La littérature est pleine d’histoires d’amour heureuses ou malheureuses. Les plus tragiques sont celles qui inspirent le plus les écrivains.
L’histoire que nous allons conter n’est pas à la hauteur de celles de Tristan et Iseut ou de Roméo et Juliette.
Pour remonter plus loin dans le passé elle ne peut pas non plus se comparer avec celle d’Orphée et d’Eurydice ou encore plus loin à celle de deux jeunes Babyloniens Pyrame et Thisbé.
Mais existe-t-il une échelle de valeurs dans la douleur que ressent un être amoureux qui voit son amour contrarié ?
Nous ne pensons pas et c’est la raison qui nous incite à continuer le récit de l’amour malheureux d’Alain Portable.
Le jeune homme venait de terminer ses études informatiques et avait eu la chance d’être embauché chez Orange.
Quelques lecteurs relèveront l’aptonyme que constitue le nom d’Alain avec les activités de cette entreprise.
Comme on le dit familièrement tout baignait pour le jeune informaticien de 23 ans son profil étant en adéquation avec son poste.
Le premier jour, c’est avec fierté qu’Alain s’assit derrière le bureau et l’ordinateur dans l’open space qu’on lui avait attribué.
C’est aussi ce même jour que le drame se noua.
À peine installé, une secrétaire vint l’avertir que la cheffe de service voulait l’accueillir.
Celle-ci, une femme d’une quarantaine d’années, le reçu courtoisement, mais sans chaleur. Tandis qu’elle lui expliquait quelles seraient ses fonctions dans le service et les objectifs à atteindre, Alain timide comme un collégien n’arrêtait pas de la fixer, fasciné comme une souris par un cobra.
Isabelle du Mont Plantet, polytechnicienne d’une quarantaine d’années n’était pas un sex-symbol. Pourtant dès la première minute elle avait déclenché chez Alain un séisme amoureux. Il avait été subjugué par son air racé, la perfection de son visage, l’élégance de sa ligne et même la sévérité de son attitude.
Il avait déjà eu quelques amourettes sans suite, mais aujourd’hui avec cette femme mûre, assise, devant lui il ressentit ce qu’on appelle un coup de foudre…
C’est donc comme enivré qu’il sortît du bureau de sa cheffe de service. Assis devant son ordinateur dans l’open space, il prit conscience de l’attitude passive qu’il avait manifestée devant cette femme. Elle l’avait sans doute déjà oublié : il y avait tant d’informaticiens dans ce service…
Les jours suivants, Alain prit ses marques dans le service. Comme il avait été toujours un bûcheur, il atteint vite les objectifs qu’on lui avait assignés.
Mais il avait toujours en tête le souvenir d’Isabelle du Mont Plantet. Le temps passait et la cheffe de service n’apparaissait pas. Quand il allait à la cantine, il y avait l’espoir de la voir. Espoir chaque jour déçu. Il avait fait connaissance de plusieurs autres collègues avec lesquels il avait sympathisé. Discrètement il essayait auprès d’eux de s’informer sur Isabelle. Il rougissait intérieurement de l’audace qu’il avait de la nommer par son prénom. La polytechnicienne était vraiment discrète. Ses collègues pensaient qu’elle était mariée. Avait-elle des enfants ? Ils n’en savaient rien.
Il crut défaillir quand, au bout de 15 jours, « Isabelle » apparut dans l’open space. Elle passait de bureau en bureau s’entretenant avec chacun de ses collaborateurs. Elle avait toujours son air sévère, mais qu’elle était belle avec son tailleur vert pomme que seul égayait un collier de perles. Quand elle s’adressa à Alain, il fut statufié comme s’il avait vu la Méduse. À l’instant où elle quitta son bureau, il se sentit aussi ridicule qu’au premier jour. Il ne se souvenait plus des questions qu’elle lui avait posées ni même de ses réponses. Ce n’est pas comme cela qu’elle allait le remarquer.
Il était conscient de l’abîme qui le séparait d’Isabelle. Il avait 23 ans et elle la quarantaine. Lui n’était qu’un pauvre informaticien, elle une brillante polytechnicienne. Elle était sa cheffe de service, lui, seulement son subordonné.
Malgré tous ces obstacles, le feu qui l’avait embrasé déjà dès leur première rencontre était si fort ce qu’il ne pouvait renoncer à la conquérir.
