Quand vous rédigez un texte ou quand vous parlez, vous devriez éviter les pléonasmes. Toute ma vie j’ai essayé d’obéir à ces préceptes quand un jour le démon de midi ou de minuit, peut-être, m’a saisi, j’ai décidé d’écrire un texte où le pléonasme ne serait pas banni, mais au contraire érigé en règle principale. Le texte devrait contenir le plus de pléonasmes possible et ainsi faire un pied de nez à la bien-pensance.
Les pléonasmes ne seront mis en valeur que s’ils sont intégrés dans une histoire.
Je devais donc rédiger une histoire ce qui n’est pas a priori quelque chose de difficile.
Le nombre d’histoires possible est infini, il me fallait donc faire un choix totalement arbitraire.
Après mûres réflexions je décidai que mon histoire serait celle d’un héros à qui il arriverait des aventures. Rien d’avant-gardiste et novateur (un premier pléonasme !).
Pour donner une note d’humour au texte, j’aurais pu appeler mon héros : Jean Bon, Jacques Habit, Pierre Afeux, Paul Accroc, etc. Mais c’était sombrer dans un humour de potache, je décidai donc de l’appeler plus banalement Kevin Dupont.
Que pouvait-il arriver, d’extraordinaire, à Kevin ? Je voulais que mon histoire même truffée de pléonasmes soit une nouvelle qui puisse quand même intéresser les lecteurs.
Je décidai que Kevin Dupont serait un scribouilleur comme l’auteur de ses lignes n’ayant jamais rencontré de succès littéraire et décidé à vendre son âme comme dans Faust pour devenir un écrivain exceptionnel.
*****
Nouvelle périssologique
Voilà plusieurs années que Kevin Dupont essayait et s’efforçait d’écrire et de rédiger le roman qui serait le succès triomphal de l’année, peut-être le prix Goncourt !
Après avoir renoncé, une fois de plus encore d’écrire une page inoubliable et mémorable il se leva et se mit debout. Il fallait qu’il sorte dehors, car il avait la sensation que par un hasard imprévu une idée émergente jaillirait. Comme le temps n’était pas connu d’avance et incertain, que par un hasard imprévu également, il pouvait pleuvoir dehors, il monta en haut pour prendre de sa main un parapluie et descendit en bas enfiler ses chaussures.
Après un arrêt complet, il se répéta deux fois : je dois vite me dépêcher. Car il avait vu de ses yeux sur le bulletin météo que la pluie était annoncée et cela s’avérait vrai.
La nuit précédente avait été agitée, car il avait fait un mauvais cauchemar et il prévoyait à l’avance que la journée pourrait être difficilement compliquée. Avant de sortir dehors il se répéta deux fois que l’air de la rue dissiperait son indisposition.
Ayant fait quelques pas dehors à l’extérieur il se ravisa et recula en arrière, car il se rappelait avoir allumé la lumière ce matin. Le prix de l’énergie étant devenu démesurément exorbitant il fallait absolument qu’il éteigne la lumière !
C’est rassuré qu’il continua et prolongea sa promenade. En passant à côté de la terrasse d’un café, il fut étonné et surpris quand une voix le héla !
- Asseyez vous l’ami et venez boire quelque chose !
D’habitude Kevin serait passé sans s’arrêter, mais au jour d’aujourd’hui il voulait voir de ses yeux qui l’apostrophait et l’interpellait ainsi !
Un homme assis, au visage anguleux, lui fit signe de s’approcher et de s’asseoir.
Kevin Dupont faisait face à deux alternatives. S’arrêter totalement ou poursuivre son chemin en ignorant l’invite.
Il eut une minute d’hésitation, mais il avait l’habitude de s’autogérer lui-même.
Il prit place en s’asseyant près de l’inconnu. D’emblée immédiatement il perçut une odeur légèrement soufrée.
- Bonjour Kevin ! tu ne me connais pas, mais moi je te connais et je sais qui tu es !
- Vous me connaissez ?
- Oui ! Je sais que tu as écrit deux romans « La litanie des angles droits » et « Si les Dieux ont soif ils n’ont qu’à boire ! »
Kevin fut estomaqué, c’était effectivement deux romans qu’il avait présentés infructueusement en vain à de nombreux éditeurs.
- J’ai une proposition à te faire, si tu me vends ton âme, le prochain roman, que tu écriras, sera non seulement édité, mais en plus rencontreras un énorme succès !
- Qui êtes-vous : le diable ?
- Bien sûr que je suis le diable ! Tu me poses cette question, alors que je vois dans ton cerveau que tu le sais déjà !
Kevin avait le cœur qui battait la chamade ! Ce n’est pas courant de rencontrer le diable… la proposition du diable était alléchante !
Paradoxalement bien qu’il soit un athée convaincu qu’il ne crut ni à l’existence de l’âme ni à celle du diable, il souhaitait tellement d’être publié qu’il était prêt à croire n’importe quoi !
Qu’avait-il à perdre ?
