Soudain j’eus envie d’écrire une nouvelle. D’habitude une idée me venait, de je ne sais où, et se glissait dans mon subconscient. Elle mûrissait peu à peu. Un jour elle prenait corps et je pouvais en coucher les premiers éléments sur le papier. Mais aujourd’hui ce n’était pas le cas. J’avais seulement envie d’écrire une nouvelle. Allez savoir pourquoi ? Certain jour on a envie de manger des fraises, d’aller au restaurant ou de partir en vacances. Cela ne s’explique pas, une envie c’est viscéral. La mienne était de même nature. Alors, pourquoi ne pas la satisfaire ?
J’avais sur mon bureau un tas de feuilles blanches, dans mon tiroir un lot de crayons de diverses couleurs. Il me manquait juste l’idée ! On parle souvent de la détresse de l’écrivain devant la page blanche, rien n’est plus vrai. J’avais beau, poser une feuille de papier devant moi, aligner quelques crayons et stylos, saisir celui que je préférais, l’inspiration ne venait pas. Ma tête me semblait aussi vide que celle d’un amnésique (ce mal ne m’a jamais frappé, mais je l’imagine ainsi). Je me levais, une petite marche ne pouvait que m’éclaircir les idées. Tandis que je marchais, mon cerveau continuait à tourner. Toujours le vide puis brusquement une idée illumina mon esprit. Une idée de nouvelle ? Point du tout ! Mais une idée à propos de l’écriture des nouvelles ! La solution à mes tourments était là ! J’avais écrit et lu assez de nouvelles pour en avoir assimilé la structure. Après tout qu’est-ce qu’une nouvelle ? Une histoire, des personnages et des mots pour exprimer le déroulement de l’histoire. Des mots j’en connaissais plein et les dictionnaires étaient là pour combler mes carences. Assembler ces mots pour en faire des phrases n’était pas vraiment un problème. Les personnages ? J’avais l’embarras du choix, il me suffisait de regarder autour de moi, de fouiller dans ma mémoire, de consulter des livres, etc., pour en trouver à profusion. De ce côté-là, le problème était réglé. Évidemment il restait l’histoire… J’allais abandonner quand dans un sursaut je me dis : je vais d’abord choisir des personnages, des lieux, des époques, l’histoire viendra après. Ne suis-je pas un créateur ? N’est-ce pas cette faculté qui me distingue d’une souris ou d’un bégonia ? Apaisé par cette constatation, je rentrais chez moi et m’asseyais devant ma feuille blanche. À nous deux ma belle ! Maintenant que j’avais élaboré une stratégie, il fallait concevoir une méthode. Sérions les choses pour avancer dans la construction de la nouvelle. Les personnages…un homme, une femme ? Les deux ? Plusieurs ? Une histoire d’amour ? C’est un sujet très exploité. Si j’en prenais le contre-pied, cela pourrait être intéressant. Voyons un beau titre : « La non-histoire d’amour ».
Quand Kevin et Géraldine naquirent, il était écrit qu’ils ne devaient pas s’aimer. Ainsi débuta une belle histoire de non-amour. Il y avait toutes les chances qu’ils ne se rencontrent pas, mais dans ce cas l’histoire aurait été extrêmement courte. Ils se rencontrèrent donc. Bien qu’il habitât Dieppe et elle, Antibes, il arriva qu’à l’âge de vingt ans Kevin parte en vacances à Antibes. Les choses sont d’ailleurs bizarres, car à l’origine il avait envisagé de partir à Quiberon, mais une météo défavorable l’en avait dissuadé. Il la croisa sur la promenade des Anglais. Bien qu’elle fût jeune et jolie comme un cœur dans sa robe à pois rouge il ne la remarqua pas. Elle de son côté ne porta pas son regard, une minute, sur le fringant jeune homme. Il eût été une de ces bornes qui parsèment le trottoir que cela aurait été la même chose. Non, car dans ce cas elle l’aurait évité. Là, elle ne le vit même pas. Il quitta Antibes au bout de quinze jours. On ne peut pas dire que leur histoire de non-amour avait commencé, car elle avait débuté dés leur naissance . . .
