Fébrilement, il fouilla une dernière fois ses poches… en vain.

Sa vie entière il avait dominé tous les problèmes. Aujourd’hui il était désarmé. La catastrophe finale !

Pourtant, le jour où son visage était apparu sur les écrans de télévision il avait ressenti un sentiment de puissance. Il avait dû parcourir tant de chemins et surmonter tant d’obstacles pour devenir Président de la République. Il se souvenait encore de cet instant magique, où seul dans son bureau il avait attendu le résultat final. Certes les sondages lui étaient favorables, mais le peuple est changeant. Rien n’est jamais joué, il suffit d’une image, d’une phrase, d’un évènement pour retourner une opinion. Il s’était entouré d’une équipe de communicateurs lui prodiguant mille conseils pour bien passer à la télé. Car dans notre société « paraître » est plus important qu’« être ». Cette stratégie médiatique lui avait permis de passer le premier tour devant une candidate usant de la même stratégie. Si on examinait bien les deux programmes proposés, peu de chose les séparait. Par contre, la différence était dans le « paraître ». Être « jolie » et « femme », pour se présenter au poste suprême de la République sont des atouts difficiles à contrer. Lui n’avait à son actif qu’une réussite affirmée dans le domaine de la sécurité, la réputation d’être un travailleur infatigable, d’une activité débordante.  Il n’était pas aidé dans sa campagne par un physique avantageux capable de séduire les électrices comme Lecanuet, Chaban-Delmas ou Chirac. Toute sa vie, il avait complexé en raison de sa petite taille. Mais paradoxalement, ce handicap lui avait donné le mordant nécessaire à sa réussite.

L’énergie dépensée jusqu’au dernier instant lui avait permis de faire la différence. La télévision, vecteur qu’il dominait maintenant parfaitement, avait annoncé sa victoire. Depuis il en usait et en abusait jusqu’à écoeurer ses propres électeurs. Il s’était taillé un costume de Président de la République jeune et actif. Bien qu’il l’ait affirmé publiquement, il n’était pas vraiment conscient des responsabilités qu’impose sa charge. L’ivresse du pouvoir semble rendre toutes les choses faciles. La plus angoissante pour un chef d’État est la défense du territoire. La France dispose depuis le général de Gaulle d’une force de frappe nucléaire. C’est évidemment le Président de la République, chef des armées qui décide en dernier ressort de son utilisation.

C’est là dans la solitude du poste de commandement du bunker installé sous le Palais de l’Élysée qu’il ressentait le poids de cette énorme responsabilité. L’euphorie des visites dans différents pays du monde était dissipée. Lui, qui, tel un petit coq, avait paradé devant les chefs d’État, distribué les bons et mauvais points, avait perdu sa superbe. Lors des voyages officiels à l’étranger, il était toujours accompagné d’un officier portant une mallette noire permettant d’entrer en contact avec la flotte de sous-marins, Vecteurs de la force de frappe française. Pour simplifier sa tâche, il portait toujours sur lui une clé USB contenant les codes pour activer ou désactiver le processus de mise en œuvre.

La situation était tendue dans le monde. Avec son état-major, il avait décidé de simuler une riposte pour tester la réaction des submersibles. À l’aide de sa clé USB, il venait de déclencher le début d’une riposte à une attaque supposée. Sous les océans en divers points du globe des marins armaient et mettaient en place les fusées destinées à atteindre l’Iran, le Pakistan et la Syrie. Sans un contre-ordre, le tir serait effectué dans la demi-heure.

Seulement malgré des fouilles répétées ses poches étaient vides… ! Il était le seul à pouvoir arrêter le processus…

Où était passée la clé USB ?

Il essaya de se remémorer ce qu’il avait fait à partir du moment où il avait engagé la clé dans le micro-ordinateur et envoyer le code d’attaque. Il se souvenait de l’avoir remise dans sa poche droite. Il était retourné dans son bureau pour terminer avec un collaborateur le discours qu’il devait faire à la prochaine séance de l’ONU. Maintenant il se souvenait, il s’était mouché. La clé avait dû tomber à ce moment-là ! Il parcourut comme un fou les couloirs du bunker, bousculant les gardes républicains. Jamais la montée en ascenseur ne lui parut aussi longue. Il était en sueur quand il déboula dans son bureau. Il balaya du regard toute la pièce, souleva les dossiers. Pas de clé USB ! Désespéré, il s’écroula dans son fauteuil présidentiel. Puis une lueur d’espoir traversa son cerveau… Il appela sa secrétaire.

  • Gisèle vous n’avez rien trouvé par terre ?
  • Rien ! Monsieur le président, je vous l’aurais dit ! Mais il faut peut-être demander à madame Luisa Fernandez.
  • Madame Luisa Fernandez ?
  • Mais oui, monsieur le président, c’est la femme de ménage qui s’occupe de votre bureau. Je l’ai entendu passer l’aspirateur.

Le Président ordonna qu’on aille chercher immédiatement madame Fernandez. Alors, son dernier espoir s’écroula. La « sécurité » exigeait que tous les papiers des corbeilles et le contenu de l’aspirateur soient immédiatement incinérés. Un adjudant était spécialement chargé de cette mission. Elle avait été scrupuleusement remplie…