Quelquefois, quand cela nous arrive, on se sent comme un légume…
Le poireau,
Seul,
Songeur,
Immobile,
Regardait
Sa vie,
Derrière
Lui.
Qu’en avait-il
Fait ?
Le Bonheur,
L’avait-il
Voulu ?
L’avait-il
Connu ?
L’avait-il
Mérité ?
Et l’Amour ?
Avec patience et
Méthode,
Oligo élémentairement,
Il avait
Grandi,
Enraciné,
Dans ses habitudes,
En attendant.
Le jour où,
Quelque chose
Adviendrait,
D’inouï,
De beau,
De sublime,
Qui changerait
Sa vie.
Mais
Quoi ?
Il se sentait
Fibreux,
Rongé
D’impuissance,
Mais gonflé de
Sève,
D’émotions et,
D’envies.
Planté,
Dans son habit
Vert,
Il dressait,
Vers le ciel,
Ses feuilles,
Qui disaient
Viens !
Sa chair,
D’albâtre,
Attendait une
Caresse.
Ses racines,
Un creux,
Glauque,
D’amour,
Lui,
Le lent,
Le discret,
Le silencieux,
Son heure
Viendrait.
C’était
Sûr.
Jamais
Envieux,
Toujours
Sobre,
Modèle de
Modestie,
Archétype de
L’ordinaire.
L’espace,
Réduit de son
Ermitage
Privé,
Bouillonnait,
Fantasme de sa
Vie
Intérieure.
Dans le jardin,
L’Homme,
Pensif,
Ému,
Empoigné,
Contemplait
L’espérance
Désespérée du
Poireau.
« Frustration végétale » ne pouvait que me plaire. On croirait que ce texte a été écrit par un émule de La Fontaine donc je suis un fan.
Ensuite, c’est peut-être bassement matérialiste, j’adore la soupe aux poireaux.
Enfin, on m’excusera de parler moi, j’ai eu très tôt les cheveux blancs ; je me souviens d’une carte anniversaire reçue vers la quarantaine où il y était écrit : « la tête est blanche, mais le corps est encore vert ». Le tout illustré par un magnifique poireau…
Pour en revenir à la poésie, ce poireau seul, songeur, immobile est émouvant. Objets inanimés, avez-vous une âme ? Peut-être ? Le poireau assurément. D’ailleurs les avancées récentes de la science ont montré que les arbres communiquent entre eux et se soutiennent dans l’adversité. Pourquoi le poireau ne serait-il pas capable de tels sentiments ?
Le poireau d’Hermano est capable de percevoir son « moi ». Qui nous dit qu’il n’est pas en communion avec ses congénères ?
Pierre-Jakez Hélias dans son livre « Le Cheval d’orgueil » a magnifiquement imagé le rôle des arbres : en plongeant leurs racines dans la terre et leurs branches dans le ciel ils retiennent les cieux les empêchant de fuir notre globe. Comme c’était prémonitoire en 1975… Aujourd’hui où les hommes ne cessent de détruire les forêts et donc… notre atmosphère !
On peut rêver, un modeste poireau ne pourrait-il pas jouer le même rôle ?
Merci Hermano d’avoir rendu sa dignité à notre compagnon vert.
Quelquefois, quand cela nous arrive, on se sent comme un légume…
Je ne me sentirais plus diminué en me sentant comme un légume.
Merci pour ce calligramme de saison qui nourrit notre réflexion sur la condition humaine, ou plutôt masculine;
La forme et la couleur concourent élégamment au fond en dessinant la silhouette de ce malheureux poireau qui s’étire, vert le haut, en bas blancs, dans sa livrée d’honnête homme. Il a toujours suivi le droit chemin sans suivre l’exemple de la vigne, qui ne se gêne pas pour courir par monts et par vaux, recouvrant d’exubérantes feuillures maisons, grilles de parc ou de prison, recouvrant à l’occasion un mont de Vénus d’un vert mantelet.
Pauvre poireau ! On t’a dit d’être sage et te voilà planté là au milieu de tes semblables, attendant désespérément une sortie vers le haut. Mais peut-être n’est-elle pas de ce monde ?
Merci pour ce beau poème sur la « métaphysique des poireaux ». Le velouté de la forme et du fond ravissent notre esprit.
« Ah ! Comme vous êtes prétentieux de vous dire modeste ! » 🙂
Je ne sais pas qui a dit cela mais, ceci dit, le modeste poireau s’incline devant ces beaux commentaires. Merci pour lui !
Quel poème touchant, quel thème original, quelle écriture magnifique !
Une frustration végétale contagieuse ! Une tristesse pleine d’humour.
Un poireau qui fait la rétrospective de sa vie et se pose des questions, comme s’il se trouvait dans un état de syndrome de mort imminente.
Le choix des mots et métaphores m’intrigue : oligo élémentairement, sa chair d’albâtre, et ses racines, un creux glauque d’amour, …
Jamais
Envieux,
Toujours
Sobre,
Modèle de
Modestie,
Archétype de
L’ordinaire.
Je trouve que cette strophe est la plus touchante mais également la plus troublante puisque je la vois comme l’un des plus frustrants résumés de la vie d’une personne sage et calme, qui n’avait jamais fait le grand saut.
La dernière strophe apporte à l’ensemble une touche finale et philosophique. Ici, « l’homme pensif » contemple le poireau en pensant à sa propre vie.
Mille fois merci pour ce poème que je vais garder dans ma boîte à trésors.
Purana
Merci à toi, Purana, pour ce commentaire, et heureux que ce brave poireau t’ait émue une nouvelle fois.