Jimmy Mac Gregor est fou de joie. Il va enfin faire ce voyage dont il rêve depuis si longtemps. Son père est éleveur dans le Michigan et le jeune homme âgé de vingt-six ans vient de terminer ses études universitaires à Chicago. Il a passé brillamment son doctorat de physique des particules. Son père pour le récompenser lui a offert un séjour en Europe. Il est fier de ce fils unique qui pourtant lui a causé tant de soucis. Enfant, il a dû être opéré de la maladie bleue.
Il embarquera à New York pour un vol vers Paris.
Son voyage débute bien, il passe une nuit très confortable à l’hôtel Intercontinental de New York.
Le groom a porté ses bagages au 15e étage. Dès la porte refermée, Jimmy se jette sur le lit douillet. Il n’est pas habitué à un tel luxe. Sa chambre dans la résidence universitaire était plus sommaire et il apprécie, le bonheur, de s’enfoncer dans un matelas moelleux.
Avant d’aller dîner, il se plonge dans les guides qu’il a achetés depuis six mois. Certes il les connaît par cœur, mais il ne se lasse pas de les relire : il ira voir la tour Eiffel, la place du Tertre, le Sacré Cœur, Pigalle, le Musée du Louvre, sans oublier Notre-Dame. Son grand-père qui a débarqué, pendant la guerre, en Normandie lui a beaucoup parlé de la France. Il lui a surtout parlé des jolies Françaises. Certaines n’ont pas été insensibles au charme du jeune libérateur…
Et Jimmy est bien décidé à suivre les traces de son grand-père !
C’est donc la tête pleine d’images sur la France et les Françaises qu’il se couche.
Ce lit est vraiment très confortable et il ne tarde pas à s’endormir.
Mais le dormeur n’est pas seul ! Dans le noir de la chambre, sous la couette, un insecte au contraire se réveille. La journée a été longue sous le matelas pour Angie. Le fumet d’une chair fraîche dans la force de l’âge la met en appétit.
Angie est une jeune et vigoureuse personne. Peu de gens les voient, mais Angie est une punaise. Plus précisément une punaise de lit.
Sous la couette, Angie commence sa progression. C’est pratique quand on est une punaise, on n’a pas besoin de voir, on perçoit le gaz carbonique de la respiration et la chaleur corporelle des dormeurs. La jambe nue est propice à un festin et Angie n’a aucun mal à percer la peau de sa victime. Elle se gorge de sang. Il est vraiment délicieux ! Et par trois fois elle perfore l’épiderme et le derme. Elle est tranquille, Jimmy ne risque pas de se réveiller, sa salive à un effet anesthésiant et anticoagulant. C’est plus tard que la peau réagira et que les démangeaisons et les rougeurs apparaîtront.
Le matin le jeune homme se réveille. Immédiatement il ressent le besoin de se gratter, il regarde sa jambe pleine de rougeurs. Il est déçu : des puces dans un hôtel de cette classe ! Ce n’est pourtant pas une auberge de jeunesse. Heureusement la charmante serveuse qui vient lui apporter son petit-déjeuner le console de ce désagrément…
Les punaises ont horreur de la lumière. Le jour, elles se cachent. Elles s’installent dans n’importe quel recoin d’une pièce à l’abri de la lumière.
Et allez comprendre pourquoi ce jour-là Angie choisit de se réfugier dans la doublure de la valise de Jimmy. C’est ainsi que notre héroïne traversa l’Atlantique dans la soute d’un Boeing et débarqua avec armes et bagages dans l’aéroport de Roissy !
