Quand son mari fut décédé, Paula essaya de combler le vide en s’occupant le plus possible. Avec ses six petits-enfants, elle avait le choix. Entre la garde des enfants quand ils étaient malades, le remplacement d’une nounou, chercher une petite-fille ou un petit-fils à sortie d’école, son emploi du temps était bien chargé. Paula s’était inscrite aussi à un club de bridge, où elle allait deux fois par semaine. Les repas familiaux complétaient son emploi du temps hebdomadaire. Si ces multiples occupations comblaient effectivement le vide engendré par la mort de son mari, Paula s’aperçut assez vite qu’elles ne palliaient pas le vide affectif. Elle n’avait que 63 ans, il était clair que la présence d’un homme lui manquait.
Quand elle avait évoqué la possibilité d’une nouvelle union à sa fille, celle-ci lui avait fait comprendre à demi-mot qu’elle ne supporterait pas l’arrivée d’un nouvel homme remplaçant son père. D’ailleurs, qu’avait-elle besoin d’un mari, ses occupations avec ses petits-enfants ne lui suffisaient-elles pas ? Manifestement elle ne comprenait pas que sa mère puisse avoir à 63 ans des besoins affectifs et sexuels.
Son fils divorcé n’était pas contre, mais il était surtout inquiet. Sa mère pourrait-elle encore s’occuper partiellement de ses trois enfants dont il avait la charge une semaine sur deux ? Son métier le rendait peu disponible.
Ces différentes réactions n’avaient pas fait renoncer Paula. Mais rencontrer un partenaire correct n’est pas simple. Dans son club de bridge, il y avait une majorité de femmes et les hommes bridgeurs étaient soit mariés soit ne lui convenaient pas. Dans une société où le nombre d’hommes « disponibles » diminue avec le temps, il est difficile pour une femme seule de trouver l’âme sœur.
Aussi se décida-t-elle malgré une certaine réticence à rechercher l’homme idéal sur des sites de rencontre.
Auparavant elle avait déjà eu une désillusion en répondant à l’annonce d’un site connu dont la télévision nous bombarde de publicités. Comme beaucoup de femmes, à partir d’un certain âge, Paula avait tendance à prendre du poids. Cédant aux promesses mirifiques du site « Retrouvez votre ligne » qui promettait une semaine gratuite et un régime approprié de huit semaines, elle avait répondu à l’annonce. Résultat : une double déception. La première semaine n’était gratuite qu’à la condition de souscrire aux semaines suivantes. Ensuite les repas qu’elle recevait étaient insipides et d’une qualité douteuse. Certes elle avait perdu 5 kg à cause de ces repas non pas en raison de leurs qualités nutritionnelles et diététiques, mais bien parce qu’elle en jetait la moitié à la poubelle…
Ce n’était pas les sites de rencontre qui manquaient. En particulier ceux s’intéressant aux seniors.
« Les plus belles années d’une vie » annonçait : site de rencontres sérieuses, sécurisées spécialement conçu pour les célibataires de plus de 50 ans.
« e- Loving » se disait être une plate-forme de référence pour célibataires sérieux et promettait des mises en relation par affinité.
« Le gotha des rencontres » prétendait être un site haut de gamme s’adressant surtout à des célibataires diplômés à la recherche d’une relation pérenne.
Paula décida de s’inscrire sur le site « e- Loving »
Elle demanda à rencontrer des hommes qui avaient entre 55 et 65 ans. Dès le départ, elle précisa dans son annonce qu’elle pouvait aller jusqu’à 70 ans, mais pas au-delà.
La suite fut une série d’aventures.
Tout d’abord malgré les limites qu’elle avait fixées d’emblée, le site lui proposait des rencontres avec des hommes âgés de 80 ans.
Elle avait échangé plus particulièrement avec trois personnes sur le site de rencontre. Beaucoup de messages pour mieux connaître ces correspondants. Prudente, elle avait refusé de donner son numéro de téléphone.
