Au volant de son autobus, Barack N’Dialo est très fier de lui.

Sa première fierté : avoir le même prénom qu’un prestigieux président des États-Unis.

 Sa deuxième fierté : avoir été reçu, le premier, au stage de formation des conducteurs d’autobus de la RATP.

 Barack a raison d’être fier, né dans une banlieue « chaude » de la Seine-Saint-Denis il a su malgré son handicap géographique réussir à progresser par sa volonté et aussi grâce à l’éducation inculquée par madame N’Dialo, une forte femme qui élève seule ses cinq enfants, le père étant parti vers d’autres horizons.

Alors que nombre de ses camarades de la cité ont plongé dans la délinquance, Barack a réussi à passer un CAP mécanique et a postulé pour un poste de conducteur d’autobus. C’était un rêve d’enfance et quand la première fois pendant le stage il a réussi à faire démarrer ce monstre mécanique, et il concrétisait enfin ce rêve.

Il a donc raison d’être fier, ce n’est pas à la portée du premier conducteur venu de se déplacer avec un autobus, souvent double, dans la circulation parisienne. Qui n’a pas été sidéré de voir un conducteur se glisser entre les voitures et un camion en double file ? Le passage se fait au millimètre.

 Aujourd’hui il circule avec son bus sur la ligne 62.

C’est devenu une routine : les arrêts, la descente et la montée des voyageurs. La concrétisation de son rêve a moins de saveur.

Ce jour-là le rêve est devenu cauchemar !

Un homme monte dans le bus avec un masque noir, une paire de lunettes foncées et un bonnet de bleu marine.

Tandis que le bus démarre, l’individu braque sur Barack un pistolet et hurle :

  • Continue et suis mes ordres, sinon je t’éclate la tête. Ceci est un détournement !

Barack est hébété : une attaque, en plein dans le 15e arrondissement ! Pourtant il croyait être tranquille sur cette ligne parisienne, il avait refusé d’être affecté sur une ligne chaude de la banlieue et voilà qu’aujourd’hui il est victime d’une attaque. Comme l’homme est ganté et masqué, N’Dialo est dans l’impossibilité de déterminer son origine.

Il n’a pas crié « Allah Akbar ». 

A priori ce n’est pas un terroriste islamiste. N’empêche que cet individu a un révolver gros calibre, pointé sur la tête de Barack. La vitre ne résistera pas à un tir. En ce moment les agressions sont multiples, ce n’est pas le moment d’élucubrer sur le profil de l’homme.

 Il murmure :

– Où va-t-on ?

– Pour l’instant, tais-toi et roule !

Barack serre sur les dents et continue d’avancer.

À l’arrêt suivant, par réflexe, il est tenté de s’arrêter et ralentit.

  • Continue !

Il dépasse l’abri, des hurlements retentissent dans le bus.

Une femme s’approche de l’avant du bus en protestant. L’homme cagoulé se tourne, en pointant son arme sur elle.

  • Va t’asseoir mémère ou je te fais sauter la cervelle !

Apeurée, la voyageuse retourne s’asseoir à une place libre.

Un grand silence s’établit dans le bus, tous les passagers viennent de comprendre la réalité de la situation.

Barack est sur point de franchir le pont Mirabeau.

 L’individu hurle :

  • Tourne à droite.
  • Mais c’est en sens unique !
  • On s’en fout, trace.

Le 62 s’engage à contresens dans l’avenue bordant la Seine.

Les voitures lui font des phares, certaines klaxonnent.

  • Ne t’occupe pas d’eux, fonce !

Au PC de la RATP devant son écran un contrôleur s’affole.

  • Le 62-43 vient de changer d’itinéraires.
  • Oh merde ! il roule en contresens le long de la Seine !
  • Dans la cabine du 62, un appel retentit.
  • Ici PC, 43 que faites-vous ?
  • L’individu cagoulé braque un peu plus son pistolet vers le conducteur
  • Ne réponds pas, continue ton chemin !

Au PC de la RATP, l’alarme est déclenchée, ce changement d’itinéraire est inquiétant.