Jimmy et Angie… peuvent s’élancer à la découverte de Paris. Le taxi les dépose devant l’hôtel Saint André des Arts dans la rue du même nom. La chambre ne ressemble pas à celle de l’hôtel Intercontinental : si le confort est un peu rustique, le prix ne l’est pas. Mais Jimmy ne s’en soucie guère, papa a alimenté substantiellement son compte. Quant à Angie elle est un peu interloquée par l’aspect de la chambre. Depuis sa naissance elle n’a fréquenté que les cachettes d’un hôtel quatre étoiles particulièrement clean. Mais comme toutes les punaises, elle s’adapte facilement au changement de lieu et la rusticité de la pièce lui est plutôt sympathique…
Jimmy ne souhaite pas gâcher un seul moment de son séjour parisien. Son installation faite, il s’élance à la conquête de Paris et qui sait des Parisiennes. Bien entendu Angie n’est pas du voyage, les punaises étant plutôt casanières. Et il faut ajouter que derrière une plinthe un peu vermoulue Angie a fait connaissance avec un monsieur « punaise » et il semble qu’elle ne soit pas insensible au charme de ce godelureau européen…
Munis de ses guides et de son mobile Jimmy fait le tour du quartier. Le Panthéon, le boulevard Saint-Michel, le boulevard St-Germain, le jardin du Luxembourg le grisent, le dépaysement est total, il n’a jamais rien vu de semblable en Amérique. La vénérable Sorbonne est totalement différente du campus où il a fait ses études. Néanmoins une petite déception en ce premier jour : il n’est pas le seul à visiter Paris… Des cars entiers d’étrangers se déversent sur le Quartier latin, comme si tous les touristes de la terre s’étaient donné rendez-vous dans la capitale ! L’après-midi Jimmy décide de visiter le sous-sol de Paris. Ses guides lui ont indiqué qu’il ne fallait surtout pas rater les égouts au Pont de l’Alma et les catacombes. Il n’est pas déçu par les premiers. Les égoutiers savent mettre en valeur les difficultés de leur métier, dans une si grande métropole. La vision des bateaux-mouches remplis à ras bord de touristes, sur la Seine lui fait rayer de sa liste la croisière qu’il avait envisagée. À la gare de Denfert Rochereau, la perspective de l’immense queue devant les catacombes l’effraie. Après tout que lui apportera la contemplation de milliers de crânes entassés, sous le lion de Belfort ? Il se contentera des vidéos présentes sur Internet. Il décide de continuer sa visite souterraine de la capitale en empruntant le métro. Il sort à « Palais-Royal ». Encore de longues files, pour visiter le Musée du Louvre !
Il admire la Pyramide, mais renonce à la visite et traverse le jardin des Tuileries pour atteindre l’Obélisque et l’avenue des Champs Élysée. Il entrevoit au Pont de l’Alma l’Église russe et la tour Eiffel. Cette dernière, quelle que soit la foule il ne la ratera pas demain.
Il s’y pointera même de bonheur !
C’est bien fatigué d’avoir tant déambulé dans Paris qu’il rentre à son hôtel.
Il est inutile de dire qu’Angie est heureuse des retrouvailles. Quand elle perçoit le souffle tranquille du dormeur, demoiselle « punaise », s’avance, doucement, en compagnie de son amoureux pour le souper nocturne. Horreur ! Une puce du métro les a précédés. Dans de telles circonstances, d’autres animaux se seraient combattus ! Mais ce n’est pas le cas pour les animaux piqueurs, la ressource est abondante…
En ce matin du deuxième jour, Jimmy se lève plein de piqûres. Il est légèrement contrarié, mais pas trop ! Dans le Michigan les moustiques sont nombreux et il n’est pas dépaysé. Par contre ce qui le contrarie beaucoup plus c’est qu’il n’a pas encore rencontré de petite Française. Il doit absolument pallier cet échec …
Une heure après il est devant la tour Eiffel. Avant d’effectuer la montée à pied au deuxième étage, il subit une attente interminable dans une queue qui serpente en dessous du monument. Comme hier il serait prêt à renoncer, mais à côté de lui patiente une belle et jeune Chinoise. L’anglais est vraiment une langue internationale et ils ne tardent pas à faire connaissance. Ils passeront la journée ensemble : tant pis pour les Françaises ! Et le soir Angie à la surprise de découvrir une nourriture exotique qu’elle ne connaissait pas. Un véritable régal…
Elle se régale à satiété d’autant que monsieur « punaise » est parti vers d’autres amours !
Le ventre bien rempli elle se niche pour digérer dans un bagage…
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Jimmy est heureux, Li a été incomparable de douceurs et d’initiatives, mais ce matin elle repart en Chine. Elle lui a promis de lui écrire.