Il se tourna vers l’homme qui se disait être le diable. Comme il connaissait ses classiques, il lui dit :
- Affaire conclue ! Où dois-je signer avec mon sang ?
Avec un sourire diabolique, l’homme répondit :
- Vous datez mon brave Kevin, votre signature paraphée sur mon portable suffira, comme pour un recommandé !
Il émargea par sa signature sur l’écran.
- Parfait, vous n’avez qu’à vous mettre à l’ouvrage et quand cela sera terminé, envoyez votre manuscrit à un éditeur. J’en fais mon affaire !
Il ingéra en avalant d’un trait le jus de tomate dans lequel il avait versé la moitié et un demi-volume d’un flacon de Tabasco. – Avec cela je ne crains pas une cirrhose du foie. C’est un peu doux et soft, m’enfin sur terre il faut s’en contenter !
Il se leva en se mettant debout et partit et s’en alla sans dire un mot.
Kevin stupéfié était abasourdi.
Ce n’est pas tous les jours que l’on vend son âme. D’un côté comme il ne croyait pas que l’âme existe, cette vente n’engageait à rien. Il suffirait simplement qu’il rédige un honnête roman.
Mais ce personnage sulfureux qu’il avait rencontré l’avait impressionné.
Rentré chez lui il se précipita sur un troisième roman qu’il avait en préparation et qu’il avait reporté à plus tard. Il en rédigea la suite par écrit en deux jours, il acheva à fond les modifications et les corrections, le finit complètement, en fit résumé bref et l’envoya à un éditeur réputé.
Si la promesse du diable s’avérait vrai il aurait vite des nouvelles de son œuvre.
Le héros principal du livre était un ivrogne alcoolique qui vivait dans une garnison militaire il y a une vingtaine d’années en arrière dans une île entourée d’eau.
Il avait choisi comme titre : « L’apocope et l’aphérèse sont elles solubles dans le peroxyde d’hydrogène ».
Il était conscient que le titre n’avait aucun rapport avec le contenu du roman, mais n’est-ce pas une façon d’obliger le lecteur à lire le livre jusqu’à l’aboutissement final pour essayer de découvrir la signification sémantique du titre ?
Ses expériences passées lui laissaient peu d’espoir. Mais au jour d’aujourd’hui, il le sentait, cela serait incessamment sous peu pour très bientôt.
Une semaine après, il recevait une lettre par courrier.
Pour une fois la réponse avait été rapide et prompte. Il ouvrit en le décachetant le courrier, il s’attendait à la réponse habituelle : « votre ouvrage est très intéressant, mais il ne correspond pas à la politique éditoriale de notre maison… ».
Il la trouva effectivement !
Il faillit défaillir et perdre connaissance, l’éditeur refusait de publier son ouvrage ! Il essaya de se convaincre et de se persuader que c’était une erreur inexacte.
N’avait-il pas vendu son âme au diable ?
Où étaient cette publication et cette gloire promises ?
Désespéré rempli de désespoir, il s’approcha et vint plus près de la fenêtre, l’ouvrit et s’apprêtait à se jeter dans le vide plein de vacuité quand le souvenir du marché conclu lui revint à l’esprit : il avait vendu son âme au diable !
Cela avait été un marché de dupes, mais une vente est une vente ! Il en était la victime opprimée innocente.
Il fallait qu’il s’explique avec l’homme au visage anguleux.
Il passa plusieurs jours et plusieurs fois à côté de la terrasse, sans jamais apercevoir cet homme. Il était désespéré.
Pourtant un jour il le vit !
L’individu avait l’air goguenard et gouailleur.
- Alors mon bon Kevin, tu as l’air vraiment indisposé et en mauvaise forme !
- Bien sûr que je suis patraque, car vous m’avez escroqué et grugé ! Je vous ai vendu mon âme pour rien !
- Mais Kevin tu ne m’as rien vendu, car tu le sais bien l’âme n’existe pas. Tu prétends que tu l’as vendu au diable, mais tu le sais, également, le diable n’existe pas !
- Alors à quoi correspond l’histoire de Faust ?
- Baliverne que tout cela, comme Le petit chaperon rouge, La belle au bois dormant… vraiment les hommes ont de l’imagination !
L’homme disparu brusquement et l’atmosphère se remplit d’une odeur et d’une fragrance soufrées…
Pourtant le diable n’existe pas !
Bonjour Loki,
Merci de m’avoir fait découvrir la perissologie et de fil en aiguille la différence entre redondance (figure de style pour souligner une idée par exemple j’exulte, je suis folle de joie ! ) et pléonasme qui est une répétition qui alourdit le texte.
Merci pour ce récit qui imite avec ironie le style ampoulé de certains auteurs et merci d’avoir fait un sort au triple pléonasme au jour d’aujourd’hui, sachant que hui veut dire en ce jour en vieux français.
Par contre, la fin me laisse sur ma faim (homophone, puisque nous sommes dans les figures de style). Et soulève des questions philosophiques… si les âmes n’existent pas, en quoi consiste le travail du diable ? Devons-nous en déduire que l’enfer n’existe que sous forme terrestre puisque les âmes damnées n’existent pas ?
