Une fourmi marche sur ma nuit blanche
Elle va et vient
Dans les replis compliqués de mon âme
Qui finit par lâcher prise, à demi trempée de sommeil
Ma fourmi,
Car c’est bien la mienne, toujours la même
Cherche, se trompe
Revient, infatigable, aux mêmes chemins tortueux
Se cogne aux frontières de mon crâne
Dont elle est maîtresse pour des heures
Elle s’affole, repart sur ses pas
Gratte un peu
La croûte de ce surmoi fangeux
Égare ses pas
Dans un labyrinthe de matière grise
Explore les arcanes de cette éponge
Qui me sert à penser
Ainsi,
Dès que la nuit vient, elle est chez elle
À bien triturer mes angoisses
Une par une
Trouvant les boîtes à secret
Ouvrant toutes les portes
Et, étrange insecte
Installant ce courant d’air poisseux
Comme une honte entre mes neurones
C’est la nuit, elle en profite
Je la sens naviguer comme cela
Dans les avenues
Ou les chemins creux et désertés de mon cerveau
Je la laisse faire
Je ne sais pas la chasser
Elle va et vient dans mes bibliothèques
Fouille au fond des trous
La vérité que la nuit me refuse
Puis repart sur d’autres chemins d’hypothèses
La fourmi de mes nuits blanches
Infatigable
Comme une torture asiatique
M’envahit jusqu’au matin
Elle découvre des inconnus traînant
Des masques douloureux
Des maîtresses oubliées
Aux pâles voiles de sourires
Et mes vieux amis, perdus
Au fond des tiroirs du temps
Mes hantises de toi
Auxquelles elle n’ose pas toucher
Mes sursauts compliqués
De celui qui veut sans vouloir
Qui sait sans savoir
Et qui doute du doute jusqu’au
Fond du sac où il n’y a même plus
L’Espérance
.
Fascinée et en même temps effrayée, j’ai lu ce poème qui fait dresser les cheveux sur la tête.
Une fourmi se frayant un passage dans les étroites allées du cerveau, grattant et creusant dans l’ombre de la nuit, sans fatigue et sans honte, jusqu’à déterrer tous les secrets, exhiber les vieilles blessures et ramener les rancunes oubliées à la surface… elle commencera à les mâcher et à les grignoter l’un après l’autre.
Rien n’échappe à l’horrible fourmi, excepté cette obsession, ce simple “toi”, qu’elle n’ose pas toucher.
L’expérience de l’anxiété d’un être humain, couchée magistralement sur le papier par un poète.
Le résultat est ahurissant.
Bien qu’à la première lecture cela donne l’impression d’un poème sombre et déprimant, après plusieurs lectures, je crois avoir découvert un processus presque inconscient pour faire en sorte de se débarrasser de ce qui blesse encore, bien que profondément enfoui dans la conscience.
Le narrateur semble avoir créé lui-même cette fourmi, puis l’avoir cachée pour faire le sale travail à sa place, pour détruire les créatures qui l’ont si longtemps tourmenté.
On dirait qu’il a inconsciemment travesti son esprit pour la seule chose qu’il souhaite garder : l’obsession pour sa bien-aimée : “toi”.
Un de tes meilleurs, Hermano.
Bravo !
Merci Hermano pour ce magnifique poème qui nous fait très bien partager les tortures de l’insomnie grâce à des images riches et sensibles. La petite fourmi semble à la fois bourreau et victime: affolée, elle revient sur ses pas, patauge dans le surmoi fangeux, se retrouve coincée entre le crâne et les galeries de l’encéphale. Elle est perdue, telle un mineur au fond de ses galeries, galeries où seule brille encore la lumière de “toi”; vibrante et douloureuse.
J’ai beaucoup aimé ton texte et je me plais à imaginer cette fourmi noire dessinant les notes d’une sarabande sur la portée de la nuit blanche.
Merci à vous deux pour ces louanges et ces interprétations qui, je l’avoue, me font un peu sourire.
Comme toujours, j’ai écrit cela rapidement, sans reprendre mon souffle.
Oui, tu as raison Purana, cela peut être aussi efficace et coûter moins cher que certains divans où l’on s’allonge.
Alors, vivent le lâcher-prise et la poésie ! ?♀️