Comment le drame démarra-t-il ?
Il est facile de s’en souvenir. Tout commença à l’église.
Mademoiselle Albertine Pécuchet ayant déposé un bouquet à l’église, constata le lendemain sa détérioration. Pour bien illustrer ce qui allait être le déclencheur de tous les événements que nous allons raconter, reproduisons l’entrefilet écrit de la main de cette pieuse paroissienne dans la gazette locale, montrant bien la gravité des choses.
Petite histoire d’église
Petit hic survenu un certain dimanche d’août. Nous n’arrêterons pas les idées… :
Les joies du Seigneur sont insoupçonnées… Comment allais-je deviner que j’allais faire des heureux un dimanche matin ?
C’est avec de magnifiques glaïeuls donnés par une charmante personne, que je me rends à l’église pour faire un bouquet à Marie vu que c’est sa fête en ce mois d’août. En voilà des rouges violacés, des orangés, des jaunes, des roses, des blancs et j’essaye de mettre tout cela en harmonie.
La célébration de la messe se déroule et le soleil va se reposer.
Mince ! J’ai oublié quelque chose à l’église. « À l’aube » le lendemain, j’y retourne et je regarde mon bouquet.
Mais qu’est-ce qu’il a ? Il est tout flagada ! Et une tige hors de l’eau. Je m’approche, remets la tige dans son élément.
CONSTERNATION ! Mais où sont les glaïeuls blancs, les orangés, les jaunes, les roses ???
Vous ne les auriez pas vus par hasard ?
Albertine Pécuchet
La première réaction de la mademoiselle fut d’accuser les jeunes. Il est de notoriété publique que dès qu’une incivilité a lieu au village les responsables en sont les adolescents. Albertine Pécuchet ne le disait pas franchement, mais elle le pensait : « et les adolescentes » …comment pouvait-il en être autrement ? Tous ces jeunes n’ont pas reçu l’éducation chrétienne qui inculque aux élèves les sens des valeurs et de la moralité. Pas étonnant ! Les instituteurs des écoles publiques que l’on appelle pompeusement maintenant des professeurs des écoles sont tous des communistes ou pire des gauchistes propageant dans la jeunesse leurs idées séditieuses.
Ayant constaté la profanation de son bouquet Albertine Pécuchet alla conter la chose à « la charmante personne » qui le lui avait donné, en l’occurrence Géraldine Dumont de Saxe.
À ce niveau il est nécessaire de donner des précisions sur ces deux paroissiennes. Si Albertine Pécuchet qui flirte avec les soixante- quinze ans, est resté mademoiselle par la force des choses ou plutôt nous devrions dire par l’absence de choses et déteste la gent masculine pour son absence de considération à son égard (nous tairons par charité chrétienne la description du physique de la dame qui explique bien des choses…), Géraldine Dumont de Saxe en revanche a eu une jeunesse et une maturité agitées. Veuve d’un pharmacien aisé, elle est venue se retirer à Castillon sur Vigousse. Comme beaucoup de femmes au passé tumultueux elle a sombré dans une bigoterie et une pruderie qui l’ont tout naturellement amenée à devenir la meilleure amie d’Albertine Pécuchet. Entre ces deux tempéraments pourtant opposés, le courant ne pouvait que passer. La réaction de la veuve fut aussi vive que celle de la demoiselle. Cet acte délictueux pouvait être considéré comme une offense grave à la mère du Seigneur et ne devait pas s’arrêter là !
Elles allèrent donc voir l’abbé Lapistole, responsable de la cure et du canton de Castillon sur Vigousse qui partagea la fureur de ses deux paroissiennes. Ce n’est pas étonnant.
Jeune prêtre récemment nommé, l’abbé Lapistole un pur produit engendré par la montée des intégrismes. Quand il sortit du séminaire, il ne rêvait que d’une chose, aller évangéliser les terres de France aux mains des Sarazins. Il se voyait déjà, tels les missionnaires des siècles passés, parcourir les banlieues des grandes villes pour ranimer les croyances chrétiennes, oh combien, déficientes, contrer les imans et convertir les Rouges.
Ses supérieurs, plus pondérés que lui, préférèrent envoyer dans ces régions, des prêtres de même couleur que les populations dans lesquelles ils allaient assurer leurs sacerdoces.