Les deux tête-à-tête avaient été des échecs. Il avait eu l’opportunité de briller devant elle et il avait échoué lamentablement. Il fallait absolument qu’il rattrape ces fiascos.
Il eut une idée qu’il considéra comme brillante.
Il prépara un dossier sur un nouveau système, qu’il avait conçu capable d’accélérer de façon substantielle la vitesse de sortie des données d’un serveur d’Orange.
Il demanda une audience à sa cheffe de service pour lui présenter le projet.
En entrant dans le bureau de sa supérieure, son cœur battait la chamade.
L’accueil fut plutôt glacial. Prenant son courage à deux mains, Alain exposa son projet avec maestria. Il sentait qu’il avait enfin atteint une assurance susceptible d’impressionner Isabelle du Mont Plantet. Elle l’écoutait avec attention. Son exposé terminé, elle le félicita et lui promit d’examiner plus à fond son projet. Malgré la réussite de son exposé, en sortant il sentait que leurs relations étaient demeurées seulement techniques et qu’aux yeux « d’Isabelle » il restait un subordonné, certes doué, mais pas digne d’un intérêt plus humain.
Pendant plusieurs jours, Alain chercha le moyen de déclarer sa flamme, toujours aussi ardente à Isabelle du Mont Plantet.
Il était inenvisageable de lui faire oralement une déclaration. Un mail peut-être ? Ce moyen manquait de poésie !
Décidément il était plus doué pour manier des algorithmes que pour faire des déclarations d’amour.
Malgré son esprit rationnel, il décida de faire une chose irrationnelle.
Sur une affichette dans la rue il avait lu :
Les forces de l’amour peuvent être contrôlées.
Je suis un envoûteur qui possède le pouvoir de créer l’invisible attraction sentimentale. Je peux mettre toutes mes compétences à votre service pour établir une véritable réciprocité amoureuse avec votre être aimé et lui imposer fidélité et soumission. J’interviens du premier flirt jusqu’à la rupture, de la première connexion affective jusqu’au retour de l’ex.
Concevoir des magies pour se faire aimer.
Mon pouvoir d’amourologue réside dans mon vaste arsenal de marabout. Je donne des conseils d’expérience et de sagesse pour les petits bobos du cœur ou j’allume le feu de la passion dans le cœur de l’élu(e). Mes rituels magiques s’appliquent sans que l’être aimé ne ressente sa perte de volonté et son asservissement pour nourrir votre amour.
Il releva l’adresse du marabout.
C’était un peu fou, mais ce qu’il ressentait n’était-il pas un peu fou ?
Les obstacles qui le séparaient de l’être aimé étaient si importants que pour les lever il fallait sans aucun doute des moyens exceptionnels, quasiment magiques.
Quand il arriva devant l’immeuble où résidait le marabout, il hésita. Déjà le quartier était peu engageant, mais l’immeuble était vétuste, sa façade délabrée et les volets témoignaient d’une longue absence de peinture. Il était prêt à tourner les talons, mais la pensée d’Isabelle lui redonna la force d’entrer. Dans un couloir sombre et humide, il aperçut un panneau plus récent que le mur sur lequel il était fixé. Était inscrit :
Mamadou Dialo marabout exceptionnel, 2e étage.
Il nageait dans l’irrationnel. Il gravit l’escalier où aucune des marches usées n’avait la même taille.
Une deuxième pancarte lui indiqua la bonne porte.
Il sonna.
Au bout d’une minute, un bruit de pas retentit et le marabout ouvrit la porte.
C’était un grand noir qui le dépassait d’une tête, habillé d’un grand boubou bleu foncé, un large sourire éclairant un visage engageant.
Il dit simplement en faisant entrer Alain :
– Bonjour ! je sais pourquoi tu viens me voir, tu as fait le bon choix !
Il le fit asseoir dans un fauteuil en bois devant un bureau recouvert d’une peau de zèbre et s’assit en face.
Il ne dit rien pendant quelques minutes. Le silence était oppressant. La pièce sans fenêtres était éclairée uniquement par une ampoule émettant une lumière blafarde. Le marabout les yeux dans le vague égrenait de sa main droite un chapelet de graines, tout en récitant une litanie incantatoire.
Brusquement il s’exclama :
- Tu veux te faire aimer d’elle ?
