Un matin blafard de novembre
La neige poudrait la rue
Un vent féroce
Jetait les flocons
Aux visages des passants
Je vis
L’indicible
L’atroce
Le monstrueux
Le terrible…
Je vis
Un homme
Ramassé
Sous de pauvres vêtements
Au visage abîmé, ravagé, émouvant
Pieds nus
Bleus de froid
En sang
Traverser
Le pavé
En glissant
Au péril de sa misérable vie…
Première lecture : je pense ne pas me tromper en disant que ce texte parle d’un clochard, appelé SDF de nos jours, dont le narrateur croise le chemin dans la rue. Cruauté de ce monde, des injustices, des regards baissés par la honte de ceux qui sont exclus de la société, par cette autre honte de faire partie de cette société et de ne pas tendre la main, ou tout du moins pas assez… La déshumanisation qui, par un échange furtif de regards devient insupportable, intolérable, indicible…
Et puis, je l’ai relu maintes fois. Enfin, je me suis dit que ce texte représente une sorte de voyage dans le temps et l’espace. Projeté dans l’avenir, le narrateur se trouve face à sa propre image : il n’est plus ni beau, ni grand, ni riche.
Ou ce vieil homme est-il peut-être l’aimé retrouvé dans le futur ?
Peu importe qui est cet homme, pourquoi cette rencontre devrait-elle être indicible ?
Terrible vision hélas banale, à laquelle il ne faudrait s’habituer. La misère est là sous nos yeux qui s’en détournent. Ce que ne fait pas ton poème qui, paradoxalement, trouve les mots pour nous dire sa réalité. L’indicible est sans doute à l’intérieur, dans le coeur de cet homme qui traverse le pavé en glissant, et dans notre froideur.
Purana : il y a plusieurs années, alors qu’une navette rapide m’emportait vers ma destination, j’eus la vision fugitive d’un homme déchaussé, vêtu de pauvres hardes et qui tentait de traverser la rue enneigé, je remarquai ses pieds nus.
J’avoue ce triste spectacle me hante encore aujourd’hui.
Chamans : on ne peut jamais s’habituer et pour moi il n’y a pas assez de mots pour décrire l’abominable, la souffrance humaine, d’où l’indicible.
Notre société ne veut plus voir ses vieux.
Autrefois ils vivaient dans la famille.
Maintenant les EHPAD font l’affaire…
Ce poème me fait revenir une histoire en mémoire que m’avait racontée mon père et l’enfant que j’étais avait été impressionné !
Dans cette histoire, inspirée d’un fabliau moyenâgeux, un homme qui veut chasser son père reçoit une belle leçon de morale de son propre fils. Un riche paysan s’est dépouillé de ses biens en faveur de son fils. Loin d’être reconnaissant au vieillard, ce fils indigne ne tarde pas à faire comprendre à son père qu’il lui est une charge et qu’il ne veut plus le nourrir. Le vieil homme demande au moins une couverture pour se protéger du froid. Le fils envoie son petit garçon chercher une couverture, mais l’enfant la coupe en deux et n’en remet que la moitié à son grand-père. À son père qui lui en fait reproche, il répond qu’il garde l’autre moitié pour lui, quand, devenu vieux à son tour, il le chassera lui-même de la maison.