Enfin elle se décida… Un homme lui paraissait sérieux, sa physionomie n’était pas désagréable. Ils convinrent d’un rendez-vous.
Dès cette première rencontre, ce fut la douche froide.
Il lui avait donné rendez-vous dans un centre commercial.
Au départ Paula fut agréablement surprise. Elle croyait avoir trouvé l’âme sœur. Il correspondait exactement à la photographie qu’il avait postée. Il était charmeur et de plus sa voix était chaleureuse. Il y avait longtemps que la sexagénaire n’avait pas autant ri. Il était aussi très direct. Au bout de dix minutes, il proposait à Paula d’aller avec lui dans un petit hôtel au bord de la Marne. En temps ordinaire, elle aurait refusée, mais subjuguée par cet homme elle était prête à toutes les folies. Après tout, si elle devait en faire son compagnon, autant bien débuter leur rencontre.
C’est alors qu’un événement imprévu se produisit.
Une femme d’un certain âge et une petite fille se dirigèrent vers leur table.
L’homme blêmit et rapidement lui dit d’un ton sec : « tu dis que tu es une cliente ! »
Elle comprit instantanément que l’homme était marié.
Ne voulant pas faire d’esclandre, elle paya son verre et partit.
Elle était très émue pour la deuxième rencontre. Elle avait été contactée par un homme qui prétendait avoir 68 ans. Il disait être un ancien cadre dans l’industrie chimique et il avait publié sa photo. Paula l’avait trouvé à son goût. Après avoir communiqué plusieurs jours sur Internet, ils avaient décidé de se rencontrer. Il lui avait donné rendez-vous à la brasserie de la Gare de Lyon. Ce jour-là Paula était pleine d’appréhension. Elle avait sa photo sur papier et comptait sur celle-ci pour reconnaître son correspondant. La brasserie était pleine de monde et Paula affolée cherchait à reconnaître Simon. C’était le prénom qu’il s’était attribué sur le site. Balayant des yeux la foule des consommateurs elle désespérait de l’apercevoir quand un homme au fond de la salle agita les bras. Elle le reconnut, pas de doute, c’était Simon. Elle se dirigea vers lui et quand elle arriva à côté de la table il se leva et la pria de s’asseoir. En regardant son visage, elle eut un choc. C’était bien Simon, mais plus âgé… Manifestement il n’avait pas 68 ans, mais certainement plus de 80 ans. Elle n’osa exprimer sa surprise et s’assit en face de Simon. Ils poursuivirent les conversations qu’ils avaient déjà eues sur ordinateur. Il lui dit qu’elle était encore plus belle que sur sa photo. Par timidité elle n’osa pas lui exprimer sa déception. Tandis qu’il lui parlait de son ancien métier, des enfants qu’il avait eus avec sa première femme dont il était divorcé, elle regardait son visage rempli de rides. Il n’avait pas les 68 ans qu’il prétendait avoir ! Elle était fascinée par les touffes de poils qui émergeaient de chaque oreille. Tandis qu’il riait, elle fut vite incommodée par l’odeur du souffle qui sortait de sa bouche. Ce n’était pas possible, elle ne se voyait pas terminer sa vie avec Simon. Elle n’avait pas rêvé d’un Apollon ou d’un surhomme, mais l’homme qui était assis devant elle ne correspondait pas au compagnon qu’elle avait espéré. Désorientée par cette rencontre, elle se demandait comment elle allait l’abréger ? Incapable de trouver une raison plausible pour interrompre le tête-à-tête, elle se leva brusquement et devant les yeux médusés de son interlocuteur, s’enfuit presque en courant de la brasserie.
Ces deux premières rencontres avaient plombé son ardeur.
