Madame Germaine c’est ainsi que j’ai toujours appelé ma voisine d’immeuble, une petite dame aux cheveux blancs, que j’ai l’impression d’avoir connue de toute éternité.
Cela ne fait que dix ans que je suis dans l’immeuble et madame Germaine y habite depuis bien longtemps. J’aurais pu appeler ma voisine par son nom affiché sur sa boîte à lettres, un nom assez compliqué, venant manifestement d’Europe de l’Est, mais je préfère garder son prénom qui donne plus d’intimité à nos relations.
Intimité toute relative, car nous les citadins on se côtoie, on se salue, parfois on se parle. Maintenant que j’y pense, je n’ai jamais été dans l’appartement de madame Germaine. Il est situé au premier étage de l’immeuble. Les pots de fleurs bien entretenus reflètent son caractère. Une petite femme bien propre de sa personne, une élégance simple et sans prétention. En fait tout ce que je sais de madame Germaine provient de la concierge toujours bien informée.
Madame Germaine était institutrice, mariée à un contrôleur des impôts, décédé depuis une dizaine d’années. Nos horaires ne coïncident pas. C’est surtout le samedi et le dimanche que je rencontre madame Germaine en bas de l’escalier. Elle me sourit et j’aime ce sourire qui met en valeur cette quiétude que l’âge donne à certaines personnes. La gracilité de son corps m’émeut et donne envie de la protéger. Parfois en faisant mes courses, je la croise. Elle promène son chien, un cocker golden. On dit que les chiens ressemblent à leur maître. Ce n’est pas le cas pour ce cocker. Autant madame Germaine est menue, autant le chien est massif et son corps est arrondi. Malgré son embonpoint il galope devant sa maîtresse qui le rattache précipitamment quand ils croisent un autre chien.
Donc, je sais peu de choses, de madame Germaine. Nos échanges se limitent à des bonjours, des sourires et parfois des banalités sur le temps.
Un dimanche en revenant du marché, j’aperçus madame Germaine qui promenait son chien, sur le trottoir devant moi. Quelque chose m’intrigua immédiatement : alors que le cocker comme à son habitude trottait devant sa maîtresse, celle-ci ne cessait de se retourner et de fixer le trottoir derrière elle. J’arrivai à sa hauteur, je la saluai et lui demandai si elle avait perdu quelque chose. Avec un sourire triste, ce qui n’était pas habituel chez elle, elle me répondit qu’elle vérifiait si son cocker la suivait.
Interloqué par sa réponse, je n’osais lui dire que son chien était devant.
La vérité m’apparut impitoyable, l’esprit de madame Germaine était en train de divaguer.
Je me trouvais désemparé n’osant rien répondre : la misère, des autres, rend parfois impuissant.
***
Je partis quelques jours en voyage.
À mon retour, tandis que je pénétrais dans le hall de l’immeuble, la concierge m’apprit que madame Germaine était morte pendant mon absence !
Depuis quinze jours elle était bizarre, me dit-elle.
- Comme je l’avais interrogé un jour sur sa santé, elle m’avait expliqué : « Figurez-vous madame Michu, que la mort rôde en permanence autour de moi, elle est à l’affût, je me retourne sans arrêt, car je sens sa présence derrière moi ».
La mort de madame Germaine m’attrista profondément. J’ai encore le souvenir de son sourire et de sa présence tranquille. Je la vois encore avec sa silhouette de petite souris. La vieillesse est vraiment un naufrage. C’est injuste, la dégénérescence de l’esprit ne lui avait pas été épargnée.
Le lendemain alors que je partais faire mes courses, je me retournais machinalement à chaque pas. Que pouvait voir madame Germaine ? La mort ! C’était absurde…
Je traversai à un feu tricolore, tout en me retournant.
Elle n’était pas derrière, mais devant…
Merci Loki pour cette nouvelle qui illustre parfaitement qu’il est sage de se concentrer sur l’instant présent au lieu de ressasser le passé ou de penser à la prochaine chose à faire.
Comme d’habitude, le décor est bien planté, ainsi que les personnages. Tu distilles juste ce qu’il faut de détails imagés.
J’ai néanmoins une petite réserve, pas fondamentale. D’après ton récit, je comprends que Madame Germaine est morte 15 jours après la déclaration de sa maladie. Si elle est morte de cette maladie, ce n’est pas possible qu’elle l’ait emporté en seulement 15 jours. Donc de quoi est-elle morte ? On a envie d’en savoir plus sur les circonstances, d’autant que la Mort semblait à l’affût. La concierge devrait pouvoir fournir des informations 😉
Merci Line de ton commentaire !
Mais j’avoue ne pas très bien comprendre ta réserve.
On ne meurt pas forcément de maladie, parfois la vieillesse suffit…
En l’occurence ce n’est pas la cause de la mort qui m’intéressait, mais la prémonition de son arrivée proche.
Bonjour Loki,
Dans le format « compact » d’une nouvelle, chaque information est un petit caillou blanc qui guide le lecteur. Donc si je lis que Madame Germaine souffre d’Alzheimer, je vais chercher un rapport plus loin dans le récit. Et le seul qui pourrait avoir un rapport est son décès… En l’occurrence, le petit caillou blanc m’a égarée… 😉
Bonjour Line,
Je trouve ton image de « caillou blanc », semée par l’auteur dans un texte, magnifique !
En tant qu’auteur de roman tu t’y connais en « caillou »…
Tu sais aussi que les auteurs, ces perfides, en sèment, des faux pour orienter les lecteurs vers une fausse piste !
J’ai bien aimé la sobriété du récit, la simplicité et la quasi banalité de l’histoire, exposée sans fioritures ni panneaux indicateurs.
Merci Loki pour cela !
Pour ce qui concerne le style, j’ai beaucoup aimé tout le début qui est rédigé au présent.
Cela m’a surpris de voir la suite du récit au passé, mais comment faire autrement ?
J’aime beaucoup cette nouvelle.
J’apprécie l’évocation du quotidien qui me parle,
un quotidien qui pourrait paraitre banal;
approfondi, il pose des questions sur la vieillesse
et sur la mort vis à vis desquels nous sommes souvent
démunis.
Je trouve madame Germaine très attachante
et les détails de sa vie très joliment évoqués.
(sa petite taille, son élégance, sa simplicité…)
Merci pour ce bel écrit.
Nima
Bonjour Loki,
À la réflexion, le passage suivant a suscité des questions restées sans réponse :
« la concierge m’apprit que madame Germaine était morte pendant mon absence ! Depuis quinze jours elle était bizarre, me dit-elle. »
De quoi Madame Germaine est-elle morte ? Cette question m’intrigue.
À moins qu’elle n’ait pas Alzheimer et qu’elle ait répondu à son voisin qu’elle se retournait pour voir son chien pour ne pas dire qu’elle voyait la mort ?
Bref, je n’arrive pas à trier les cailloux blancs… Mais peut-être est-ce que je me pose trop de questions au lieu de goûter simplement l’histoire ?
Merci Nima pour ce commentaire !
Et bienvenue sur le site !
Peut-être aurais-je le plaisir de te lire ?