Bon ! Cela commence bien. J’écrirai une suite plus tard. Oui, mais certains lecteurs vont dire que le thème de l’amour, même sous cette forme, est banal ! Dans une majorité d’histoires, l’écrivain fait intervenir des hommes, des femmes. C’est vrai que ce n’est pas original. Je vais essayer d’en sortir. Un animal peut-être ? Un chien ! Oui, mais il a beaucoup été utilisé. Un chat. Non on va dire que je fais du Colette. Pourquoi pas un cheval, c’est la plus belle conquête de l’homme ! C’est aussi pour cela qu’il a été beaucoup exploité ! Non je ne ferai pas mieux.
Un lion, une taupe, un ver de terre. Oui un ver de terre ce n’est pas commun. Tiens ! Je vais écrire une nouvelle sur un ver de terre.
« Prosper était un mignon ver de terre. Sa maman avait pondu une dizaine de petits œufs dans un cocon blotti sur un tas de détritus végétaux. Il fut le seul à sortir du cocon et ses parents cherchèrent comment ils allaient le prénommer. Vous savez chez les annélides chétopodes les problèmes sont les mêmes que pour les hommes. Papa aurait voulu comme prénom Lombric ou même mieux Lumbricus (au moins cela faisait ancien). Mais maman n’était pas d’accord elles trouvaient ces prénoms trop austères. Ce que femme veut, dieu veut (même chez les vers de terre) et notre mignon ver de terre fut prénommé Prosper. Vous allez me dire, il aurait été plus adéquat de choisir comme prénom Croqueterre (ou même Croqtaire), mais l’humour n’est pas la qualité principale des chétopodes.
Les vers de terre sont vite autonomes et Prosper passait ses journées à ingurgiter de la bonne terre bien meuble qu’il régurgitait méticuleusement après en avoir absorbé toutes les bonnes choses. Un jour sortant du sol il rencontra un escargot. Etant dépourvu d’yeux (d’ailleurs pourquoi faire dans un monde souterrain ?), il lui demanda de décrire le monde d’en haut. Il apprit avec stupéfaction que l’escargot ne mangeait pas de terre, mais de ces choses vertes dont Prosper avait vu les racines. Il avait une paire d’yeux, se déplaçait sur le sol et sur les murs en laissant de longues traînées baveuses et pouvait dormir dans une coquille qu’il portait sur le dos. Prosper fut encore plus sidéré quand il apprit qu’il existait d’autres animaux qui couraient plus vite que le vent à l’aide de membres appelés des pattes.
Son étonnement fut à son comble quand l’escargot lui expliqua que certains animaux appelés des oiseaux étaient même capables de voler. Lui qui avait toujours été si heureux dans sa terre humide se sentit tout à coup comme cloué au sol. Il n’eut plus qu’un rêve : avoir des pattes pour courir à travers les mottes au lieu de les traverser péniblement, des ailes pour s’envoler haut, très haut…
Je ne suis pas mécontent. Seulement voilà, j’entends déjà certains lecteurs grincheux dire que cela fait conte pour enfants. Car la mode est aux choses intellectuelles !
Après tout pourquoi un être vivant ? Objets animés avez-vous donc une âme ? Dans ma nouvelle ils peuvent en avoir une ! C’est une bonne idée un objet. Lequel choisir ? Un aspirateur ? Trop technique ! Une fourchette ? C’est mieux, mais ce n’est pas facile à placer dans une histoire. Quoique…Une pierre ? C’est bien une pierre. Quoi de plus sobre et de plus universel ? Mon héroïne sera une pierre ! Allez, je me lance, pierre tu seras la première pierre de ma nouvelle… Tiens si je faisais vivre ma pierre dans le futur ! Je pourrais écrire par exemple : elle était posée là sur la surface aride de la planète Mars, depuis des millions d’années. De couleur rougeâtre, comme ses sœurs qui parsemaient le grand désert, sa pensée vivait au rythme du Soleil. Aux températures élevées des jours succédaient depuis toujours les froidures extrêmes des nuits martiennes. Le soleil était haut sur l’horizon et la pensée de la pierre atteignait son paroxysme en absorbant l’énergie solaire. Mais ce jour ne devait pas être le même que les autres. Sa pensée fut absorbée par quelque chose se détachant sur l’horizon. Cette chose se déplaçait et avançait vers elle. La pierre fouilla dans sa mémoire ancestrale. Non elle n’avait jamais vu d’objet de cette sorte. Cela ne ressemblait ni à une pierre ni à rien de connu sur Mars. C’était une forme blanche avec deux excroissances blanches qui se déplaçait sur le sol en soulevant de la poussière. Une boule brillant au soleil surmontait la silhouette. Soudain elle vit la forme au-dessus d’elle. Elle sentit sa pensée comme traversée par un magnétisme étrange. Mais cela ressemblait à une pensée ! Oui une pensée molle, désordonnée alors que celle de ses consœurs était dure et tranchante. Pas de doute cette chose mystérieuse pensait. Tout à coup une excroissance surgit de la forme blanche et lui fit de l’ombre. La petite pierre se sentit soulevée puis tout à coup la lumière disparut et ce n’était pas la nuit !