Le jeune homme surpris par cette interrogation abrupte ne put que bredouiller :
– Ouii… !
– As-tu un objet lui appartenant ?
Alain était décontenancé par la question.
Il allait répondre par le négatif quand il se souvint que la dernière fois qu’il était allé dans le bureau de sa cheffe de service, il avait emporté malencontreusement le stylo d’Isabelle. Ce n’était qu’un simple Bic, mais avec un peu de honte il l’avait gardé. Aux yeux du jeune homme, il avait une valeur inestimable. Il était devenu fétichiste et parfois il sortait le stylo de sa poche et en humait le plastique. Il lui semblait qu’il sentait le parfum d’Isabelle, parfum dont il s’était enivré quand elle était venue dans son bureau dans l’open space.
Le marabout lui demanda de lui prêter le stylo à bille
– Si tu le veux, je peux capter les effluves de ce grigri et y associer ton magnétisme pour que la femme devienne folle de toi. Le veux-tu ?
– Ouiii
– Mais je te préviens, cela te coûtera 100 €.
En temps ordinaire Alain aurait refusé, mais l’atmosphère irréelle de cette pièce remplie d’objets africains, les yeux du marabout qui brillaient dans la lumière blafarde achevèrent de convaincre le jeune du pouvoir du sorcier.
- D’accord !
- Alors, passe-moi ton mouchoir !
- Dès qu’il l’eut en main, il enveloppa le stylo avec le mouchoir, posa le paquet sur sa table, il se leva, plaça ses mains au-dessus de l’ensemble puis entonna une mélopée pendant quelques minutes.
Il redonna le mouchoir et le stylo à Alain.
- Tu rendras ce stylo à cette femme. Elle sera esclave de tes volontés !
***
Il désirait tellement que son vœu soit exaucé qu’il était prêt à croire à n’importe quoi !
Savoir qu’il allait pouvoir se faire aimer d’Isabelle donnait des ailes au jeune homme.
Il échafauda tout un plan pour rendre son stylo à sa cheffe de service.
Il allait revenir dans le bureau d’Isabelle du Mont Plantet comme il l’avait quitté : avec un dossier !
Il prit un rendez-vous pour présenter l’avancement du projet.
Comme les autres fois la polytechnicienne le reçut poliment, très professionnelle, mais toujours avec la même froideur.
Tandis qu’il présentait l’avancement de son projet, Alain jetait un coup d’œil furtif sur la chevelure et les épaules d’Isabelle. Mon Dieu qu’elle était belle. Il sentait son désir croître. Il était un peu gêné, espérant que les manifestations physiques de ce désir n’étaient pas trop voyantes. Il argumentait pied à pied, tout en manipulant distraitement le stylo à bille. Il souriait intérieurement à la pensée des effets qu’il allait avoir sur sa cheffe de service.
Quand il quitta le bureau, il avait oublié le Bic sur le bureau…
***
L’attente fut longue très longue.
Le marabout ne lui avait pas précisé comment le fluide sur l’être aimé se manifesterait.
Il espérait secrètement qu’Isabelle viendrait le voir, subjuguée, par les effets magiques des incantations du marabout.
Plusieurs jours s’écoulèrent et rien ne se passait…
Alain en arriva à la conclusion qu’il lui appartenait d’initier les choses. Pour qu’une flamme s’allume, il faut une allumette…
Les occasions de rencontrer Isabelle étaient rares.
Il voulut prendre un nouveau rendez-vous et à ce moment il lui déclarerait son amour. Il téléphona à sa secrétaire. La cheffe de service était en mission quinze jours en Guyane.
Il devrait encore attendre.
Vingt jours après le hasard fit bien les choses. Dans un couloir il l’aperçut au loin qui s’avançait vers lui. L’instant était venu… Le charme du marabout avait dû faire son effet…
Il la salua avec un magnifique sourire et lui tendit la main. Isabelle du Mont Plantet le regarda, comme s’il était un extra-terrestre, se détourna, outrée et continua sa route.
Alain était atterré. Tous ses espoirs s’écroulaient.
Le soir quand il rentra chez lui, il se coucha sans dîner.
