Le titre intriguera peut-être le lecteur. S’il se risque sur Internet, il sera déçu de sa recherche, mais qu’il se rassure tout s’éclaircira à la fin.

 

Il est des vies vraiment pas passionnantes. Celle d’Ernestine Feuillue 40 ans, employée à la Société Générale fait partie de celle-là. Il serait inutile d’évoquer son enfance, heureuse sans doute, mais sans événements marquants. La nature ne l’ayant pas particulièrement gâtée, l’adolescente malgré le désir de rencontrer le prince charmant, a traversé cette période sans qu’un garçon s’intéresse à elle. Puis cela a continué. Ce qui fait qu’à quarante ans Ernestine est toujours célibataire.

Tous ses collègues de La Société Générale l’aiment bien. Ils l’ont surnommé « Croquignolette » en raison de son appendice nasal rappelant celui d’un personnage du célèbre trio. Sa féminité n’est pas aidée par une taille assez exceptionnelle pour une femme. En résumé Ernestine Feuillue a d’immenses qualités, la gentillesse surtout, mais aucune ne lui a permis de rencontrer l’âme sœur.

Elle a tout tenté pourtant : les clubs de vacances, les rencontres sur Internet, les randonnées pédestres se sont terminés par un fiasco.

Au moment où débute le récit, elle est totalement déprimée et ce n’est pas la manipulation quotidienne de titres bancaires qui lui remonte le moral.

La voyant abattue, sa meilleure amie Nathalie décide de la prendre en main. Elle est passionnée de psychologie et de philosophie orientale. C’est évident pour elle, ce n’est pas à l’aide d’antidépresseurs que son amie pourra remonter du trou où elle est tombée. Son « moi », donc son karma est abîmé par les vicissitudes de la vie. Le seul moyen de reconstituer son intégrité psychique est la méditation !

Nathalie lui donne le nom et l’adresse d’un gourou ayant pignon sur rue dans le 16e arrondissement. D’elle-même, Ernestine n’aurait pas été consulter ce genre de maître à penser, mais son état dépressif est tel et Nathalie, si persuasive qu’elle se laisse convaincre.

C’est ainsi que le lendemain Ernestine Feuillue arrive rue Octave feuillet devant l’immeuble du gourou. La qualité de l’immeuble, la plaque cuivrée bien astiquée lui inspirent d’emblée confiance. On peut y lire : « Maître Ramaya Bin Begor Rundra guide suprême de méditation et de philosophie orientale ». Ernestine impressionnée et excitée pénètre dans l’immeuble. Le tapis rouge, la classe de l’ascenseur achèvent de la convaincre : elle a fait le bon choix ! Le cabinet du maître dénote par rapport à l’aspect bourgeois de l’immeuble. Le décor, l’odeur semblent transporter le visiteur au fin fond du Tibet. Seule la secrétaire assise derrière son ordinateur rappelle que l’appartement est situé dans le 16e arrondissement.

Le maître Ramaya Bin Begor Rundra reçoit Ernestine Feuillue. Vêtu d’un Kesa orangé, assis en lotus, il accueille sa visiteuse avec un sourire qui la plonge immédiatement dans une douce euphorie. Il l’interroge sur sa vie, ses soucis, ses états d’âme et Ernestine raconte au gourou tout son mal-être. Après l’avoir écouté longuement sans se départir de son sourire, hochant parfois la tête, le maître se lève lentement et se saisit de la main de la jeune femme.

  • Ma sœur, c’est Bouddha qui t’a conduite ici ! Ton chemin est maintenant tracé : la méditation avec les frères et les sœurs de notre temple vont te permettre de reconstituer ton karma…
  • Nous commencerons demain ! En attendant, en sortant, adresse-toi à ma secrétaire. Au revoir, ma sœur ! À bientôt !

Puis le sage se replonge dans une profonde méditation. Ernestine, toujours en béatitude, hésite quelques instants et comprend que l’entrevue est terminée.

L’extase retombe immédiatement quand la secrétaire lui demande 500 € d’inscription et l’informe que le prix de chaque séance de méditation sera de 100 €. Mais la rencontre avec le maître Ramaya Bin Begor Rundra a été un tel souffle de lumière dans la noirceur de sa vie, que ces contingences matérielles lui semblent secondaires.