Un peu difficile pour moi de suivre cette histoire en même temps que je traque le pléonasme. Un bon exercice cependant.
Moi, personnellement (!), c’est l’emploi du verbe pouvoir que je trouve superfétatoire.
Il ne se passe pas 3 jours sans que je relève l’emploi abusif de ce verbe dont on pourrait le plus souvent se passer !
Un abus de “pouvoir” que je vous invite à traquer vous aussi :
· Cela m’a permis de pouvoir ouvrir la porte.
· Nous avons les capacités de pouvoir gagner cette compétition.
· Ils sont capables de pouvoir sortir de là.
· Il est possible qu’il puisse venir.
· Il faudrait qu’ils puissent pouvoir sortir pour respirer le bon air.
· Nous avons tous les atouts pour pouvoir réussir.
· Ils sont capables de pouvoir accéder à cette fonction.
· Nous avons enfin la possibilité de pouvoir dormir tranquilles.
· Je suis en mesure de pouvoir vous dire toute la vérité sur cette affaire.
Etc.,etc.,etc. …
https://ltcorrection.wordpress.com/2017/05/09/zoom-sur-quelques-pleonasmes-a-eviter/
@Line : “hui” n’est pas sans rapeller “hoy”… ou “hodie”.
Merci mes amis !
Je conçois que j’avais accumulé les difficultés en mêlant dans un même texte le plus de pléonasmes possible et une histoire faisant appel à la métaphysique. Mais j’avais précisé en préambule que je ne voulais pas une nouvelle “limande”, mais une nouvelle qui présenterait un intérêt pour le lecteur.
Merci d’avoir fait l’effort de chasser le pléonasme et de vous intéresser à l’histoire.
On peut ( ça y est j’y succombe aussi ! ) effectivement s’intéresser aux artifices superfétatoires de la langue française ajoutés souvent par des journalistes.
Le verbe « pouvoir » en un parmi d’autres.
Personnellement je suis exaspéré quand j’entends dans les médias qu’un auteur de délit “peut” encourir une peine de X années de prison et une amende d’Y euros.
C’est vraiment du “foutage de gueule” quand on constate que pratiquement jamais les tribunaux n’appliquent ces peines…
Toutes ces réflexions sur pouvoir me rappellent un sketch : il peut le faire…
Le Sâr Rabindranath Duval (1957) est l’un des plus célèbres sketches comiques créé par Francis Blanche et Pierre Dac. C’est une parodie des numéros de music-hall de divination qui met en scène un dialogue entre un mage (Pierre Dac, faussement indien puisqu’il vient de Châteauroux, dans l’Ind(r)e, que son père était hindou, tout comme son grand-père, et que son arrière-grand-père était « un dur ») et son assistant (Francis Blanche).
Et que dire des « voilà » qui fleurissent dans un grand nombre d’interviews
Je ne connaissais pas le mot “Périssologie”, j’ai donc une fois encore enrichi mon vocabulaire. Excellente idée d’écrire une histoire en y introduisant un maximum de pléonasmes, exercice ludiquement amusant que j’ai eu beaucoup de plaisir à lire.
Hermano dénonce à juste titre cet abus de “Pouvoir” que l’on rencontre trop souvent, dans les lettres de motivations notamment “j’ai pu suivre une formation…” “J’ai pu acquérir une expérience…”. d’où cet abus vient-il ? Il n’est pas enseigné à l’école. Les réseaux sociaux ? Comment s’imposent les modes et les tics de langage ? “Au jour d’aujourd’hui” formule horrible mais pourtant si répandue, qui heureusement je crois est en train de passer de mode. “C’est parti !”, “Du coup !”, à ce propos nos amis québécois se sont bien moqués de nous, je ne résiste pas à l’envie de vous communiquer un petit tableau ironique et un peu revanchard sur l’esprit de contradiction des “Maudits français”, mais nous nous éloignons à distance des pléonasmes.
Bon ! Ce sera pour une autre fois je n’arrive pas à insérer l’image.
Merci Loki pour ce moment instructif et amusant.
Chamans !
Pour insérer une image dans un commentaire, il faut procéder de la façon suivante :
Ouvrir la fenêtre du commentaire
Ouvrir une autre session simultanément
Dans cette autre session choisir “publier” nouvelle (ou une autre publication)
Dans cette fenêtre insérer l’image désirée
Quand elle est dans la fenêtre la copier
Puis la coller dans la fenêtre du commentaire
Fermer la session de publication
******
Exemple j’ai inséré dans ce commentaire l’image de ma nouvelle.
Merci Loki !
Bonsoir Loki,
Pas facile pour moi de lire l’histoire bourrée de pléonasmes ; en relisant (une 2e fois!!) j’ai bien rigolé! Je ne connaissais pas non plus le terme de périssologie ; je trouve succulents les titres de romans : La litanie des angles droits. et Si les Dieux ont soif, ils n’ont qu’à boire.
Le sketch n’est pas mal non plus. Je ne connaissais pas.
Merci Loki.