Après la naissance de Monika, deux choses resteront dans le souvenir de ses parents et sans doute de la sage-femme.
La première : la stridence des cris qu’elle poussa en sortant du ventre de sa mère.
Ils furent ravis quand la sage-femme leur dit que c’était de bon augure.
La deuxième : dès que son père, en extase, l’avait pris dans ses bras, elle urina sur lui. À cet instant, il aurait tout supporté.
Effectivement la force de ses cris était de bon augure : Monika Librovsky devint un beau bébé, éveillé et plein de vie.
Il n’y a rien de particulier à signaler dans sa croissance.
À une époque où tout doit être quantifié par des chiffres, nous dirons seulement que sa courbe de croissance colla parfaitement avec la courbe moyenne, affichée dans son carnet de santé.
Monika avait donc tout pour avoir une vie heureuse : des parents aimants, une existence sans problème bien qu’elle soit d’un milieu social modeste.
Mais dans toute vie, surviennent parfois des épreuves.
À l’âge de deux ans, les parents de Monika s’aperçurent que la voix de leur fille s’altérait. À mesure que le temps passait, elle était de plus en plus rauque et éraillée. Ils allèrent consulter un O.R.L. Le diagnostic fut sans appel : Monika était atteinte de la maladie de Bellanger-Ackerman.
C’est une maladie, dont on ignore l’origine, sans doute de nature génétique, maladie rare dans laquelle les cordes vocales s’atrophient. Elle touche uniquement les sujets de sexe féminin. Il n’existe aucun traitement pour y remédier.
Monika ne devint pas totalement muette, mais elle s’exprimait par des borborygmes que seuls ses parents comprenaient. Les orthophonistes qui lui faisaient faire de nombreux exercices ne purent obtenir aucune amélioration.
Plus l’obstacle est élevé, plus il oblige à nous surpasser.
La jeune fille surmonta son handicap par une volonté farouche.
Les O.R.L. qui la suivaient s’étaient aperçus qu’elle avait une oreille absolue. Elle adorait la musique.
Dès l’âge de cinq ans, sur les conseils d’une institutrice, ses parents l’inscrivirent au conservatoire municipal pour suivre des cours de violon. Les mélomanes connaissent la difficulté de dompter cet instrument, mais en peu de temps Monika fut capable d’exécuter, dès l’âge de huit ans, des morceaux de célèbres compositeurs classiques.
Elle dépassa vite ses professeurs. À l’âge de 18 ans, elle fut engagée dans l’orchestre symphonique de Marseille. L’avenir s’ouvrait radieux pour la jeune fille et elle s’apprêtait à entamer une carrière prestigieuse de soliste.
Une seule personne était inquiète.
Le professeur Joseph Charpentier, un des O.R.L., qui l’avait suivi. Depuis le début, il étudiait, dans la littérature médicale, l’évolution des quelques rares cas de la maladie de Bellanger-Ackerman . Ils se terminaient tous de la même façon, sous l’influence des hormones de la puberté ils dégénéraient sous la forme d’un cancer pharyngolaryngé dont l’issue était fatale.
Monika Librovsky ne fit pas exception.
À 18 ans et demi, un cancer débuta. Le professeur Joseph Charpentier connaissait la suite inéluctable. La jeune fille s’affaiblissait de jour en jour.
Monika était consciente de la dégradation de son état. Un jour elle avait même dit à ses parents : « SVP vous mettrez mon violon dans mon cercueil ».
Le médecin ne resta pas inerte devant l’évolution de la maladie. Aux États-Unis, un nouveau traitement d’immunothérapie avait été mis au point dans le service médical de l’université de Harvard. Bien qu’il ne fût pas encore autorisé par la Haute autorité de santé française il décida de l’appliquer à Monika. L’évolution des cellules cancéreuses fut ralentie, mais non arrêtée. Malgré les conseils de certains de ses confrères, il décida de ne pas stopper le traitement…
Un jour le miracle se produisit, les cellules cancéreuses régressèrent puis disparurent. La jeune fille était sauvée. Assez fier de lui, le professeur Joseph Charpentier prit la décision de ne pas s’arrêter là.
