La lumière qui filtre par la haute fenêtre fait briller dans l’air tous les grains de poussière. Une poussière qui s’accumule ici depuis longtemps, on pourrait s’amuser à écrire sur cette immense table.
Le vieil homme s’assoit sur un fauteuil à bascule qu’il a rapporté de là-bas, souvenir de l’époque où était en pleine gloire.
Aux murs, des ancêtres fatigués veillent sur cette immobilité. Figés pour toujours dans une posture, une attitude, avec un regard bienveillant ou fier, ils continuent de pendre, impavides, abandonnés aux murs de cette pièce où ils sont accrochés depuis longtemps.
Il regarde les portraits souvenirs d’une enfance difficile.
Son père partant très tôt, le matin pour aller cultiver du café sur une terre ingrate.
La récolte était rarement bonne, et quand il réussissait à obtenir plusieurs sacs de ces grains précieux, il en tirait une somme dérisoire qui permettait à peine à la famille de vivre.
Heureusement qu’il y avait sa mère qui faisait des ménages chez un riche propriétaire.
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Un escalier double aux larges marches de bois sombres et grinçantes, monte jusqu’à un perron aux vitraux art déco qui s’ouvre sur un balcon en ferronnerie d’où l’on peut voir s’étaler un jardin à l’Anglaise. Il pleut maintenant.
Il ne pleuvait pas souvent là-bas et ce jardin est un véritable éden.
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Le vieil homme, qu’il est maintenant, se souvient de l’adolescent qu’il était aidant son père. Plus il grandissait, moins il supportait la résignation de ses parents. Cette exploitation des paysans par de riches propriétaires le révoltait.
Et c’est tout naturellement, qui s’était engagé dans un groupe marxiste, « Les chemins de l’espoir ».
La répression l’avait obligé à se cacher avec son groupe, dans la forêt tropicale, et il menait des actions de guérilla sur les troupes gouvernementales qui les recherchait.
C’était une époque terrible ! Ils devaient marcher jour et nuit pour échapper aux forces de la répression. L’ennemi pouvait surgir à tout instant, derrière les collines, au détour des bois ou du ciel. À la chaleur oppressante et humide du jour, succédaient le froid et la moiteur de la nuit.
Il fallait essayer de se reposer sur un sol inconfortable et les dormeurs étaient à la merci de tous les insectes qui pullulaient dans la forêt tropicale.
Sans parler des serpents et des araignées dont les piqûres ou les morsures pouvaient être mortelles. Combien de ses compagnons avaient succombé à des fièvres impitoyables qu’ils ne pouvaient soigner faute de médicaments.
Malgré ces souvenirs terribles, le vieil homme se souvient avec nostalgie de cette époque…
Et puis il y avait Maria Dolorès…
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De part et d’autre du balcon, une longue galerie envahie de vigne vierge court le long de la façade. La maison est immense. C’est un ancien bâtiment d’une congrégation religieuse. De lourdes portes des cellules, en bois clouté, donnent toutes sur cette galerie. On en compte douze comme les douze apôtres.
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Ces cellules lui rappellent la cellule dans laquelle il avait été enfermé, un jour après avoir été capturé.
Ses geôliers le torturaient pour lui faire avouer les noms de ses amis, et les lieux de leur cachette.
Jamais il n’avait parlé, il serait mort aujourd’hui, si des partisans de son organisation n’avaient pas attaqué la prison pour le libérer. À sa sortie il y avait Maria Dolorès…
La lutte s’était durcie et des pays communistes avaient envoyé des armes pour soutenir leur révolution.
Il se souvient, comme hier, quand « El gringo », chef de la junte militaire, qui régnait sur le pays, avait été abattu dans le palais où il se terrait.
Et cela avait été son jour de gloire, lui qu’on surnommait dans la résistance marxiste « El Maximo » avait été nommé chef du gouvernement provisoire. À ses côtés il y avait Maria Dolorès…
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Dans ces lieux règnent à la fois une grande quiétude et une odeur un peu piquante.
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Et « El Maximo » pense aux évènements qui se sont succédé ensuite.
Il soupire. Il a bien fallu arrêter et exécuter les tortionnaires de la junte.
Emprisonner, tous ces gros propriétaires qui suçaient le sang des travailleurs.
Il se souvient encore des acclamations du peuple quand il apparaissait au balcon du palais sur la place de la République. Derrière lui il y avait Maria Dolorès…
Il aurait dû être plus vigilant !
Certains compagnons « Des chemins de l’espoir » se sont enrichis aux dépens du pays.
Il a bien fait de réagir en les faisant arrêter et exécuter. Mais rien n’y faisait la corruption, le désordre gagnait de plus en plus le pays.
Il a eu plus de chance que « El gringo ». Il a pu s’enfuir, avant que des renégats envahissent le palais et s’emparent du pouvoir. Maria Dolorès était parmi eux…
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Il sera éternellement reconnaissant à la France de l’avoir exfiltré et accueilli.
La poussière sur cette table lui rappelle que cela s’est passé il y a bien longtemps…
J’ai beaucoup aimé l’ambiance tropicale et sud-américaine de ce texte, et je me suis dès le départ retrouvé dans ce vilage mythique de Macondo (G. García Márquez). Un régal pour moi. Mais tu dis qu’il n’y pleuvait pas souvent, pourtant “le village fut assailli par les pluies qui durèrent quatre ans, onze mois et deux jours“. Alors, peut-être est-ce ailleurs…
Le travail dans les champs de café m’a fait penser la chanson “Duerme negrito” (trabajando duramente…) que j’aime beaucoup et qui m’a accompagné dans cette lecture.
Je suppose que ce texte plutôt romancé fait allusion à l’irrésistible ascension du “Lider maximo”, bien que la fin soit différente de celle de ce personnage historique (c’est plutôt Batista qui s’est exilé). Le temps des dictatures est passé à la longue dans cette région du globe, quoiqu’on en déplore encore un certain nombre.
Et d’ailleurs, la plupart des capitales y ont une “Plaza de armas” plutôt qu’une Place de la République., y compris La Havanne.
Je vois que tu as utilisé les décors proposés dans notre atelier en ligne il y a quelques mois, et je te remercie pour cette fiction.
Merci @Hermano d’avoir beaucoup aimé l’ambiance tropicale et sud-américaine de mon texte !
Comme tu l’as subodoré, cette nouvelle est totalement fictive, et je l’ai rédigée à partir des différents souvenirs que j’ai sur les états d’Amérique du Sud ou d’Amérique centrale.
N’ayant jamais été aux Amériques, ma fiction peut être entachée d’erreurs sur les réalités climatiques.
Mais elle provient intégralement de mon modeste cerveau d’Homosapien, et n’a pas fait appel à ChatGPT, ou tout autre logiciel d’intelligence artificielle.
À cet égard, il serait intéressant de demander à ChatGPT de rédiger une nouvelle à partir du libellé suivant : vie et fin de vie, d’un leader marxiste d’Amérique du Sud.
Je te remercie Loki de cette nouvelle qui m’a rappelé une pub de café “el gringo” qui rappelle cette ambiance sud américaine que tu décris si bien et qui avait inspiré “les nuls” dans un sketch fort drôle ! J espère que tu ne m en voudras pas pour cette comparaison car je pense que tu as assez d humour ! Toi le père de Mordicus !!🙂
Pas de problème, @Carinne j’adore « Les nuls” et comme l’a écrit Alphonse Allais :
« Les gens qui ne rient jamais ne sont pas des gens sérieux ».
Et tu me flattes en me comparant à cette pub de café “el gringo”.
J’adore certaines publicités qui sont géniales !