Un jardin est sorti de ton corps.
Je le savais : tu es une femme-jardin. Chaque mouvement
de tes paupières,
chaque vibration de ton corps est une brise douce.
Mes mains laissent leur empreinte
sur ton sable frais ou brûlant, selon les heures.
Dans ma tête, le crabe tourne en rond.
Le crabe me ronge les yeux.
Je ne peux plus voir, seulement respirer,
sentir, sentir le jardin
et toucher.
Toucher la pluie ruisselante sur ton ventre, écouter ton souffle
vert, goûter les fruits sucrés ou pleins
d’une amertume qui m’étonne.
Je suis aveugle, mais ma tête est pleine de tes couleurs,
de tes feux d’artifices nacrés quand tu palpites,
de tes aurores pâles quand tu t’apaises.
L’orage est passé, une odeur de terre mouillée monte de toi,
une odeur
d’humus tiède
dont je veux retenir chaque atome.
Je me concentre, je fais le vide,
seulement toi, la femme-jardin,
moi l’aveugle, et l’odeur,
l’odeur qui me chavire,
m’invite à m’allonger dans ta moiteur tropicale.
Mes gestes sont lents, la terre souple m’accueille, j’ai la tête
vide et je m’enfonce.
Je suis de plus en plus lourd.
Contre moi, en dessous de moi, ça palpite, ça palpite
lentement, puissamment…
c’est ton cœur.
Le ciel nous verse une louche d’éternité. Je n’ose plus bouger.
L’instant magique.
J’ai peur maintenant, tout devient hostile, les branches
entravent ma progression, la végétation s’épaissit. La panique
rode dans ma tête.
Je me débats, le jardin me retient prisonnier. Mes mains d’argent
atteignent maintenant les murailles.
Mes mains ont toujours su qu’il fallait caresser les murailles,
aussi.
C’est le noir absolu,
j’entends des hurlements de bêtes sauvages.
Je suis à la frontière du jardin.
De l’autre côté, je l’entends, c’est la rue, la foule qui passe,
des gens qui rient, s’interpellent.
Je crie !
Personne ne me répond, le bruit de la rue diminue puis
s’arrête. C’est le silence. Complet.
Celui que veulent mes neurones affolés.
Du sang coule sur mes bras écorchés par les épines, je
pleure de dépit.
Mes yeux lavés de larmes renaissent à la lumière.
« C’est toi qui parle ? me dit-elle. Que t’arrive-t-il ?
Tu viens de crier ! »
« Oh, ce n’est rien, dis-je, un drôle de rêve. »
Et je me rendors, contre la femme-jardin.
Merci à René Depestre : http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/Alleluia-pour-une-femme-jardin
Est-ce une poésie de René Depestre ou est-elle librement inspirée de lui ?
J’aurais dû plutôt dire : « Merci René Depestre pour le titre » ! Le reste est de ma pure imagination. Enfin, quand je dis pure…
et merci à René Depestre, Haïtien devant l’éternel, pour tous ses écrits inouïs…
https://www.franceculture.fr/personne-rene-depestre.html
@Hermano.
Merci pour cette précision. C’était pour la forme que je posais la question. Je m’imaginais bien que tu n’aurais pas copié vilement un texte de René Depestre.
Je n’ai jamais lu de livre de René Depestre, peut-être le ferais-je un jour ?
Mais ce n’est pas pour tout de suite quand je regarde la pile de livres qui m’attend… Et l’écriture, tu le sais aussi, prend beaucoup de temps…
Je constate par ailleurs qu’en ce week-end tu as pris ton courage à deux mains et que tu as beaucoup publié et commenté. Enfin un peu de souffle sur le site où après une avalanche d’écrits le vide s’était abattu.
En ce qui concerne ta « poésie » (?), il n’y a que le titre que je n’aime pas (chacun ses goûts). Il me fait trop penser à « dame-nature » ou « mère-nature » ou bien moins poétique « femme-tronc ». Ce genre de mot composé évoque trop pour moi un objet utilitaire : tire-bouchon, attrape-mouche, etc.
Le texte est agréable à lire, même pour le profane que je suis, mais les spécialistes sauront mieux expliquer le pourquoi de mes sensations.
De plus l’Asiatique qui illustre ta publication est très belle, ce qui ne gâche rien. Elle me fait penser à Jean Hougron. Mais peut-être es-tu trop jeune pour comprendre ?
Ne te vante pas, Loki, même si je ne connaissais pas Jean Hougron je ne pense pas que tu aies l’âge d’être mon père !!! Mais, après avoir jeté une œil sur son pedigree, je ne serais pas surpris qu’il ait connu René Depestre… J’ajoute que tous les deux pourraient être mes pères ! 🙂 faute malheureusement d’être mes pairs.
Je trouve drôle ta façon d’apprécier le titre de ce texte…
Quel poète tu fais, Loki ! Cela t’évoque donc le tire-bouchon ou l’attrape-mouche ?
Tout à fait inattendu pour moi, je le confesse, mais je trouve néanmoins tes remarques prodigieusement intéressantes : il faut dire ce que l’on ressent, et ça m’intéresse même si c’est un vrai rebrousse-poil. Et je reste encore et toujours convaincu qu’on pourra trouver de la poésie dans un attrape-mouche ou dans un vilebrequin. C’est vrai que les violons, c’est pas mal, mais certains sont usés jusqu’à la corde, si je peux dire !
Bon, ça, c’est fait !
Ce que je voudrais ajouter à propos de ce texte, c’est qu’il a été écrit il y a assez longtemps dans l’urgence, en 20 ou 30 minutes sans réfléchir et sans lâcher la plume, juste pour le plaisir d’écrire des mots, lors d’un atelier d’écriture, à une période où j’étais tombé amoureux du livre et surtout du titre de René Despestre – Alléluia pour une femme-jardin -, un vocable que je m’était pressé de réinvestir dans cet écrit à flux tendu. Je l’avais complètement oublié et je l’ai récemment exhumé par hasard, puis publié ici après deux ou trois petites retouches. Voilà.
Je pense qu’il a peu de chance René Depestre ait pu être mon père, à moins qu’il eût été précoce…
Sauf le respect que je lui dois, nous n’avons pas, comme le dit une publicité pour les rillettes Bordeau Chesnel, les mêmes valeurs…
Je répugne à associer une femme à un jardin (sauf à lui dire : tu as une drôle de binette), j’ai trop d’amour pour les femmes. Mais bien entendu je lui laisse toute liberté de le faire…
Je t’aurais au moins amusé en discutant sur ce titre, c’est toujours cela de gagné sur les pisse-vinaigres (encore un mot composé) qui pullulent dans notre société.
Je suis d’accord avec toi on peut trouver de la poésie dans n’importe quel objet à condition d’avoir une imagination suffisante.
J’ai d’ailleurs dans plusieurs de mes nouvelles, associé une âme à des ustensiles bien communs. Je rêve d’une histoire d’amour entre un vilebrequin et une vis platinée, une pince monseigneur amoureux d’une clef à molette serait émouvant.
Tu me dis que ton texte a été écrit il y a assez longtemps dans l’urgence, en 20 ou 30 minutes sans réfléchir et sans lâcher la plume, juste pour le plaisir d’écrire des mots. Il est des fois où l’urgence paie !
Tant de douceur : » Chaque vibration de ton corps est une brise douce »
Le poème est magnifique, sensuel, onirique.
Merci Hermano pour cet » instant magique »
Merci Tanagra, d’avoir « exhumé » (sorti de l’humus) pour ce printemps cette femme-jardin, et heureux que cela t’ai plu !