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Le voyage a été bien long.
Ce soir Angie sort de sa cachette, elle est complètement dépaysée une odeur de grillé flotte dans la pièce, elle est bien fatiguée de tous ses voyages. Et il va falloir s’habituer à un nouvel environnement ! Tandis qu’elle progresse le long du mur, une main la saisit prestement. Une tige de bambou la traverse et elle va rejoindre une centaine d’insectes prêts à griller…
J’ai lu ce récit avec curiosité ; c’est construit avec logique, un certain suspens, et un humour assez “piquant” (!)
Après les aventures de Drodro voici celles d’Angie. Mes connaissances sur les insectes, quasi nulles, sont multipliées. J’ai lu cette nouvelle d’un trait, avec grand plaisir et j’ai été surpris par son dénouement alors que je m’attendais à un envahissement de punaises. Le destin d’Angie, sans doute tragique pour elle, est de devenir nourriture d’avenir pour les humains. Je ne suis pas certain de me réjouir de cette perpective mais pourquoi pas ?
Ah ! Les punaises de lit ! cette plaie de l’Amérique du nord qui a fini par nous atteindre…
J’ai cru au début que tu allais nous revisiter La métamorphose de Kafka et je me préparais à des développements aussi étranges que burlesques, du genre la punaise qui contamine le jeune-homme qui se transforme en… que son père ne sait plus reconnaître. Mais non, nous restons dans une veine plus classique.
J’ai tout de même suivi avec plaisir et intérêt le périple de cet insecte et – chose que je ne fais pas toujours – je salue la chute de l’histoire dont la moralité pourrait bien être “Tel est pris qui croyait prendre“.
Mais d’où nous vient cette moralité, au fait ? Encore une histoire d’animaux, je crois.
Merci tous les trois de vous êtes intéressés aux tribulations d’Angie et de son garde-manger !
Je ne m’en étais pas aperçu, mais sans le vouloir je me suis spécialisé ces derniers temps dans les aventures d’insectes.
J’ai cherché le pourquoi de la chose et dans un premier temps j’ai pensé que cela résultait peut-être de mon signe : scorpion.
Mais j’ai vite rejeté cette hypothèse !
Les Scorpions sont un ordre d’arthropodes, de la classe des arachnides.
D’aucuns diront peut-être que je suis piqué ! Mais tout cela me met la puce à l’oreille.
Une fine mouche trouvera peut-être une explication plausible…
Vraiment, j’ai beaucoup apprécié lire cette histoire hilarante, en particulier la romance entre les deux insectes.
J’ai envoyé le lien vers ton texte à un ami. Il m’a envoyé une vidéo de l’histoire d’amour entre deux punaises, Charlotte et Bas, qui vivaient dans l’ancien manteau du cabaretier néerlandais.
Malheureusement, je n’ai pas trouvé la traduction en français.
Voici donc la traduction en anglais :
https://www.youtube.com/watch?v=2OKMSTwyOzs
https://www.dutchsongs.overtuin.net/translation-50-dorus-twee-motten.html
Merci pour ce texte bien rythmé. j’ai bien aimé qu’un des héros soit un animal avec une vraie personnalité. Peu de romans utilisent ce procédé. Dans ce style, j’ai en particulier apprécié “Les fourmis” de Bernard Werber dont l’héroïne est la vaillante fourmi guerrière 103 683ème. Vous y apprendrez par ailleurs que la vie sexuelle des punaises est terrifiante et que Angie ne risque pas d’être charmée par un mâle. En effet, les punaises mâles sont des violeurs en série particulièrement violents.
À noter une coquille : Il s’y pointera même de bonheur le matin ! De bonne heure ?
Merci Line de me rappeler “Les fourmis” de Bernard Werber dont l’héroïne est la vaillante fourmi guerrière 103 683ème.
J’ai lu ce livre il y a maintenant bien longtemps, je l’avais bien aimé. Il va falloir que je le ressorte…
J’aimais bien cet auteur, puis au fil de ses livres je m’en suis éloigné, car il partait dans des élucubrations que je n’appréciais pas…