Malgré tout elle décida de tenter une troisième rencontre. Martin avec qui elle correspondait depuis quelques semaines lui semblait être un compagnon sérieux. D’après la photo qu’il avait mise sur le site il ne ressemblait pas vraiment à George Clooney, mais qu’importe, il inspirait confiance. Paula se méfiait des hommes trop beaux, ils ont tendance à être infidèles. Martin ne se faisait pas mousser en affichant un pédigrée dithyrambique. Il avait été comptable, il était veuf avec deux garçons mariés. Avec Martin cela ne serait pas l’aventure, mais Paula recherchait surtout le calme, la sérénité, l’affection et la protection dans les bras d’un homme.
Cette fois-ci la rencontre avec Martin devait avoir lieu dans une brasserie des Grands Boulevards.
Paradoxalement, bien qu’ayant été échaudée par ses deux « correspondants » précédents, Paula se rendit au rendez-vous avec moins d’appréhension. Martin semblait comme disent les financiers une « valeur sûre ». Elle était en avance… Martin était déjà là.
Il l’avait reconnu, tout sourire, il lui fit signe de le rejoindre.
Elle allait s’asseoir face à lui, quand il lui demanda de se mettre sur la chaise à côté de lui.
L’air réjoui, il lui dit : « si nous devons bâtir un couple, il faut commencer aujourd’hui, les deux membres d’un couple doivent regarder ensemble vers l’avenir… »
Paula un peu gênée obtempéra.
Elle fut un peu surprise quand il l’embrassa sur la joue.
La jeune retraitée était un peu gênée par cette familiarité. Tandis qu’il évoquait les différents voyages qu’ils pourraient faire ensemble, elle sentait qu’il se frottait de plus en plus contre elle. Elle ne savait pas comment réagir.
Brusquement il lui prit la main et la posa sur sa braguette.
Paula outrée se leva brusquement et lui asséna une claque.
Devant les autres clients médusés, elle quitta la brasserie…
C’est ainsi que se termina son épopée sur les sites de rencontres…
« J’ai été grugée, je suis très déçue”, expliqua Paula à ses amies. Celles-ci lui parlèrent d’autres sites de rencontre, mais elle craignait que ce soit “la même chose” partout.
De ces différents échecs, Paula tira une leçon.
Il est impossible pour ces sites de rencontre de vérifier la véracité des informations fournies par ceux qui s’y inscrivent. Les gens mettent la photo qu’ils veulent, mais, quand on les rencontre, ce n’est pas du tout la même chose. Ils ont cinq ans de plus et on est surpris, cinq ans à cet âge ça se voit, vraiment.
Après plusieurs semaines de surexcitations, la sexagénaire retomba dans le vide existentiel. Ses occupations familiales ne comblaient pas la monotonie de ses journées. Elle allait faire ses courses au moment de plus grande affluence pour rencontrer des gens, elle allait boire un café dans différentes brasseries. Mais elle s’y sentait encore plus seule. Au cinéma c’était la même chose.
Bien qu’elle ne fût pas croyante, elle fréquenta l’église de son quartier. Elle n’y était pas retournée depuis le décès de son mari. Un dimanche à la messe, s’étant mêlée à l’assemblée des fidèles, elle reconnut le prêtre qui officiait. C’était celui qui avait procédé à la cérémonie lors des obsèques de son mari.
La vie a parfois des retournements…
Le prêtre devait avoir un peu plus de cinquante ans. À le regarder mener l’office, elle fut subjuguée. Il lui semblait qu’il ne s’adressait qu’à elle.
Et c’était le cas ! À la sortie de l’église, il l’arrêta et lui dit qu’il l’avait reconnue. Si elle avait besoin de réconfort, il était là…
Un mois après une lettre arrivait sur le bureau de l’évêque. Elle disait en substance…
Monseigneur pendant plus de trente ans j’ai servi l’Église et notre seigneur Jésus avec fidélité, humilité et amour.
Je viens de rencontrer une femme que j’aime et qui m’aime. Je veux l’épouser. Mon état de prêtre me l’interdit.