L’évêque qui reçut l’abbé Lapistole, en grand diplomate de l’église sut le convaincre que ses qualités seraient mises en valeur dans la Drôme, région traditionnellement de gauche et qu’il y aurait l’exaltante mission de ramener de nombreuses brebis égarées dans le sein de l’Église romaine.
C’est donc gonflé par le discours du prélat que le jeune curé arriva à Castillon sur Vigousse.
Il ne fut pas déçu, le territoire étant gangréné par l’unique Sarazin vivant au village un ancien carreleur algérien, les habitants contaminés par nombre de suppôts de partis extrémistes de gauche, les apostats, sous la forme de Bataves, paradant dans les rues, les campings et les magasins.
Le vol des fleurs ne pouvait en rester là. Ce n’était pas trop de la valeur du bouquet qui était en jeu, mais bien le symbole de piété vis-à-vis de la Vierge Marie qu’il représentait !
Géraldine Dumont de Saxe émit l’idée que l’on pourrait déposer une plainte à la gendarmerie. Le curé l’en dissuada. Les représentants de la maréchaussée avaient fait preuve dans le passé de leur incompétence. Des vols de pots de fleurs, des détériorations de murs leur avaient été signalés, sans résultats. Des jets de bouteilles de bière dans la piscine n’avaient pas été punis. Albertine Pécuchet alla même suggérer que certains gendarmes couvraient de tels agissements. L’abbé Lapistole lui conseilla de se taire. Si ses propos étaient rapportés, c’est elle, l’honnête citoyenne, qui aurait des ennuis. Non ! Il ne pouvait compter que sur leurs propres forces et essayer de rassembler le plus grand nombre de personnes pour lutter contre le mal. La mission que Dieu leur envoyait était d’autant plus exaltante qu’elle était difficile. La nouvelle croisade du vingt et unième siècle !
Malgré la gravité des faits, les choses auraient pu en rester là et comme une mayonnaise s’affaisser dès les premières gouttes d’huile, mais un deuxième événement jeta de l’huile sur le feu. Et la mayonnaise prit (pardon d’abuser de l’huile).
Un habitant de Castillon sur Vigousse fut en butte à la tracasserie de certains de ses concitoyens. Ayant la chance de résider dans une des demeures historiques de Castillon sur Vigousse, il aurait pu y terminer dans la quiétude ses vieux jours. L’entrée de ladite maison donnait sur un viol nommé le viol des Boachons. Or ce viol se terminait sur une petite placette. Des malfaisants tout au moins d’après ce monsieur que nous appellerons monsieur X décidèrent d’appeler cette place : « Place des matins de calme ». Les nuits, de monsieur X, ne le furent plus ! Le traumatisme de cette débaptisation sur le caractère de notre homme fut impressionnant. Il devint irritable, houspillant sans arrêt son entourage. D’aucuns affirment qu’il trouva un certain soulagement dans les crus de Castillon sur Vigousse. Il eut beau multiplier les démarches auprès de la mairie, du conseil général, écrire moult lettres comminatoires, rien n’y fit. Suprême outrage : le conseil municipal décida d’entériner cette nouvelle désignation.
Paroissien assidu, il servait souvent la messe, en dernier recours il décida d’aller voir l’abbé Lapistole. Ce dernier fut outré de cette action qu’il estima révolutionnaire. « Viol des Boachons » est un nom attribué par les anciens à cette rue et que quelques mécréants ne fréquentant même pas l’église puissent le rayer pour le remplacer par « Place des matins de calme » était un acte démoniaque. Car sous une apparence anodine cette dénomination sentait le soufre. Si on parle de calme, c’est que la nuit a été agitée et il est facile d’imaginer les mille choses qui ont pu se passer la nuit… Monsieur X, Albertine Pécuchet et Géraldine Dumont de Saxe en furent d’accord. D’autant que cette dernière n’avait pas totalement oublié certaines nuits chaudes de sa jeunesse.