Bon ! Ce n’est pas mauvais pour un début de nouvelle, mais cela risque de désorienter certains lecteurs. Peut-être pourrais-je envisager quelque chose de plus terre à terre (tiens ! Je fais des jeux de mots sans même m’en apercevoir). Essayons :
Paul venait de franchir le dernier draille et arrivait au pied de l’immense paroi rocheuse. En ce début de matinée, un silence oppressant recouvrait la montagne, troublé parfois, en altitude par les cris des choucas. Aujourd’hui cela faisait tout juste un an que son ami André était mort. C’était aussi par une belle journée d’été. Ils avaient commencé l’ascension de la paroi, André était, devant plantant les pitons dans la roche. Cette montée à deux était une classique ne présentant pas de difficultés particulières pour des alpinistes entraînés. Ils avaient progressé d’à peine cent mètres quand le drame se produisit. Pierre entendit un cri et vit le corps d’André passer à côté de lui. La corde se tendit brusquement, il banda ses muscles pour ralentir la chute de son coéquipier. Un choc violent ébranla tout son corps, il faillit basculer à son tour dans le vide, mais le piton sur lequel il était accroché résista. En bas André pendait, inerte au bout de la corde. Pierre appela, mais André ne répondit pas. En descendant avec précaution, il ne put que constater la mort de son ami. Du sang s’écoulait du crâne. Une pierre s’était détachée de la falaise et avait heurté la tête de l’alpiniste.
Paul s’avança au pied de la paroi. Elle était toujours là. Il la revoyait, il y a un an, avec sur une arête un peu du sang de son ami. Aujourd’hui elle était là immaculée, le vent et la pluie lui avaient rendu sa pureté. Seul Paul savait que cette pierre n’était pas comme toutes les autres…
Je ne suis pas mécontent de ces deux textes cela confirme ce que je pensais, je peux choisir les personnages et trouver une histoire après. À partir d’une pierre, je peux imaginer une multitude de situations. Ma pierre peut-être un morceau de roche constituée de quartz, extraite dans une mine d’Afrique du Sud retrouvée dans le semi-conducteur d’un circuit de micro-ordinateur. Ou bien, elle sera ramassée par un poulet sur le sol dans une ferme de Gers. Elle se retrouve dans son gésier. Un Lyonnais mange les abattis de la volaille et se casse une dent. Il néglige de la faire soigner et meurt d’une septicémie. C’est original, mais un peu dramatique et cela manque un peu de poésie. En y réfléchissant, le hasard intervient beaucoup dans les histoires. C’est la faible probabilité d’une situation qui la rend intéressante. Après tout je pourrais peut-être laisser le hasard guider le déroulement de l’histoire ? Le hasard, c’est bien le hasard. À garder. Mais il me vient une idée. Pourquoi ne pas faire des mots mes héros : une histoire de mots racontée avec des mots …
La phrase était au milieu de la page. Le verbe promenait son regard hautain sur les autres mots. Le nom excédé lui tint ce langage : crois-tu que ta suffisance ne m’affecte ni ne me soucie. Un adjectif est plus fort que toi et je le mène à ma guise. Car quoi, tout agit sur ton insolente personne. Un seul un pronom personnel placé devant toi et te voilà qui obéit à sa loi. Ta gloire infinitive est sans cesse remise en cause. As-tu un peu de quiétude dans le présent que le passé t’affecte. Il t’agresse sous toutes ses formes, tu te crois tranquille quand il est simple qu’un rien te transforme en imparfait. Tu ne peux même pas te suffire à toi même il te faut la béquille d’un auxiliaire pour te déplacer dans le passé et ne pas trépasser. Tandis que moi je suis la pureté même. Je ne connais que deux états le singulier et le pluriel. Non content de prendre un « s » pour être plusieurs je me pare parfois d’un « x » ou de mille fioritures qui ravissent les poètes. Je me déplace dans la phrase au gré des écrivains leur permettant les plus belles audaces.