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Le maître a quitté son Kesa et enfilé un complet-veston et avec Lulu sa secrétaire plus que dévouée, ils sont partis dans une brasserie fêter l’événement.

Il lève sa coupe de champagne.

  • Ma petite Lulu ! Un pigeon de plus ! Un !

Il faut dire que le maître Ramaya Bin Begor Rundra se nomme en réalité Kevin Dupont. Né dans le 13e arrondissement d’un père français et d’une mère chinoise. Après un CAP de fraiseur-tourneur, il a décidé que ce métier manuel était indigne d’un garçon de sa qualité. Il a pensé choisir l’import-export avec la Chine, mais cette activité commerciale ne correspondait pas à ses goûts, il a eu alors l’idée de se lancer dans la philosophie orientale, car il s’était aperçu que la crédulité de nombreux paumés de la société française était sans limites et qu’il y avait beaucoup d’argent à gagner. Son bagout, son physique, son culot étaient autant d’atouts qu’il avait su mettre en œuvre…

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La première séance de méditation a interloqué Ernestine Feuillue. Néanmoins elle est ravie, car elle n’est plus « Croquignolette », mais sœur « Rosée du matin ». Le maître Ramaya Bin Begor Rundra est assis en lotus et tous les sœurs et les frères sont assis autour de lui. Il y a d’ailleurs plus de sœurs que de frères. Les yeux fermés, ils répètent l’air extatique les psalmodies du gourou.

Interdiction de parler pour ne pas briser les ondes de sérénité. Ils n’en ont d’ailleurs pas envie, la paix intérieure qui les pénètre les détache des contingences matérielles de ce bas monde. Ernestine Feuillue, comme tous les autres, ressent cette ivresse qui lui fait oublier tous ses soucis.

Malgré le coût élevé des séances, elle les attend, à chaque fois avec impatience.

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Kevin Dupont se frotte les mains, la « Croquignolette » est à point. Il va pouvoir comme à plusieurs autres de ses adeptes lui proposer le grand saut vers la plénitude céleste. Ce qu’il appelle le grand saut c’est une donation d’une partie de ses biens à la secte du « soleil radieux » ce qui la libérera de l’oppression de la société matérialiste et lui permettra de vivre l’ascétisme de la philosophie orientale, source du bonheur suprême. L’œil radieux il consulte son ordinateur. Son pécule placé aux îles Caïmans ne cesse de prospérer…

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Le maître a emmené Ernestine Feuillue, dans son bureau. Celle-ci est toute intimidée, de pénétrer dans ce sanctuaire, où elle n’est jamais rentrée. Cette pièce sans fenêtre, sans meuble hormis un autel dédié à Bouddha, avec un haut-parleur diffusant de la musique tibétaine, achève de la mettre dans un état second. Le maître la fait asseoir à côté de lui sur un immense tapis. Il lui pose doucement la main sur la cuisse.

  • Ma sœur, es-tu prête à accéder à l’univers de Bouddha qui te regarde et qui t’aime ?
  • Oui maître !
  • Es-tu prête à t’affranchir de cette société matérialiste qui t’opprime, à l’argent qui corrompt les âmes, à trouver dans l’ascétisme la source du vrai bonheur ?
  • Oh oui ! Maître ! Je suis prête !

Le gourou sort alors de son Kesa un papier et un stylo.

  • Le bonheur sera maintenant à toi, il te suffit de signer ce document !

Ernestine, sans même le lire, s’empare du stylo et signe.

Le maître plein de douceur, prend alors Croquignolette par les deux poignets et lentement la fait lever.

  • Sœur « Rosée du matin », tu vas pouvoir maintenant pleinement accéder à la plénitude de ton karma, bienvenue parmi les bienheureux !

L’attitude d’Ernestine Feuillue change aussitôt et avec une violence insoupçonnée, elle sort de sa poche, une paire de menottes qui viennent enserrer les poignets du gourou.

  • Désolé, cher maître ! Tu vas pouvoir à ton tour méditer en prison !

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 Car Ernestine Feuillue est, en réalité, Pierre Duracuir, officier de police à la B.A.G. brigade anti gourou.

Quand il raconte à son chef comment il s’est métamorphosé en femme et bâti un roman à la Société Générale pour tromper le gourou, celui-ci est sidéré. Décidément Pierre Duracuir est l’un des meilleurs éléments de la B.A.G. !