Ils décidèrent donc d’unir leurs forces de croyants et de fonder une ligue de moralité publique (la LMP) pour faire barrage au mal qui envahissait Castillon sur Vigousse. L’abbé Lapistole était ravi, sa lutte contre Satan prenait corps. Il se voyait déjà comme le Bossuet de la Drôme, tel l’aigle de Meaux il mettrait son talent et sa dialectique au service d’une juste cause. Il ne regrettait plus les quartiers difficiles des banlieues.
Les laïques virent une opportunité pour contrer le clan des bigots. En fait peu leur importait que l’objet de la querelle se nomme « Viol des Boachons » ou « Place des matins de calme », mais du moment que la clique Albertine Pécuchet, Géraldine Dumont de Saxe et l’intégriste abbé Lapistole était contre la nouvelle dénomination, il fallait réagir. L’instituteur, le médecin et le percepteur fondèrent la ligue « La liberté contre l’obscurantisme » (LCO) à laquelle adhérèrent tous les habitants, surtout des jeunes, opposés à la main mise de la religion sur les esprits.
Dès lors ce fut une lutte sans merci entre les deux clans. Une main anonyme enleva une nuit la plaque « Viol des Boachons » pour la remplacer par une plaque « Viol des beaux nichons ». Pour répondre à cet acte immoral l’abbé Lapistole organisa une procession dans la grande rue de Castillon sur Vigousse où furent portées pieusement les reliques de Saint Roman qui tout le monde le sait fut un moine de la région mis à mort par les parpaillots pour avoir refusé d’abjurer sa foi. La LMP voulait montrer ainsi que rien n’était changé depuis cette époque. Elle avait pardonné au pasteur, un brave homme respecté à Castillon sur Vigousse, les guerres de religion étant terminées depuis longtemps, le combat se portait maintenant sur un autre front. La ligue « La liberté contre l’obscurantisme » était une organisation d’obédience satanique que chaque bon chrétien devait combattre.
666 le chiffre de la bête fut taggé sur la voiture de l’instituteur et la devanture de la perception. Les bigotes préféraient aller à la ville d’à côté plutôt que de se faire soigner par le médecin du village.
Le maire était très ennuyé et ne voulait pas trancher entre « Viol des Boachons » ou « Place des matins de calme ». Il avait des électeurs dans chaque camp… Pour gagner du temps, il botta en touche en créant une commission chargée de rassembler et d’examiner les éléments du dossier.
L’affrontement risquait de durer longtemps entre la LCO et la LMP aucun des adversaires ne voulant céder un pouce de terrain.
Finalement « Place des matins de calme » l’emporta…
Comment une telle chose fut-elle possible ?
Est-ce un hasard ou l’œuvre du malin ?
Quoi qu’il en soit une fillette fut enceinte des œuvres de l’abbé Lapistole. Sa hiérarchie étouffa le scandale en dédommageant les parents (on sait maintenant à quoi peut servir le denier du culte…) et envoya le prêtre évangéliser les populations dans un lointain pays d’Afrique. Ainsi sa libido pourrait s’exprimer sans risque de scandale.
Quant à Albertine Pécuchet, elle fit un AVC en apprenant les frasques de son curé. Tout se sait dans un petit village.
On peut la voir derrière sa fenêtre immobile, l’œil torve, jugeant les passants, impuissante devant les grimaces des gamins.
Et Géraldine Dumont de Saxe ?
Devant la capitulation de ses deux acolytes, elle jugea bon de ne pas continuer le combat.
D’après certaines rumeurs cédant à la résurgence de ses ardeurs de jeunesse, elle serait partie avec un jeune cantonnier du village au Sri Lanka vivre le reste de son âge.
Le combat cessa faute de combattants…
J’ai dû aller chercher loin dans mon héritage occitan pour retrouver le sens du mot “viol” dans ton texte. C’est le nom d’un village de l’Hérault, Viols le Fort, qui m’a mis sur la voie (si je puis dire). De là je suis tombé sur Châtillon en Diois et je suis très fier d’avoir identifié ta photo. Castillon était une piste, j’ai habité un village de ce nom, il y en a beaucoup. J’adore ces textes qui laissent de petits signaux comme dans un jeu de piste.
Au delà du cadre j’ai beaucoup aimé ce pamphlet contre l’hypocrisie, jouissif, drôle et bien mené… Et pourtant les bigots de toute nature relèvent la tête.
