Monseigneur Célestin Dupré renferma le dossier posé devant lui.

Être évêque n’est pas toujours une sinécure !

Comme beaucoup de ses confrères, il avait été confronté à des cas de pédophilie parmi ses hommes d’Église.

Mais le dossier de l’abbé Gonia était de toute autre nature…

L’évêché avait reçu une lettre anonyme. La personne y dénonçait les agissements de l’abbé Gonia, un jeune prêtre nommé il y a un an à Saint-Paul en Mirpoix.

Nous n’étions plus à l’époque de l’Inquisition, aussi Monseigneur Célestin Dupré avait demandé à l’étude de détectives privés Durand & Dubois d’aller enquêter discrètement sur place. Il faut préciser que ce prélat d’une intégrité profonde avait payé l’enquête sur sa cassette personnelle.

Quand le détective, un petit homme au costume élimé, le teint jaunâtre, le cheveu terne et rare, l’aspect le plus commun possible comme il sied à ce genre d’enquêteur, fit son rapport assis dans le fauteuil orné d’abeilles impériales, l’évêque eut du mal à en croire ses oreilles. Le détective lui expliqua qu’il avait été prendre pension à l’hôtel du Coq d’or à Saint-Paul en Mirpoix. Il s’était présenté à la patronne comme étant un représentant en colifichets. Il lui avait été facile de tirer une foultitude d’informations de la gérante véritable commère.  Toutes ces informations furent corroborées par celles qu’il entendit chez la boulangère, la caissière de la boucherie et le fossoyeur du cimetière. L’abbé Gonia avait déclenché une véritable révolution à Saint-Paul en Mirpoix… Il succédait à l’abbé Trave parti se reposer après trente ans de dévouement au service des habitants du bourg. Il faut l’avouer, l’abbé Trave n’était pas un révolutionnaire et il ne fallait pas compter sur lui pour réformer les pratiques obsolètes de l’Église. Il pratiquait son sacerdoce comme les centaines de curés qui l’avaient précédé à Saint-Paul en Mirpoix. C’est à contrecœur qu’il avait intégré les quelques évolutions que différents papes avaient insufflées dans l’Église. Il regrettait les messes en latin. Dans ces conditions il ne fallait pas s’étonner si l’arrivée de l’abbé Gonia à Saint-Paul en Mirpoix a été ressentie comme un véritable raz de marée.

Le jeune Ernest Gonia avait déjà créé pas mal de perturbations lors de son passage au séminaire. Le père supérieur avait noté dans son dossier que le jeune homme avait déjà des idées révolutionnaires qui avaient choqué ses professeurs.  Il s’en était fallu de peu pour qu’il ne soit pas affecté dans une cure. Mais vu la difficulté de recruter des curés, l’Église ne pouvait pas se permettre de jouer la bégueule. Déjà que nombre de fidèles se plaignaient d’avoir des curés africains ou asiatiques certes pleins de bonne volonté, mais parlant un français difficilement compréhensible…

Monseigneur Célestin Dupré rouvrit le dossier posé devant lui et se remit en tête les éléments du rapport sur l’abbé Gonia.

Il faut reconnaître que le profil de celui-ci était l’opposé de celui de son prédécesseur.

C’était un passionné de la modernité. Chacun pourra en juger :

Eau bénite recyclée. Il avait fait installer un dispositif dans le bénitier qui en circuit fermé désinfectait l’eau avant de la remettre dans la vasque. On ne pouvait pas être contre ce dispositif, somme toute hygiénique, mais où Monseigneur Célestin Dupré tiqua un peu c’est d’apprendre qu’à l’entrée de l’église étaient en vente des flacons d’eau bénite et en plus à côté figurait des flacons d’eau sacrée garantie en provenance de Lourdes.

Mais la modernité se poursuivait au niveau des hosties, les fidèles pouvaient communier selon leur désir avec des hosties sans gluten ou sans sucre et même bio.