Parlons-en de ta pureté, répartit le verbe ! Ta pureté n’est qu’indigence. Car quoi, deux états c’est vraiment une misère. Et encore tu ne t’en vantes pas, tu es parfois invariable ou toujours au pluriel. Peut-on être pur quand on est sans cesse masculin, féminin ou neutre ? Moi ces affaires de sexe ne m’affectent pas. L’enfant qui commence à parler te prononce péniblement alors que moi il faut dominer la langue pour me domestiquer. Je suis comme un cheval sauvage, toi tu n’es qu’immobilité. Je représente l’action toi la stagnation. Je permets toutes les subtilités de la langue, j’assure la jonction entre le passé, le présent et le futur. Je peux tout exprimer les ordres, les désirs, le souvenir, le doute, l’avenir, l’état et mille choses encore.
Pas mal ! Je sens qu’avec ce texte je me dirige vers une abstraction de bon aloi. Ne suis-je pas le créateur et un créateur doit pouvoir partir de rien …
Je suis parti du principe qu’il fallait des personnages dans ma nouvelle. Ne serait-il pas possible d’écrire une histoire où il n’y aurait pas de personnages ? Théoriquement cela doit être possible. Essayons : au début le néant s’étendait à l’infini. En haut, en bas il n’y avait rien. Mais cela n’avait aucun sens puisque le haut et le bas n’existaient pas. D’ailleurs l’infini lui-même n’existait pas. Même les mots « néant », « rien » n’existaient pas. Comment décrire une chose que l’on ne peut ni représenter par des images ni signifier par des mots ? Peut-on parler de chose ? Une chose c’est déjà un concept. Or ce néant était absolu. Dieu prit alors sa feuille blanche. Il se dit : je suis Dieu donc je peux tout. Moi Dieu je décide que du néant sortira quelque chose. Alors la pensée de Dieu se cristallisa et du néant sortit un germe de vie. Dieu dit : de ce germe jaillira tout que j’ai imaginé : les choses, les êtres animés, l’homme, l’univers et tout le reste. Comme je l’ai décidé, je laisserai faire le hasard. Après tout que l’univers se débrouille et l’homme également. Le germe de vie grossit, grossit et explosa… Dieu pensa : cette fois-ci j’espère que les hommes se débrouilleront mieux que les autres fois.
Alors Dieu rangea sa feuille qui n’était plus blanche dans le classeur des nouvelles déjà écrites. Il pensa : j’ai toute l’éternité pour écrire d’autres nouvelles. Et il se reposa.
Est-ce cela qu’on appelle une mise en abyme ? ou serait-ce plutôt une « meta » nouvelle ?
En tout cas, j’ai vraiment apprécié cette évocation des affres de l’auteur en manque de jus et plongé dans les abîmes de la perplexité et des angoisses de la création.
L’évocation de la pierre ne saurait que me faire penser à une précédente nouvelle de ton cru.
Et j’ai bien aimé le couplet où le nom et le verbe se chamaillent gentiment, un page qui me rappelle que, quelquefois, « le verbe s’est fait chair », énoncé (ou prononcé) qui m’entraîne dans des contrées encore plus obscures.
Oui, je me suis toujours demandé, comme pour l’inné et l’acquis, si une nouvelle ou un roman était le fruit d’une inspiration géniale et spontanée, irrépressible, ou si plutôt ils étaient le fruit d’une patiente et méthodique élaboration dans les coulisses laborieuses de la créativité.
Les deux, peut-être ?
Merci, Loki, pour ce texte que je trouve fort original.
Merci Hermano d’avoir eu la patience de lire cette nouvelle un peu longue…
A une époque où le SMS est roi, il faut être utopiste pour penser qu’une lecture un peu longue puisse intéresser tous les lecteurs et je suis utopiste !
Tu t’interroges :
Oui, je me suis toujours demandé, comme pour l’inné et l’acquis, si une nouvelle ou un roman était le fruit d’une inspiration géniale et spontanée, irrépressible, ou si plutôt ils étaient le fruit d’une patiente et méthodique élaboration dans les coulisses laborieuses de la créativité.
Les deux, peut-être ?
Comme toi je pense les deux ! Mais que l’oeuvre sera d’autant meilleure quand elle est le fruit d’une inspiration (géniale ?) et spontanée, irrépressible. Il n’empêche qu’elle ne pourra atteindre le statut « d’oeuvre » qu’en étant travaillée et peaufinée.
Car comme l’écrit Buffon » Le génie est une longue patience. » Il me reste un long chemin à parcourir…