Il ne parvint à s’endormir que vers une heure du matin. À trois heures il se réveilla brusquement, une idée venait de lui traverser l’esprit : il avait été trop brutal. Quand on veut séduire une femme, il ne faut pas se précipiter sur elle comme un malotru ! La femme est un être sensible qui exige de la finesse, de la douceur. Il ne faut pas se presser. Au contraire il faut prendre son temps, par des petites attentions montrer l’amour que vous lui portez. Mais cet amour doit être instillé par petites touches pour arriver à la communion recherchée.
Ce raisonnement lui donna une première idée : lui faire livrer des fleurs. Il la rejeta immédiatement. Primo il ne savait pas quelles fleurs aimait Isabelle, secundo la brutalité du geste était évidente et incongrue. Sa cheffe de service serait gênée si un livreur apportait comme cela de manière impromptue un immense bouquet de fleurs dans son bureau…
Non ! Il fallait qu’il écrive une lettre d’amour, dans laquelle il expliquerait tout ce qu’il ressentait pour elle. Il développerait de tels arguments qu’elle ne pourrait qu’enfin le remarquer… Oui une lettre d’amour c’était la solution !
La solution… certes, mais rien dans ses études ne l’avait préparé à écrire une lettre d’amour. Une lettre d’amour cela doit être poétique, capable d’exprimer des sentiments par des mots choisis. Et lui, cela faisait des années qu’il exprimait ses idées par des algorithmes.
Il en riait d’avance, quelle tête ferait Isabelle si elle recevait une missive du genre ?
Alain->A ; Isabelle-> B ; amour->C
À + C for B implique A + B
Elle était polytechnicienne, elle n’en restait pas moins une femme !
Non pas de doute une lettre d’amour s’imposait…
Alain avait écrit beaucoup de lettres dans sa vie surtout des lettres administratives, peu de lettres personnelles. Avec les moyens actuels de communication, tous ses échanges se faisaient par SMS ou courriel.
Quel meilleur moyen de déclarer sa flamme à Isabelle que de lui écrire une lettre d’amour, où il développerait sa passion, son désir fou ?
Mais pourquoi pas un poème ? Cela serait vraiment sublime ! Elle ne pourrait qu’être subjuguée.
Il réfléchit. Il mettait vraiment la barre un peu haute…
Il était sur le point de renoncer, quand il fut piqué dans son honneur. S’il n’était pas capable de le faire, c’est qu’il ne méritait pas la belle polytechnicienne.
Il avait lu quelques poèmes dans sa vie. Mais en rédiger c’était une autre paire de manches !
L’informaticien rationnel qu’il était s’interrogea. Écrire un poème c’était bien, mais mesurer la qualité pour savoir s’il pourrait toucher le cœur d’Isabelle serait mieux. Qui est plus qu’une autre femme serait capable de juger la sincérité d’un poème d’amour. Il n’avait pas beaucoup de femmes dans son entourage. Sa mère lui rirait au nez ! il ne fallait pas que ses collègues de l’open space soient au courant de son amour pour Isabelle. Une idée lui vint : « petit indien ».
« Petit indien » était une de ses camarades de promotion à l’IUT de Béziers où il avait fait ses études. Claudine était surnommée ainsi parce qu’elle était de petite taille, brune. Claudine était vive, rieuse et capable de toutes les excentricités.
Il aimait bien « petit indien », mais leurs relations s’étaient limitées à la camaraderie. À la fin de l’IUT, ils s’étaient perdus de vue et il savait que Claudine avait trouvé un poste chez SFR à Paris. Il était temps de réveiller leur relation, « petit indien » ne refuserait sûrement pas d’être son cobaye. Effectivement elle accepta de juger la littérature d’Alain. Il se lança donc dans la rédaction d’un poème.
Oh ! Étoile dans le ciel orange.
Daigne jeter ton regard
Sur un vermisseau
Qui se dessèche d’amour pour toi
Dans ton palais des ondes célestes
Sache qu’un regard sur lui
Sera pour cette créature
Une fontaine de Jouvence.
Un sourire de toi transformera la misérable larve
En un taureau impétueux.
Un signe de toi.
Je cours, je vole, j’arrive
Et je te serre dans mes bras
Quand « petit indien » eut fini de lire la ballade d’Alain, elle éclata de rire.
- Tu étais le meilleur d’entre nous pour rédiger un programme en langage machine, mais je vais être sincère avec toi, tu n’es vraiment pas doué pour les poèmes d’amour. Si j’étais ton Isabelle, je me tordrais de rire à la lecture de ton poème.