Une nouvelle alerte et bien troussée 🙂 qui correspond bien à une réalité des villages d’autrefois où s’affrontaient souvent le camp du curé et celui du maire (socialiste ou radical !).
Je regrette cependant les descriptions généralistes sur ces dames “la description du physique de la dame qui explique bien des choses” et “Comme beaucoup de femmes au passé tumultueux elle a sombré dans une bigoterie et une pruderie…”. En ce qui concerne Albertine j’ose espérer que le manque de considération masculine est dû à autre chose que sa laideur.
Quelques coquilles et une concordance des temps qui ne me semble pas adaptée:
fut en but à la tracasserie => fut en butte
fut tagger => fut taggé
Tout commença à l’église.
Mademoiselle Albertine Pécuchet ayant déposé un bouquet à l’église, constate (constata) le lendemain qu’il a été détérioré.
Merci amis du site d’avoir lu ma nouvelle.
J’ai corrigé les coquilles qui m’ont été signalées.
Bravo Chamans d’avoir identifié le village dont j’avais volontairement modifié le nom. Peut-être aurais-je dû mettre une autre photo ?
Effectivement le nom “viol” est spécifique à certaines régions (il vient du latin “via”). Une note d’humour : le torrent qui coule dans le village n’est pas la “Vigousse”, mais “le Bez”. Ce qui fait que les touristes n’arrêtent pas de photographier la plaque du viol qui passe à côté de chez moi, “le viol du Bez” !
La genèse de cette nouvelle : c’est à partir d’un entrefilet paru réellement il y a une dizaine d’années dans la gazette locale que j’ai écrit ce texte. Bien entendu tout le reste est purement imaginaire.
Peut-être certains d’entre vous remarqueront une atmosphère rappelant celle du livre “Clochemerle” de Gabriel Chevalier. Mon livre fétiche que j’ai relu une cinquantaine de fois. Ce roman satirique français publié en 1934 a connu un succès immédiat et durable avec un tirage à plusieurs millions d’exemplaires et des traductions dans vingt-six langues. L’ouvrage fut récompensé par le Prix Courteline en 1934. J’ai la conviction qu’un tel livre ne pourrait plus être écrit maintenant tant le rétrécissement des idées et la pruderie se sont imposées dans notre société…
Un côté un tantinet franchouillard bien naturel en cette période électorale et, dans les évocations des femmes en général, on dirait un peu le comptoir sur le zinc des années 50, du temps où, aussi, l’on bouffait du curé. Pour moi, un peu cliché, cela, tout de même.
Mais je suppose que c’est un parti pris d’écriture et que ce n’est que le narrateur et non point l’auteur qui commet ces irrévérences du passé. 😊
Je trouve moi aussi quelques coquillettes, comme on dit chez Panzani :
lendemain qu’il a été détérioré (concordance des temps). … … la mère du Seigneur … … l’abbé Lapistole est un pur produit … … Il ne pouvait que compter que sur leurs propres forces … … la grande rue de Castillon sur Vigousse où fut porté pieusement les reliques
Et au fait qui a volé le bouquet de glaïeuls ? Que fait la police ?
Un côté un tantinet franchouillard
Je prends cette remarque comme réussite, car c’est justement que j’ai voulu faire en écrivant cette nouvelle : retrouver l’esprit d’une époque maintenant disparue. Une atmosphère rappelant celle du livre “Clochemerle”. Dans ce village il n’y a plus de rivalités entre les laïcs et les catholiques. D’ailleurs depuis longtemps il n’y a plus de curé. Faute de prêtres, des diacres ou des fidèles, laïques conduisent les funérailles.
Autrefois il y avait un cimetière catholique et un cimetière protestant, aujourd’hui on peut se faire enterrer indifféremment dans l’un des deux. Une curiosité : dans certains champs de la campagne avoisinante, on peut voir encore des tombes de protestants datant de l’époque où ils n’avaient pas le droit de se faire enterrer dans les cimetières des villages. J’ai bien ri quand mon petit-fils a dit un jour : c’est drôle dans le champ ils font pousser des morts !
Cela m’a fait du bien d’écrire cette nouvelle tant le rétrécissement des idées et la pruderie se sont imposés dans notre société alors que je ne partage pas les idées de cette nouvelle qui veut être une caricature.