Quand Mordicus se vit accroché sur les dents du peigne, il crut que de nouveaux horizons allaient s’ouvrir à lui !
Il avait toutes les raisons de le croire, car toute sa vie de pou avait été une pérégrination de tête en tête.
Dire qu’il se souvenait de sa condition de lente sur la tête d’une gamine de sept ans serait exagéré. Car il n’avait pas dans cet état les yeux nécessaires pour se rendre compte de sa condition d’œuf.
Il ne se souvenait pas non plus de sa mère, qui avait pondu les œufs sur le cuir chevelu. En revanche, il se souvenait sans pouvoir l’expliquer qu’il avait vigoureusement et inconsciemment, adhéré à un cheveu pour résister aux différents lavages, qui étaient censés l’en détacher.
Il ne pouvait pas non plus comprendre que c’était la biologie profonde des poux qui lui avait permis de résister aux différents produits chimiques supposés faire disparaître les lentes et les poux des cheveux contaminés.
Mordicus était très intelligent, mais pas suffisamment, pour appréhender les phénomènes chimiques de résistance aux produits antipoux.
Il avait donc vécu tranquillement sa vie de lente pour arriver à l’état de poux.
Il put, à ce moment, goûter les joies de la vie de pou, pomper, le sang du cuir chevelu de ses hôtes.
Il ne faisait rien de mal, Dieu ayant créé les poux pour vivre leur vie poux.
Si vous lisez la littérature sur ce genre d’insecte, vous apprendrez que les poux sont dotés de deux paires de testicules. C’est la raison pour laquelle ils sont des amants infatigables. Et Mordicus usait largement de ses facultés reproductrices.
Dans la chevelure de la petite fille de sept ans, il y avait de nombreuses demoiselles poux qui ne demandait qu’à profiter des étreintes de Mordicus.
Une femelle pou pond en moyenne de quatre à dix œufs par jour, et ceci pendant trois à cinq semaines, Mordicus avait donc une progéniture abondante.
Bien qu’il ait une certaine bestialité dans tous ces rapports, il faut souligner que Mordicus avait quand même une préférence pour l’une des demoiselles, prénommée Gratula.
Gratula avait tous les attraits que l’on peut trouver sur une demoiselle pou, et de ce fait, elle passait plus souvent que les autres comme on le dit trivialement : « à la casserole ».
Le romantisme n’est pas l’apanage de l’espèce humaine et si Mordicus, comme tous les poux mâles étaient atteints d’un appétit sexuel, insatiable, n’en éprouvait pas moins, un sentiment profond, que les hommes appellent l’amour pour Gratula.
Mais les voyages forment la jeunesse et la vie des poux.
La petite fille de sept ans posa à l’école, son bonnet, dans un vestiaire. Une autre petite fille malencontreusement se trompa de bonnet et Mordicus, contre son gré, changea de tête.
Il ne trouvera pas ça désagréable, pour un pou, changer de cheveux, c’est changer de paysage, de sang et aussi changer de gent féminine.
Les cheveux de sa nouvelle hôtesse étaient remplis de demoiselles pou qui virent arriver avec plaisir un mâle vigoureux et plein d’allant.
Mordicus entama une série de saillies qui le mirent si l’on peut l’écrire sur les genoux.
Pourtant l’immense plaisir qu’il en retira était entaché d’un regret qu’il n’osait formuler, mais qui résultait de l’absence de Gratula. Toutes les partenaires qu’il avait enlacées avaient des charmes certains, pourtant il ressentait après chaque copulation un manque affectif.
Il avait éprouvé aussi beaucoup de plaisir à changer de sang. Comme on dit dans l’espèce humaine, l’herbe est plus verte dans le champ d’à côté.
Sans ce sentiment d’insatisfaction Mordicus aurait été heureux sur cette nouvelle tête.
Il n’avait pas la notion du temps et la vie lui semblait éternelle.
Dans son cerveau de pou, il ne pouvait concevoir que sa vie ne durerait que deux mois. Ce qui distingue l’homme des animaux, c’est qu’il sait qu’il va mourir. Mordicus ne le savait pas…
Aussi quand il se vit accroché sur les dents du peigne, il n’eut pas conscience que sa fin était proche.
Il n’eut pas conscience, non plus, qu’il était tombé sur une épouilleuse opérant dans l’école primaire Jules ferry.
C’est avec surprise qu’il se retrouva dans une capsule métallique en compagnie d’autres poux.
Le contact du métal de ce récipient lui fut désagréable. Déjà, il regrettait la douce chaleur et l’odeur de la chevelure où il menait des jours heureux jusqu’à maintenant.
Les autres poux étaient également désemparés. Jamais, dans leur vie, il n’avait été confronté à une telle situation ! C’était la panique !
Le seul réconfort de Mordicus dans la frayeur qui commençait à le gagner, c’est d’apercevoir parmi la foule des poux, Gratula.
Les deux amants s’étreignirent passionnément et sans doute ne se rendirent pas compte quand ils commencèrent à griller dans la capsule métallique…
jamais je n’aurai pu croire qu’une histoire de poux m’arrache un sourire !! merci
On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde comme le disait Pierre Desproges, j’ajoute surtout avec ceux qui ont le sens de l’humour.
C’est ton cas carinne. Merci !
Un régal Loki. J’ai suivi les aventures sexuelles de Mordicus avec délectation. Belle écriture, bien rythmée, imagée. Cette nouvelle vient s’ajouter à tes autres textes traitant de la vie animale, toujours bien documentée, transposée à notre pauvre condition d’humains dominée par la quête d’amour, toujours à un cheveu de l’inatteignable félicité.
Un plaisir de lecture. Bravo, bravo !
Merci Chamans
Dans cette dernière nouvelle, j’ai voulu montrer que l’amour et la tendresse peuvent se nicher n’importe où !
J’ai voulu aussi y nicher de l’humour… Nous en avons besoin dans cette société où les pisse-vinaigre sont nombreux. Et les raisons de s’attrister abondantes…
J’espère que cette nouvelle n’est pas trop tirée par les cheveux !