- Vermisseau ! tu te dévalorises vraiment. Étoile ! Étoile ! Je l’ai déjà rencontré ta cheffe, elle se croit sortie de la cuisse de Jupiter.
Alain était silencieux et médusé…
- Et tu veux que je te dise, tu as des milliers de greluches qui voudraient de toi et tu tombes amoureux d’une vioque qui a 20 ans de plus que toi !
Le jeune homme dut convenir que sa copine avait raison, son poème était nul et pompeux.
Il fallait qu’il en écrive un autre qui traduirait la ferveur de ses sentiments, l’ardeur de son amour et qui rendrait grâce à la beauté d’isabelle.
Il fallait qu’il relève ce challenge. Avec encore plus d’ardeur qu’à époque où il préparait son diplôme d’informaticien, il se plongea dans la littérature amoureuse. De la bibliothèque, après avoir consulté la responsable, il rapporta de nombreux livres de poésie. En même temps il explora Internet dans ce domaine.
Après avoir lu un nombre conséquent d’écrits, il prit un bloc et se lança dans l’écriture d’une ballade pour Isabelle. Son cerveau chauffait, mais il n’était jamais satisfait. La poubelle se remplissait de feuilles froissées. Il était sur le point d’abandonner quand un jour, il coucha sur son bloc, d’un seul jet un poème qui lui parut refléter la puissance de l’amour qui l’étreignait.
Toutes les nuits lorsque je suis éveillé,
Je regarde les étoiles et la lune et je pense à toi
Dans ma vie, depuis que je t’ai rencontré
Je suis saisi de l’envie de courir vers toi.
Et je sais qu’avant toi je n’ai jamais aimé
Ma toute belle, tu es l’étoile qui m’attire
Tu es la seule personne qui peut me faire frémir
Dans ma vie, il y a une belle, une très belle, une magnifique rose et pleine d’épines
Et cette rose, c’est toi
Les épines m’empêchent de tenir la rose contre moi
Et je ne peux contenir mon émoi
Mon cœur bat très fort pour toi
Il risque d’éclater
Ma vie s’est soudainement illuminée
Oh rose ! Belle rose
Je rêve que tes yeux sur moi se posent
Et qu’enfin nous puissions nous anéantir dans un tourbillon d’amour…
Il ne cessait de répéter les vers. Pas de doute, ils ne pourraient que toucher le cœur d’Isabelle.
Il signa de son prénom et de son nom. Puis il glissa la feuille dans une belle enveloppe et courut presque, poster la lettre.
Le lendemain il avait beau se concentrer sur travail, il ne pouvait empêcher son cerveau de vagabonder. Il calculait, il faudrait au moins un jour pour que la lettre arrive à destination, peut-être deux…
Le surlendemain rien ne se passa.
Le soir quand il rentre chez lui, il trouva dans sa boite à lettres une lettre au nom de son entreprise.
Isabelle répondait à sa lettre ! Par discrétion il n’avait pas voulu le contacter chez Orange…
Fébrilement il ouvrit son courrier…
Il lui sembla qu’il recevait le ciel sur la tête. Il était licencié : motif harcèlement sexuel.
Son amour se transforma en une haine farouche.
Il s’enferma, lui qui avait toujours été sobre se mit à boire. Il vida peu à peu sa pharmacie pour ne pas avoir à penser.
Il ne répondait plus au téléphone.
Au bout d’une semaine, quelqu’un frappa à sa porte, il était prêt à éjecter l’intrus.
Quand il ouvrit, son cœur se figea, c’était « petit indien ».
Comme il la trouva belle ! Quel idiot il avait été ! C’est elle qui avait raison, qu’est-ce qui lui avait pris de s’amouracher d’une vioque ?
L’image d’Isabelle qui l’avait hanté tant de jours disparut subitement, ses yeux s’ouvrirent enfin. « Petit indien » se glissa dans ses bras. Tout commençait…
C’est qu’en ce moment, je me trouve lisant un succédané de Jane Austen… alors, cela me fit comme une soudaine rupture.
