Assis sur un promontoire herbeux, il regarde la mer…
Il se cure les pieds consciencieusement, orteil après orteil, les fait craquer, l’un après l’autre, il profite de la vue infinie, de l’horizon ouvert…il respire enfin…
Il a laissé le fracas importun, les mouvements de foule, la pollution de la ville gisant désormais en contrebas, il commence les échauffements, enchaîne les pompes changeant de temps en temps de bras. Une sueur sereine huile peu à peu sa peau.
Un air doux l’enveloppe, il s’étire, dégageant le plexus, il fait le pont, se laisse aller…tête pendante, il fait le vide…
A plat ventre, désormais, il se penche épousant la courbe de la terre de son corps tout entier…
Il baille à s’en décrocher les mâchoires, il fait le tigre, puis il se détend le cou en un lent bercement…
Sa main cherche le sac de magnésie et il affronte du regard son géant.
La falaise le domine, frôlant une sœur jumelle, blocs de granit dont le sommet dessine une échancrure au ciel…
Il scrute la voie, la faisant sienne, repérant les passages, les endroits délicats, les accroches…
Il repère la moindre ouverture, il imagine son passage, à l’avance calmement…
Il bande ses muscles, liant les postures, une a une, il choisit une marche pour se reposer, agitant les bras en moulinets pour que le sang afflue de nouveau. De l’œil il caresse la paroi repérant la moindre saillie, y verrouillant les doigts.
Puissamment il se hisse, esquissant à l’aveugle des entrechats, il pousse des pieds, il décolle…
Il saute d’une difficulté à l’autre, d’une maîtrise sûre, ivre de liberté.
Main fermée sur une cavité, il s’allonge et se tend, jambes à l’horizontale, tâtonnant du talon, phalanges enfin serrées sur ce mamelon que depuis tout à l’heure il guigne.
Arqué à l’extrême, l’effort sculpte une houle à son corps fuselé.
Il attaque le dévers, son but ultime, qu’enfin il aille affronter ce col ouvert à l’azur…
Il marche à l’instinct, il danse
Il touche une fente et oscille, balancier en plein ciel, pour s’élancer au delà du vide
L’excroissance est petite et il assure sa prise de l’autre côté, tout son poids suspendu à trois doigts écartés…
Il frissonne en silence et s’appuie du pied.
Il vient d’y penser…
Il a failli chuter…
Merci Tanagra pour ce portrait poétique où on retrouve ta “patte” : vocabulaire fluide et sophistiqué, thèmes du corps, du mouvement et de la sensualité.
À mon sens ce n’est pas une nouvelle, ce qui n’empêche nullement de le goûter. Ton texte m’a incitée à creuser la définition. La nouvelle est certes un récit court, avec peu de personnages mais elle est centrée sur un événement et emmène le lecteur d’une situation A à une situation B, et ce avec une économie de description pour ne pas laisser “de temps de repos” au lecteur.
Oui Tanagra, je crois que c’est absolument ça. Tu nous fait vivre tous les ploiements et les déploiements du grimpeur à main nues, on ressent ses muscles se tendre et se détendre en trouvant sans cesse la limite qu’on croyait inaccessible, l’impossible prise, sans oublier le mental sans lequel rien n’est possible.
Amoureux de la montagne, j’ai beaucoup aimé ce texte.
Je commence par “je crois” car, en regardant seulement l’image, j’ai déjà le vertige… 🙂
Je suis d’accord avec Line il ne s’agit pas d’une nouvelle, mais ce n’est pas grave.
Il y a là une belle description de la préparation et des muscles du grimpeur, misérable créature qui se prépare à gravir l’impitoyable falaise où chaque erreur se paye chèrement.
Merci Line pour cet agréable commentaire qui me ravit, quand à ta remarque sur la ” nouvelle ” j’y regarderais à deux fois avant de publier un texte dans nouvelles, bien que la définition varie suivant les pays.
Merci Hermano, les limites existent afin d’être dépassées.
Merci Loki de ce bienveillant commentaire.
Bonjour Tanagra,
La publication sous la rubrique nouvelles n’est pas un problème, au contraire ! Elle m’a permis de se pencher sur la définition de la nouvelle et d’aborder le sujet. Je crois qu’un tout petit peu de théorie de temps en temps ne nuit pas pourvu qu’on ne rentre pas dans un “cours” ! Ce n’est pas l’esprit d’Oasis et en ce qui me concerne, je ne suis pas professeur.
Tu as raison la définition de la nouvelle varie selon les pays.
En tout cas, Dieu merci, ton texte n’est pas une nouvelle à chute 😉