La Seine coule sous la passerelle des Arts, entre le Louvre et l’Institut de France. Dans les eaux calmes du petit matin se reflètent les arbres florissants de ce matin de juin et la coupole dorée de l’Académie française. De part et d’autre des berges, des siècles d’histoire et de culture nous contemplent.
Les deux amoureux ont soif d’histoire et de culture.
Ils sont arrivés ce matin de Brest après avoir voyagé toute la nuit dans le TGV. Le temps de déposer leurs bagages à l’hôtel du Roi Henri, ils sont partis à l’assaut de la capitale. Ils se sont arrêtés quelques minutes dans une brasserie rue Mouffetard pour prendre un crème et des croissants. Et puis ils arrivent au Panthéon, fermé en cette heure de la matinée. Heureux, ils ont descendu le boulevard Saint-Michel. La librairie Gibert leur permet d’acheter un guide de Paris. Ils aboutissent enfin sur les quais de la Seine. Ils sont éblouis par la vue. Devant, le pont Saint-Michel, menant à l’ile de la Cité, la Préfecture de police et la Sainte Chapelle ; à droite, leurs cœurs se serrent en regardant Notre Dame meurtrie par l’incendie et recouverte d’échafaudages.
Ils décident de suivre les quais par la gauche, longent les kiosques des bouquinistes.
En ce jour encore jeune, la ville ne bruisse pas encore de l’agitation vibrionnante de l’heure de pointe. La circulation est fluide, peu de péniches viennent troubler la surface du fleuve et comme dit la chanson, les balayeurs sont pleins de balais, les cafés nettoient leurs glaces et les amoureux sont fatigués.
Ils croisent de nombreux touristes chinois se déplaçant en groupe. Ces Asiatiques sont harcelés par des Africains tentant de leur vendre de la bimbeloterie.
Ceux qui achètent des petites tours Eiffel ont la surprise de s’apercevoir que ces objets métalliques sont estampillés « made in China »
Ils jettent un coup d’œil rapide au Pont Neuf, qui malgré son nom est le plus vieux de Paris avec sa statue du Vert galant. Ils se penchent au-dessus de la rambarde pour observer un bateau-mouche qui passe sous le pont. Comme des enfants, ils crient et saluent les quelques touristes embarqués sur le navire.
Ils ne sont pas déçus de leur escapade. Beaucoup affirment que Paris est la plus belle ville du monde. Leurs yeux sont fascinés.
Ils arrivent enfin à la passerelle du pont des Arts.
Ah, les amoureux, ils sont passés nombreux sur cette passerelle. Les rambardes sont si chargées de cadenas d’amour qu’elles ressemblent à ces maharadjahs aux lourds colliers.
Il n’hésite pas, c’est une évidence, il achète un de ses cadenas à un Africain en boubou. Avec son canif, il grave, sur le cuivre, leurs deux initiales et il l’accroche dans un emplacement vide de balustrade. Il garde la clé. Ils le rouvriront ensemble la prochaine fois…
Puis ils poursuivent leur visite de Paris.
Ils n’ont pas tout vu, cette ville est immense.
Ils se sont promis de revenir…
Ils se souviendront de cette journée et plus encore de la nuit à l’hôtel du Roi Henri.
À Brest, son ventre s’est arrondi.
Leur amour se cristallisait dans cet enfant à venir.
Puis deux mois après, tout se brise : elle fait une fausse couche.
Il lui dit : ce n’est pas grave, nous nous aimerons encore.
Mais le mal est fait… Elle tombe dans une profonde dépression.
Elle s’enferme et ne veut plus sortir.
Un jour à son travail il reçoit un appel téléphonique de la gendarmerie.
Elle s’est jetée de la passerelle du pont des Arts…
Sous cette passerelle chargée d’Histoire et d’histoires, coule la Seine, et nos amours, faut-il qu’il m’en souvienne, la joie venait toujours après la peine.
Il vient de sortir de l’Institut médicolégal, quai de la Rapée.
Hébété, il longe les quais de la Seine et arrive sur la passerelle.
Son cœur se serre brusquement, tous les cadenas ont été enlevés, victimes du zèle d’un fonctionnaire, il ne peut même pas récupérer « leur » cadenas…
Il regarde les flots grisâtres, ils ont charrié son corps…
Faut-il qu’il m’en souvienne, la peine venait toujours après la joie.
Il voit l’eau qui se rapproche, il va la rejoindre…
En haut de la page, cette belle photo annonce un long et joyeux tour de Paris remplissant presque toute la page.
En suivant les amoureux à travers cet itinéraire méticuleusement décrit, j’ai ressenti l’envie de déchirer mon masque COVID, de sauter dans le TGV et de rejoindre Paris le plus rapidement possible.
Il faut être parisien pour connaître presque tous ces coins de la plus belle ville du monde.
L’image de la morgue en bas de page n’est (heureusement) enveloppée que de quelques lignes de mots.
J’ai donc vécu la chute, ce double suicide, comme une douche froide rapide après un long bain chaud.
Ainsi, malgré la fin tragique, l’impression générale reste pour moi celle d’une joyeuse journée à Paris.
Si cela était ton intention, bravo et merci pour ce tour guidé gratuit à Paris.
Pour l’anecdote, les rambardes chargées de cadenas ont été démontées pour être remplacées par des rambardes en plastique transparent. Le tout pesait 54 tonnes et a été vendu aux enchères. Le montant de la vente a été versé à des oeuvres caritatives.