire, à deux. Au côte du muret, du chemin, du sentier, là bas tout au bout

Où je t’aperçois soudain sur un talus,

Le regard lointain

Le crayon à la main.

Tu dessines

En attendant.

Le jus coule dans mes mains, bouche rouge

Je m’arrête. Et je te vois.

Nous sommes sur le chemin des capitelles, parsemé de pierres sèches, de murets. Le sentier m’a conduit vers un talus où tu sembles rêver un peu. A part.

Je fais un pas puis un autre.

Je suis près, tout près.

Tu lèves les yeux. Le jus coule dans mes mains tu me regardes. Je me lèche un doigt puis l’autre distraitement. Tu souris ton crayon en l’air.

Je vois le sentier qui court au-delà du talus

Tes lèvres s’animent

Un sourire éclaire ton regard. Ta voix est rauque, basse.

Je marche j’avance un peu, un pas puis l’autre. Une mèche de tes cheveux danse dans l’air.

Tu lèves ton crayon et me montre un point plus loin.

Je ris.

Il y a un autre buisson près d’un mur près d’un arbre près d’un autre et encore des mûres. Tout un bosquet. Et puis des ronces.

Je me hausse sur la pointe des pieds, goulue. Le jus, le sucre et l’amertume. Et je me griffe aussi.

Et petit à petit j’avance. Dans le buisson, un mur.

Il y a une brèche dans ce mur. J’y vais.

  • Ohé la fille où es tu ?

J’entends, j’écoute le son de tes pas crisser sur le sol caillouteux. Attentive à l’écho de ta voix. En moi.

Et soudain, tu es tout près. Juste de l’autre côté du mur.

A un pas l’un de l’autre.

J’entends ton souffle.

Tu appelles encore.

Tout est silence en moi. Comme toujours.

Vais-je gratter ce mur entre nous ? Vais-je oser ? Je t’entends. Tu pousses les feuilles, tu écartes les ronces, tu dégages un pan du mur de l’autre côté. Et non, tu n’as pas vu la brèche dans laquelle je me suis glissée.

  • ohé, lances-tu de nouveau

Tu es plus loin. Juste un peu. Si je pouvais, je t’appellerais.

Je reste paralysée immobile silencieuse effrayée.

Mais tu as peur, me dis-je, d’un garçon qui dessine seul dans la garrigue.

Il a un beau regard qui contemple. Il te cherche, il t’appelle.

Toi tu restes cloitrée, cachée dans ta brèche, aux aguets.

Le silence revient. Le chant d’un oiseau, des battements d’ailes. Des pas semblent s’éloigner.

Il part. Je suis si triste, perdue déjà.

Alors tout de même, je sors de ma cachette, m’extirpant des feuilles, escaladant le muret, de l’ombre d’une capitelle, et je sors, je cours, cours vers les pas qui me cherchent sur le chemin.

Il m’entend enfin et se retourne.

Nous nous voyons vraiment. Sourires.

Il parle doucement. Ses yeux questionnent.

Mes mains couvrent ma bouche et je baisse les yeux.

Comment lui dire ? que je suis muette.