Dieu me parle tous les matins entre 8 heures et 10 heures.

C’est devenu un rite : je contribue au bien-être de Dieu.

Ma journée n’est pas finie pour autant…

J’ai quotidiennement un autre client.

À chaque fois mon cabinet se remplit d’une odeur désagréable de soufre et de brûlé. Une consultation vraiment infernale. Il faut dire que mon patient a bien des problèmes. C’est vraiment le mal-aimé du monde céleste. Est-ce sa faute si Dieu lui a confié la gestion du mal ? Vous allez me dire : il faut bien que quelqu’un s’y colle. En plus le mal est plus répandu que le bien… Dieu aurait dû prévoir un roulement. J’ai bien essayé de lui suggérer, mais sa surdité sur ce sujet est infinie !

Je frise le burn-out d’autant qu’un jour un ange est venu me consulter à son tour.

Quand on a reçu Dieu et le Diable sur son divan, reconnaissez qu’il faut plus qu’une simple créature céleste pour vous étonner. Pourtant son cas m’a étonné, car si son problème était le gagne-pain quotidien de mes confrères terrestres chez mon client ailé il était d’une autre complexité : il s’interrogeait sur son sexe.

Les hommes avaient résolu la question en affirmant que les anges étaient sans sexe… Mais c’était botter en touche. Mon céleste patient, délégué syndical de sa confrérie, ne pouvait se résoudre à cette neutralité génitale.

Un peu excédé par ce nouveau cas qui s’ajoutait à ma charge de travail j’avais bien essayé de me défiler, en disant : « Que pensez-vous que je puisse faire pour vous ? Vous demander de quel sexe vous voulez être et vous l’attribuer d’un seul coup de baguette magique, pouf ! Comme ça ? Vous savez bien que je ne n’ai pas ce pouvoir. » D’un sourire angélique il avait écarté ma remarque et lui aussi il m’avait demandé d’intervenir pour lui et ses frères ( ?) auprès de Dieu. Je ne vous étonnerai pas si le créateur n’avait pas fait suite à ma demande.

Aussi, depuis je reçois mon ange si sympathique et faute de pouvoir lui attribuer un sexe masculin ou féminin, j’essaie de lui remonter le moral avec des paroles hélas pas divines, mais compréhensives.

****

J’avais entre toutes ces consultations, un moment de libre et je profitais de cette inactivité pour m’allonger un peu sur mon instrument de travail et ainsi je jouissais sur mon divan d’un court repos bien mérité.

Quelqu’un frappa à porte !

Le Diable était-il en avance ?

  • Qui est-ce ?
  • Saint Denis !

J’ouvris lentement la porte.

Un individu portant une tenue ecclésiastique était devant moi, mais ce qui me figea de stupeur, c’est qu’il portait sa tête entre ses mains.

Mon étonnement atteignit son comble quand la bouche s’ouvrit et dit :

  • Docteur pouvez-vous me recevoir ?

Je m’entendis lui répondre : monsieur vous vous trompez d’adresse, c’est un chirurgien que vous devriez aller consulter !

Confus de ces paroles hors propos, je le fis entrer…

  • Je sais que vous recevez en consultation Dieu, le Diable et un ange. Donc si vous traitez Dieu vous n’aurez pas la méchanceté de refuser de soigner un de ses saints !

Devant l’évidence de ce discours, je m’inclinais.

  • Prenez place sur le divan !

Voyant Saint Denis embarrassé par sa tête, je lui dis de la poser sur une chaise.

Je commençais, donc ma séance de psychothérapie, un peu désemparé. Ce n’est pas courant d’avoir un patient décapité sur le divan et sa tête posée à côté. Je repris mes esprits, quand on a reçu Dieu, le Diable et un ange on ne doit s’étonner de rien !

Pour détendre je tentais un peu d’humour.

  • Je pense que vous venez me voir, car vous avez perdu la tête ! Vous allez pouvoir m’exposer vos problèmes à tête reposée…

Quand je vis la tête de Saint Denis esquisser un rictus, je compris que ce n’était pas un comique !

 Je repris dont le sérieux qu’il sied à un praticien de l’esprit.

  • Qu’est-ce qui vous amène ici mon bon Saint Denis ?
  • Mes pairs m’ont choisi pour réclamer justice. Tout le ciel sait que vous avez comme éminents clients : Dieu, le Diable et un ange dont j’ai oublié le nom. Que peuvent-ils donc bien soigner ? Dieu est la béatitude même, il sait tout, il peut tout ! Le Diable, certes a un emploi peu ragoûtant, mais il ne souffre en aucune façon des souffrances qu’il inflige aux damnés. Je pense même qu’il doit ressentir du plaisir dans son ténébreux habitat.

 Être un ange, quel emploi céleste plus enviable ? Dieu leur a attribué des missions les plus agréables les unes que les autres : ange messager, ange gardien, etc. Et nous ? Nous ne sommes que souffrance. 

Pour illustrer cette souffrance, un peu de sang coula de la tête de Saint-Denis.

 Voyant le fluide rouge s’écouler sur la chaise, puis par terre, je pensais : et ma moquette ?

J’écartais immédiatement cette vilaine pensée.

  • Parlons-en, mon bon Saint Denis, vous êtes ici au bon endroit !
  • Je n’aurais pas l’outrecuidance de parler de mon cas, en fait j’ai peu souffert, un coup de hache et ma vie s’est terminée. Je viens surtout plaider la cause mes compagnons et de mes compagnes auxquels les hommes ont affligé mille sévices par le fer, le feu, l’eau et autres inventions barbares dont ils sont friands.
  • Et tout cela pour quelle récompense ? Pour les plus chanceux, leurs noms inscrits sur un calendrier, des ossements, des cheveux, des chairs séchées dans une chasse placée dans le coin d’une église, recouverte par la poussière du temps. Et que l’on vénère parfois par la flamme d’un cierge. Cela nous fait une belle jambe !
  • Et ce qui est insupportable c’est la propension des hommes à sanctifier n’importe quel personnage de l’église même s’il a vécu une vie de débauche. Et toutes les hystériques ayant prétendu voir la vierge Marie, un ange ou entendu des voix !
  • Je ne parlerai que pour mémoire de la désacralisation de notre statut en évoquant l’existence de Sainte-Nitouche des débauchées, de Saint-Glinglin pour les actions remises à un avenir indéterminé.
  • Vraiment nous avons bien sujet de nous plaindre.

Il me sembla qu’une larme coulait d’un œil de saint.

  • Mon bon Saint Denis j’ai bien compris vos tourments et je vous promets d’intercéder auprès de Dieu. Mais j’ai peu d’espoir…
  • De toute façon je vais vous inscrire sur mon agenda céleste, en supplément, car il est bien chargé. Vous trouverez auprès de votre praticien le réconfort d’esprit.
  • Merci docteur.

Le saint se leva et prit sa tête dans les bras. Elle esquissa un faible sourire.

Encore un gros travail en perspective…

Dieu est patient

Dieu est patient

Un cas intéressant 

Un cas intéressant

Un ange est passé

Un ange est passé