Face d’Azur
La nouvelle tomba comme un météore.
Le Ciel allait broyer la Terre.
Rien ni personne n’y pouvait rien.
Excepté un homme appelé Face d’Azur…
(…Ce que l’on racontera entre autres sur les chemins du monde…).
…
Il était une fois au Pays Terrien…
– Ton visage… Il est tout bleu. S’amuse timidement une fillette.
– Attends quelques minutes… Tu verras.
Les autres enfants ont un rire discret. La petite âgée de cinq ans ne connaît pas encore ce jeune homme étrange. Depuis quelques temps, il fait partie de la vie du quartier. Il plante des arbres. Il aide à la construction des cabanons-refuges à l’orée de la forêt de pins. Il raconte des histoires à celles et ceux qui aiment à l’écouter – depuis quelques temps, ils sont de plus en nombreux. Qui est-il, lui qui s’en vient comme le vent ? La fillette ne lui a pas encore demandé son nom.
Un soleil éclatant brille sur les Landes. Quelques minutes filent par-delà la clairière de dunes…
– Ton visage… Il change de couleur !
– Et dans quelques minutes… Il en aura encore changé !
La fillette commence à comprendre. Voilà en quoi cet homme est une énigme – un drôle de jeu multicolore. Régulièrement, toutes les quelques minutes, son visage change de couleur. Bleu nuit, noir étoilé, blanc sable, indigo, brun de brume, gris argenté, cyan, ou encore… azur.
L’enfant aux yeux qui brillent observe le visage céleste. D’autres minutes planent. Le visage du jeune homme prend une teinte plus foncée.
Et le temps s’espace…
Seconde par seconde. Minute par minute. Heure par heure. D’autres teintes ont lieu. Un léger vent s’offre aux sables de la lande. Le crépuscule commence. Décidément qu’est-ce qu’il fait beau aujourd’hui. Le fond de l’air est libre. De quoi mettre un deuxième soleil dans les yeux d’untel ou d’untelle.
…
– Tu t’appelles comment ? Lui demande la fillette.
…
Lorsque soudain…
Le Ciel… commence à perdre ses couleurs.
Un cerf-volant au loin se froisse brutalement, broyé.
Un oiseau passe et meurt subitement, broyé.
Un avion également, au-dessus de la mer de nuages, broyé.
Une fusée après décollage, en partance pour la Lune… broyée.
Une terrible pensée prend forme. Dans la tête de tout le monde. Dans les tréfonds du cerveau de chaque être humain sur la surface du globe. La nouvelle tombe comme un météore.
Le Ciel va broyer la Terre.
Tous les signes avant-coureurs ont déjà eu lieu.
L’homme au visage céleste est le seul à savoir pourquoi. Il n’aura jamais le temps de le dire à qui que ce soit.
Le Ciel va broyer la Terre.
Impact imminent. Dans quelques dizaines de secondes tout au plus.
…
Alors cet homme se lève et s’avance au milieu de la clairière de dunes. Il prend quelques instants pour s’adresser une dernière fois aux enfants qui l’entourent, pour leur dire quelque chose comme « Puisque le Ciel nous tombe sur la tête, à moi de tomber sur la sienne ! ».
Un adieu presque en riant. Un salut de la main.
Un sourire un peu triste mais un sourire quand même.
L’homme lève les yeux vers là-haut…
Et prend la parole.
« Il a fait beau aujourd’hui… De quoi contenter les bâtisseurs de châteaux de sables. Je serais bien resté davantage. J’aurais pu en dire plus. Il y a tant de choses à observer et à comprendre ici-bas… Mais puisqu’il est temps, alors disons que je suis prêt. Puisqu’il est temps alors vas-y…
Toi le Ciel multiface…
Regarde-toi à travers mes yeux.
Souhaite-moi la bienvenue.
Profite de l’effet miroir… Et reprends-les.
Reprends tes couleurs. Toutes tes teintes au fur et à mesure du temps. Ce sont tes visages. Ton identité. Ce que verront tant de regards d’astronomes. Un jour viendra où l’Univers ne sera plus. Mais d’ici là, en attendant… Laisse-moi te redonner ton visage bleu nuit, ton noir étoilé, ton blanc sable, ton indigo, ton brun de brume, ton gris argenté, ton cyan…
Il a fait beau aujourd’hui… Je te rendrai l’azur en dernier. Bientôt je te ferai face. D’ici quelques secondes. Je t’envisagerai, les yeux dans les yeux, et je te sourirai.
Souhaite-moi la bienvenue.
En cet instant je me projette à Toi… ».
Et l’homme se projette au Ciel.
Il ne tombe pas. Ne s’envole pas.
Il se projette.
Il sait qu’au moment de l’impact, il sera mis en pièces, que tout son être ne sera plus qu’un puzzle éparpillé par-delà le vide.
De toutes ses forces, il se projette au Ciel.
Et à la seconde où il atteint le Ciel, un grand flash envahit la zone de cette partie de l’Univers.
Fin du flash.
Une pensée prend forme. Dans la tête de tout le monde.
La nouvelle tombe comme une pluie d’été :
Le Ciel n’a pas broyé la Terre.
Un regard d’enfant laisse filer une larme au Pays Terrien…
…
Et le temps s’espace…
…
– Comment s’appelait-il ?…
– Azur…
…
– Azur… ou… Face d’Azur.
– « Face d’Azur » ?
…
Le temps s’espace.
Jour par jour. Année par année. Nuit des temps par nuit des temps.
Ici et là, une histoire se raconte. Celle de Face d’Azur, l’homme qui s’est projeté au Ciel pour empêcher le Ciel de broyer la Terre.
« Il s’est toujours appelé comme ça, il s’appelait Face d’Azur bien avant de faire don de sa vie terrestre. ».
« Non, il a choisi lui-même ce nom aux derniers instants. ».
« Non, ce sont les gens qui par la suite l’ont appelé comme ça. ».
Le temps s’espace et une histoire s’efface. Se faufile hors de l’oubli. Se transmet. Se modifie. Se retranscrit. Elle parle de teintes célestes, de couleurs cosmiques qui ont retrouvé leur visage à l’orée du Jour et de la Nuit sur Terre.
Quelque part au Pays terrien, il est déjà minuit passé. Une femme marche entre les dunes. Elle s’arrête soudain et lève les yeux au Ciel. Là, maintenant, elle se souvient de tous les firmaments passés sur son visage, et elle voudrait vraiment lui dire merci.
Donne-moi un sourire sur ton visage présent.
Lui aurait répondu Face d’Azur.
Et heureusement, de cela aussi elle se souvient.
Les Gaulois craignaient que le ciel leur tombe sur la tête !
Avec cette nouvelle, cette crainte est encore d’actualité…
Est-ce un conte ou une science-fiction ?
Chaque lecteur choisira !
Quoi qu’il en soit, on a plaisir à lire ce texte et à laisser divaguer son imagination.
Qui est cet homme appelé Face d’Azur ?
Une métaphore pour matérialiser justement, par azur, ce bleu du ciel, qui nous protégeait des rayons du soleil, et que la folie des hommes remplit d’obscurité croissante ?
Chacun interprétera à sa façon, cette métaphore.
Je parlerai d’un temps que les jeunes n’ont pas connu…
Le magnifique roman de Pierre-Jakez Hélias « Le cheval d’orgueil », où le poète déjà envisageait que les arbres n’ont que pour rôle de retenir la Terre par leurs racines et par leurs branches, le ciel.
Quand les arbres auront disparu, le ciel s’en ira…