À un congrès de médecins, il avait fait connaissance d’un jeune chirurgien O.R.L. opérant à l’hôpital Ben Gourion de Tel-Aviv.
Il lui téléphona, il pensait qu’il devait être possible de restaurer les cordes vocales détériorées.
Monika fut d’accord ! Elle ne pouvait rien refuser au professeur Joseph Charpentier qui lui avait sauvé la vie !
Elle fut hospitalisée à l’hôpital de la Timone de Marseille et le professeur Moshé Filenstein put opérer. Il préleva des morceaux de muscles de la cuisse de Monika et reconstitua deux cordes vocales en parfait état.
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Ce fut un choc pour les parents de Monika quand elle sortit de l’hôpital. Il n’avait jamais entendu ni la voix d’adolescente ni la voix d’adulte de leur fille.
Elle-même ne cessait de parler, comme si elle voulait rattraper un retard de tant d’années.
Un jour, elle essaya de chanter.
À force de s’entrainer, elle s’aperçut qu’elle avait une voix de soprano. Elle pouvait passer d’une voix grave, sombre et puissante, à une voix aiguë, plus claire et plus légère.
Pendant une répétition, elle chanta l’air d’une des cantatrices devant le chef de l’orchestre symphonique de Marseille.
Celui-ci fut étonné de la tessiture de Monika lui permettant de passer à volonté du registre des mezzo-sopranos à celui des sopranos lyriques coloratures.
L’opération de ses cordes vocales avait modifié la conformation du résonateur pharyngo-buccal.
À mesure qu’elle chantait, il se demandait si elle était un mezzo-soprano avec des aigus exceptionnels ou un soprano aigu avec des facilités pour les graves.
L’intensité de sa voix était extraordinaire montrant que l’opération avait augmenté aussi l’opposition des cordes vocales à la pression subglottique.
Cette voix était un diamant brut à tailler.
Un professeur de chant la prit en main.
***
Un an après, la diva Monika Librovsky se produisit dans la salle du Wiener Staatsoper à Vienne avec l’orchestre symphonique de Marseille.
Les parents de Monika, les professeurs Moshé Filenstein et Joseph Charpentier étaient dans la salle.
Les premières notes retentirent, la voix de la cantatrice s’éleva.
On aurait dit une voix céleste, la salle était subjuguée…
Une fin heureuse qui, je l’avoue, me laisse sur ma faim.
Moi qui croyais qu’elle allait chanter en jouant du violon, rencontrer “la bête” ou faire s’écrouler le plafond de l’opéra, ou encore monter un groupe de hard rock qu’on aurait pu nommer les Leg Strings ou Los muslos de la garganta !
P.S. au début, j’aurais bien inversé la première et la deuxième “choses” car il me paraît difficile de prendre un enfant dans les bras avant la délivrance…
Hermano tu as une imagination encore plus débordante que moi !
Je garde tes suggestions dans un coin de ma mémoire…
Certains sans aucun doute iront chercher Monika Librovsky sur Internet, elle n’existe pas, comme d’ailleurs la maladie dont elle est atteinte !
J’ai simplement voulu raconter une histoire, une sorte de conte moderne, mais qui se termine bien.
La réalité est moins réconfortante.
Je vais décevoir quelques adultes : le père Noël n’existe pas, la petite Sirène risque de terminer dans le chalut d’un bateau de pêche, la Belle au bois dormant risque d’être réveillée par un proxénète, la petite fille aux allumettes mourra de froid.
Rêvons donc …
Merci Loki pour ce récit très bien mené, que j’ai lu avec intérêt en le croyant vrai jusqu’au bout. Encore un miracle de la médecine me suis-je dit, et qui mérite d’être relaté, je suis un peu naïf … C’était donc un conte mais tellement enraciné dans le réel que rétrospectivement et avec Hermano je suis frustré d’une évasion finale plus spectaculaire.