L’abbé Gonia conscient des difficultés financières de sa cure avait décidé de doter la quête de moyens plus modernes qu’un petit panier circulant entre les fidèles. Ils pouvaient choisir de participer au soutien de la paroisse par un prélèvement automatique de la quête ou du denier du culte sur leur compte. L’évêque conscient des difficultés financières de l’Église de France ne pouvait que cautionner l’initiative de son subordonné. Par contre des habits liturgiques en textile bio lui semblaient superfétatoires et le vin de messe bio également.

Ce qui l’avait encore surpris c’était que l’abbé Gonia proposait une messe par Internet et même une confession par Internet. Mais par rapport à la messe télévisée, ce n’était qu’une gradation supplémentaire dans les évolutions technologiques. On ne pouvait pas reprocher à ce pasteur d’essayer de ramener le plus de brebis possible.

Par contre l’évêque était plus partagé sur une « Application pour se confesser soi-même ».

Principalement le côté financier des actions de l’abbé Gonia le perturbait.

Monseigneur Célestin Dupré était au courant que l’église de Saint-Paul en Mirpoix était en triste état. La mairie du village responsable de l’entretien de l’édifice n’était pas en mesure de payer les travaux nécessaires. L’évêque avait essayé de contacter Stéphane Bern, mais Notre Dame de Paris monopolisait toute l’attention et … les crédits.

Il comprenait les efforts de son curé, mais les moyens développés ne lui semblaient, si on peut dire, pas très orthodoxes…

Tout d’abord une loterie pour refaire l’église : 1er prix un ciboire.

Ensuite vente d’actions pour les travaux de l’église, chaque actionnaire serait propriétaire d’un morceau de l’édifice. Il y avait eu des précédents dans le passé. De généreux donateurs avaient offert une statue, une stèle, un autel à un édifice religieux, mais ils n’étaient plus propriétaires de ces ornements. Or la mairie de Saint-Paul en Mirpoix pouvait contester à tout moment cette vente, les églises appartenant depuis la Révolution française à la République.

L’abbé Gonia dépassait vraiment les bornes, car outre la vente d’eau bénite, d’hosties bio il proposait la location de robes de mariées, de coussins pour les chaises de l’église, des missels électroniques. Certes de tout temps l’Église s’était rémunérée sur la vente des cierges et avait demandé une contribution pour les baptêmes, les mariages et les enterrements, mais en l’occurrence son subordonné poussait un peu loin le bouchon.

Depuis de nombreuses années, l’Église était entachée par les scandales de pédophilie, mais l’évêque avait été sidéré d’apprendre que l’abbé Gonia s’était fait émasculer pour rassurer ses ouailles afin qu’ils lui confient pour le catéchisme leurs enfants… Rien que d’y penser cela lui faisait mal et il trouvait que c’était exagéré pour servir un sacerdoce.  Lui-même allait de temps à autre faire une retraite dans un couvent de trappistes et était au mieux avec le père supérieur. Certes c’était une action définitive, mais sommes toute, non interdite…

 

Le dossier de l’abbé Gonia était bien gênant, mais après tout moins gênant que ceux qu’avait eu à traiter monseigneur Barbarin à Lyon.

 

L’Église de France était en grande difficulté. Le centre de la chrétienté s’était déplacé en Amérique du Sud et en Afrique. L’élection d’un pape argentin était la preuve de cette migration. Monseigneur Célestin Dupré eut la vision d’un prochain pape noir… Il eut un mouvement de recul… Regrettant immédiatement cette mauvaise pensée, il récita deux paters et se promit de se punir en cessant de boire pendant quinze jours du Château cheval blanc 1er grand cru. Et peut-être cesser aussi de manger du chocolat.

 

En y réfléchissant bien, après tout les choses avaient changé depuis l’époque des Croisades, l’épée n’était plus le bras armé du christianisme, il fallait user pour le combat d’outils plus modernes…

Le grand serviteur de l’Église rangea le dossier de l’abbé Gonia sans regret…