Au 17 un appel est arrivé ! Un passager du fond de l’autobus a appelé.

 Le 62 a été détourné par un homme armé !

Le préfet de police est prévenu ! Il déclenche le processus d’alerte, les groupes d’intervention partent. Ils attendent les ordres.

Le chef des opérations :

  • Monsieur le préfet doit-on arrêter l’autobus ?
  • Surtout pas, car nous ne savons pas à qui nous avons affaire. Suivez sa progression et tenez-moi informé !

Le préfet est dubitatif. Le détournement d’un bus ce n’est pas une chose courante. Quel peut être l’objectif de l’homme ? C’est un homme ! Car un passager du fond a envoyé un message et donné une description de l’individu. Un homme avec un blouson et un pantalon bleu un masque noir, une paire de lunettes foncées et un bonnet bleu marine. Il porte un gros sac en bandoulière. Il braque le conducteur avec un pistolet de gros calibre.

Au fur et à mesure de la progression de l’autobus, le chef des opérations déploie ses hommes sur les différents itinéraires supposés du 62. Il est passé à côté de la tour Eiffel. Il respecte les feux.

Le préfet de police a alerté le ministre de l’Intérieur. C’est le branle-bas de combat à tous les niveaux. Combien y a-t-il de passagers dans le bus ? Quel est l’objectif du ravisseur ? Il y a de quoi s’inquiéter. Quand un terroriste détourne un avion, il peut obliger le pilote à le conduire dans un pays favorable à sa cause, mais la vie des passagers n’est pas vraiment en danger. Évidemment il y a eu l’opération du 11 septembre. Dans le cas du 62 l’homme n’a pas essayé de faire du chantage par l’intermédiaire du téléphone du chauffeur, il aurait pu demander une rançon contre la libération des passagers. Ce qui est vraiment inquiétant c’est qu’il doit bien se rendre compte que l’autobus ne pourra pas aller bien loin.

Le bus arrive au pont de l’Alma…

Le chef des opérations informe le préfet :

Notre hélicoptère signale que l’autobus a franchi le pont de l’Alma et s’engage dans l’avenue Montaigne en direction des Champs-Élysées.

Le préfet blêmit.

Il croit comprendre la destination du bus.

  • Merde ! Ce n’est pas possible. C’est une répétition à la française du 11 septembre !
  • Mais monsieur le préfet, l’agresseur n’a pas crié « Allah Akbar ».
  • Il est malin, il a voulu nous faire croire que ce détournement était l’œuvre d’un déséquilibré ! Maintenant son objectif est clair : le Palais de l’Élysée. Son sac est bourré d’explosif. Dès qu’il sera arrivé à destination il se fera exploser, l’ensemble du quartier sera soufflé…

Un message d’alerte est envoyé au chef des opérations : le 62 ne doit pas dépasser le rond-point des Champs-Élysées !

Plusieurs voitures de police se mettent en place pour boucher les accès à l’avenue Matignon, l’avenue des Champs-Élysées et l’avenue Franklin-Roosevelt des deux côtés.

Quand Barack N’Dialo débouche, avec son bus, au rond-point il est contraint d’arrêter le véhicule. Il se tourne vers l’homme cagoulé. Celui ne semble pas surpris…

Déjà de tout côté des commandos du RAID cagoulés se précipitent sur le bus, avec des boutoirs ils font voler en éclats les vitres et envoient des grenades lacrymogènes.

Un policier a appuyé sur le bouton qui permet l’ouverture de l’entrée avant de l’autobus.

Les passagers sortent en crachant et en pleurant. Trois policiers sautent sur l’homme cagoulé, il est mis à terre. On lui arrache sa cagoule.

Stupeur… !

Ils reconnaissent Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur.

Ils sont figés…

Celui-ci se relève, en pleurant et en toussant.

  • Bravo messieurs ! Je voulais vérifier que la sécurité du Président de la République était assurée. J’avais préparé ce détournement sans prévenir personne…

Il se tourne vers le conducteur du bus hébété.

Pardon et merci, monsieur, d’avoir participé involontairement à cette opération, je ne serais pas un ingrat…