Aujourd’hui je vous demande de me relever de ma charge sacerdotale…
Faute de l’appeler “mon père”, j’espère qu’avec lui elle aura connu le ciel ! 🙂
Merci Loki pour cette tranche de vie habilement menée, dont je ne saurais dire si elle est réaliste ou pas… en tout cas l’histoire m’a tenu en haleine jusqu’au bout et je n’avais pas pronostiqué la chute, tant les voies du Seigneur sont impénétrables !
C’est drôle mais j’avais moi aussi l’envie d’écrire quelque chose de léger sur le même sujet.
Ô tempora, Ô mores !
Hello Loki,
J’adore ta façon fluide d’écrire, sans tirer par les cheveux ce que tu veux exprimer.
Tu as créé une émission de télé-réalité sur papier. Pour moi, c’est un texte qui mérite un bravo.
C’est une chose facile à lire avec le sourire. Cette histoire, c’est comme chercher en vain partout ses lunettes et enfin, découvrir qu’elles sont au-dessus de sa tête.
De nos jours, les cœurs solitaires se retrouvent dans toutes les catégories d’âge surtout en raison de l’Internet, je pense.
Je viens de regarder les statistiques des “Clubs de Rencontres” aux Pays-Bas. La majorité des “clients”, femmes, mais aussi hommes, sont déçus dès qu’ils rencontrent ces “Jacob” et ces “Margarita”.
Les listes de souhaits des Jacob sont vraiment hilarantes : elle doit être belle, élégante, bien habillée, intelligente, pas trop grande, pas trop grosse, financièrement indépendante, pas autoritaire, fidèle alors qu’elle respecte la liberté de son Jacob, sachant bien cuisiner, délicieuse au lit, sportive, aventureuse, bien qu’au passé irréprochable donc de préférence une jeune fille ou une veuve, sans enfants donc sans petits-enfants, etc. Mort de rire.
Mesdames ! La vérité c’est qu’il n’existe que trois catégories de Jacob :
1) Marié, mais à la recherche d’une ou plusieurs aventure(s).
2) Libre, pas tout à fait beau, gros, mal habillé, plutôt bête, court sur patte, avare, autoritaire, infidèle, maladroit au lit, paresseux, passé inquiétant, longue descendance d’enfants (et donc de petits-enfants), etc.
3) Vos lunettes sur votre tête.
Sœurs ! Au lieu de visiter les Clubs de Rencontres, touchez simplement vos têtes de temps en temps !
Belle nuit
Avec des touches humoristiques et une manière d’écrire comme
” en live” des histoires de tous les jours,
tu as fait une excellente critique des publicités mensongères
et trompeuses et de l’exploitation des problèmes des uns
et des autres dans notre société.
Comme quoi il est primordial d’apprendre à décoder les informations
et les publicités.
Merci pour ces lignes , Loki.
Merci amis du site !
Cela fait toujours plaisir quand on constate, qu’après avoir œuvré pendant plusieurs heures, que le texte dont on a accouché (c’est une image) rencontre un certain intérêt.
J’aurais pu mettre en préambule :
Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est purement fortuite.
Any resemblance to real and actual names is purely coincidental.
Mais qui l’eût cru ?
Merci Loki pour ce texte allégrement troussé. Ton style est toujours fluide et le rythme de l’histoire nous incite à vite lire la suite.
“Grâce à Dieu”, Paula trouve l’âme sœur après une quête de mésaventure en mésaventure…
Je suis à 100% d’accord avec les autres commentateurs. j’ajoute que je trouve aussi très bien vu l’attitude des enfants avec d’une part la fille qui idéalise son père que nul ne saurait “remplacer” et d’autre part celle du fils divorcé qui se demande égoïstement comment il va se débrouiller sans l’aide gratuite et pratique de sa mère…
Le lecteur est bien content pour Paula !