Cependant, cette lecture ne manqua pas de susciter chez moi beaucoup de singulières pensées :
– Je m’attendais à d’autres développements à propos du stylo magique, comme on en trouve dans les contes, du genre : “La belle Isabelle, visitant le zoo de Vincennes par un samedi après-midi ensoleillé, donna par jeu son stylo Bic au grand gorille en cage près de l’entrée. … … Le lendemain, quand le gorille fou d’amour s’échappa, il arriva au pauvre informaticien la même chose qu’au juge dans la chanson de Brassens (Gare au gorille).“
-Et, bien sûr, l’histoire ne s’arrêterait pas là, et notre infirme de la plume d’amour, capable de voyager dans le temps ou étant un rêveur impénitent, se serait ainsi retrouvé dans la peau de Monsieur Jourdain demandant conseil à son Maître de philosophie pour tourner élégamment son billet d’amour : “Belle marquise, …“
-J’imaginais aussi une réplique réaliste, peut-être à la Pagnol, avec l’accent :
“Eh bé, couillon ! Té ! T’aurais pas pu me le dire que tu m’aimais au lieu de faire tant de chichi !”
Tu vois comme ton histoire m’a fait passer un bon moment !
Ah ! J’oubliais ! En ce qui concerne le licenciement pour harcèlement sexuel, je considère qu’il est parfaitement abusif : il manque le critère essentiel de la répétition. De plus aucune contrainte de soumission hiérarchique n’est exercée à l’égard de la dame et enfin, aucune voie de fait ne saurait être démontrée.
<
p class=”MsoNormal”>Ainsi, je suis disposé à assister notre Alain au Tribunal des Prud’hommes où je suis sûr que nous gagnerons en obtenant des dommages et intérêts ainsi que bien sûr, et au titre de l’article 700 du code de procédure civile, le défraiement des sommes engagées pour plaider cette affaire, dussions-nous aller jusqu’en Cassation.
@Hermano
Encore une fois par ton commentaire tu complètes ma modeste culture. Je ne connaissais pas du tout Jane Austen !
Je te rassure je n’avais pas la prétention de m’élever au niveau de cette prestigieuse femme de lettres anglaises. Je prends comme un compliment d’être assimilé à un succédané de Jane Austen, ce qui prouve que même en ne la connaissant pas, j’ai commis un texte où tu retrouves les accents de cette écrivaine.
D’ailleurs si on consulte les dictionnaires on trouve deux sens au mot “succédané”
Sens 1 : Ersatz produit que l’on peut substituer à un autre
Sens 2 : Chose qui en remplace une autre en ayant moins de valeur
J’ai la modestie de penser que mon texte se classe dans le sens 2. Mais cela me suffit, je n’ai jamais eu la prétention de postuler au prix Goncourt ou à une place à l’Académie française. J’ai seulement présenté plusieurs fois des manuscrits au prix du Quai des Orfèvres en vain…(plus de 100 concurrents à chaque fois). Un modeste éditeur du bord du Lot a eu la gentillesse de m’en éditer un, je lui en serais infiniment reconnaissant.
J’ai enfin compris que le vrai plaisir est d’écrire et d’être lu parfois…
Je ne résiste pas à l’envie de publier ci-dessous la réaction d’un de mes amis à ma nouvelle :
Désolé mais dès le début, j’ai changé tes personnages.
Ce n’est qu’à la dernière page avec petit indien que j’ai trouvé ta conclusion irréelle.
Au fait à quels personnages je pensais ? à un collégien et sa prof de théâtre.
Tu vois tout le monde ne pense pas à Jane Austen.
Je me réjouis que le texte ait suscité en toi de singulières pensées. C’est qu’il ne laisse pas indifférent le lecteur…
J’aime beaucoup le développement du Bic et du gorille, c’est une piste à creuser, mais je crains qu’elle ne soit pas compréhensible par les jeunes qui n’ont pas connu George Brassens.
Tu discutes à juste titre sur la notion de harcèlement sexuel, selon toi il manque le critère de répétition. Je suis d’accord. Et le caractère licencieux du poème ?
Merci de ta proposition d’aide juridique pour Alain ! Il en aura besoin, surtout si l’avocat de la partie adverse est un femme…
Mais tu l’as sûrement remarqué mon propos était de parodier une situation actuelle où l’on passe d’un extrême à un autre. Ce n’est pas facile d’être un homme en 2021 entre le SIDA, la covid 19 et la suspicion permanente en matière sexuelle…
Un étonnement.
Tu ne me parles pas des magnifiques poèmes écrits par mon héros ?