Avoir un cabinet de psychologie céleste n’est pas une sinécure.

 Avoir des clients aussi prestigieux que Dieu, le Diable, un ange ou Saint-Denis est certes agréable pour son ego, mais que de journées chargées ! Au ciel la notion de journée n’a pas vraiment de sens, par contre celle de l’infini, si !

Devant cet afflux de nouveaux clients, j’avais décidé d’afficher sur ma porte, une pancarte indiquant « complet ».

 J’étais en train de profiter d’une pause entre deux clients quand j’entendis frapper à la porte. Deux coups légers…

Cela m’intrigua, car j’attendais le diable et il n’était jamais en avance. Il a beaucoup trop d’occupations aux enfers, son activité infernale marchant du tonnerre de dieu.

Ces coups ne pouvaient être ceux du diable, car pour lui, à chaque fois, j’avais peur qu’il me démolisse ma porte.

 Anxieux, j’ouvris.

Une jeune et jolie femme malgré son teint blafard et son visage émacié au regard triste, était immobile sur le pas de ma porte. Un froid s’insinua en moi. Je n’eus aucun doute c’était la mort…

Je m’exclamais :

  • Madame vous vous trompez d’adresse, savez-vous que je suis immortel ?
  • Je sais docteur, je ne me trompe pas ! Ce n’est pas à la femme publique qui vient vous voir, mais c’est la femme privée. Je viens consulter.

En désignant la carte, je dis :

  • Vous ne savez pas lire ?
  • Je sais lire, mais il s’agit d’une urgence !
  • Une urgence ?
  • Oui j’existe depuis le début des temps, mais aujourd’hui je suis au bout du rouleau ! Vous ne pouvez pas fermer la porte à une désespérée…

 On ne se refait pas : ma conscience professionnelle parla et je l’invitai à entrer.

  • Prenez place sur le divan.
  • Oh non, docteur !  Je vois tant de gens allongés dans mon travail que j’ai une phobie de la position horizontale.

Je pensais encore une fois que les choses ne seraient pas simples !  Déjà Dieu enfermé dans ses certitudes, le Diable plein de tourments, l’ange complexé par son absence de sexe et Saint-Denis bien embarrassé par sa tête.

  • Prenez donc un siège à à côté de moi.

 La mort sans un sourire s’assit sur une chaise, les genoux serrés, ses deux mains posées sur ses cuisses. L’atmosphère était glaciale, j’en étais à regretter l’atmosphère soufrée, mais chaude des séances avec le diable.

Un silence de mort s’établit, évidemment…

La mort ne disait rien et je sentis que je devais commencer la séance de psychothérapie. Avec un air guilleret, que je regrettais aussitôt je dis :

  • Alors chère madame, vous me parlez d’urgence ! Qu’en est-il ?

Le visage de la mort se crispa un peu plus.

  • Docteur, je ne plus peux plus supporter ce lourd fardeau que m’a confié Dieu.
  • Continuez sur Madame, je vous écoute.
  • Apparemment mon travail est simple : aller chercher les mortels et les amener au guichet des entrées, là-haut.

Elle fit un signe de sa main tournée vers le ciel.

  • Effectivement, mais maintenant, vous devez être rôdé.
  • Rôdé ! Vous vous moquez docteur ! Ce n’est pas vous qui accompagnez tous ces malades qui refusent de partir, qui extrayez les âmes de ces corps sanguinolents parfois en morceaux dans ces immondes champs de bataille, qui prenez en charge celles des personnes âgées dont le corps n’en peut plus et qui pourtant s’accrochent à la vie. Et ces enfants affamés qui crèvent dans des pays déchirés par la guerre, les catastrophes naturelles, la sécheresse et autres calamités…
  • Je vous entends chère madame, mais il y a bien aussi des personnes qui meurent doucement dans leur lit et puis aussi toutes celles qui se suicident ou se font euthanasier.
  • Oui bien sûr, mais quand l’action est terminée la plupart regrettent ce geste désespéré, mais trop tard. Non vraiment mon rôle est ingrat et ma solitude si j’ose dire : mortelle.
  • Ajoutez à cela les représentations les plus cauchemardesques que font les hommes de moi. Les noms effrayants qu’ils m’attribuent : la faucheuse, la camarde, etc. Est-ce bien reconnaître l’œuvre de salubrité publique dont j’ai la charge ? Me trouvez-vous si horrible docteur ?
  • Oui je vous le concède, madame c’est bien injuste !

Bien sûr un psychiatre doit se contrôler, c’est une question d’éthique, mais je n’ai pu m’empêcher de regarder ma belle patiente et de ressentir plus que de la compassion peut-être de l’amour ?

  • Je ne peux, malheureusement, réparer cette injustice, mais je vais vous accorder le nombre suffisant de séances afin que nous puissions ensemble, vous permettre de retrouver le moral.

Je pris doucement la main de ma patiente entre mes deux mains. Comme elle était froide…

Il me faudra une infinité de temps pour la réchauffer…