Au dragon rouge

Écrit en résidence d’écriture, animée par Natacha Sels.

Inspiré de la carte à jouer représentant l’autrice Eileen Chang – 6 hypothèses tirées aux dés

Hum ! Les ennuis vont commencer, se dit Eileen lorsqu’elle vit débarquer de l’ascenseur six types baraqués. Cependant, la métisse franco-chinoise accueillit très professionnellement ses nouveaux clients. « Bienvenue au “ Dragon rouge ”, messieurs ! Un vestiaire est à votre disposition ». Les six hommes jetèrent un regard circulaire et circonspect à l’immense baie vitrée qui offrait une vue sublime sur la baie de Hong-Kong. Des enseignes au néon éclipsaient les étoiles et balançaient leurs couleurs criardes et clignotantes à la face des nouveaux arrivants, dessinant sur leurs visages d’étranges éclairs fluorescents.

Hypothèses :

1. Les six types refusent de donner leurs manteaux.
2. Les six types enlèvent leurs manteaux et sont en smoking.
3. Les six types enlèvent leurs manteaux et ont un costume de drag-queen.
4. Les six types sortent immédiatement un fusil-mitrailleur et canardent toute la salle
5. Les six types sortent de leur poche une carte de police ;
6. Un des types ouvre son manteau, sa chemise est couverte de sang.

Un des types s’approcha précipitamment du comptoir. Eileen eut un mouvement de recul, puis elle se reprit. Elle déplaça son doigt près de la sonnette d’alarme afin de déclencher l’intervention immédiate des services de sécurité au cas où l’apocalypse se déclencherait. D’autant plus, qu’elle avait reconnu Lang Cheng, le patron de la triade du Lys d’Or. Mais elle se rendit compte qu’il n’était pas en état de la menacer car il s’écroula au pied du lourd comptoir de Bakélite. Eileen se précipita vers lui et aperçut, à travers les pans écartés de son manteau en alpaga, une énorme tache de sang qui trempait sa chemise blanche. Bouleversée, le souffle court, elle tomba à genoux devant lui, mais déjà les cinq sbires étaient autour d’elle. « Fais ce qu’il faut, mais que la police n’en sache rien ». Elle hocha la tête en signe d’assentiment, puis elle réfléchit aux différentes options possibles à la vitesse de la lumière.

Hypothèses :

1. Prévenir la police en sous-main : ce type avait décimé toute sa famille.
2. L’ascenseur s’ouvrit sur six policiers
3. Faire semblant de le soigner et lui injecter discrètement une surdose d’acide. Le type contrôlait le trafic de drogue de Kowloon et c’est à cause de lui que son petit frère était mort d’une overdose.
4. Faire un garrot et le soigner du mieux possible, elle avait besoin de protection
5. L’ascenseur s’ouvrit soudain sur six autres types. C’était la triade rivale du Lotus d’Argent.
6. L’ascenseur s’ouvrit soudain sur une bande de joyeux fêtards habillés en drag-queens.

C’est alors que l’ascenseur s’ouvrit soudain sur six autres types. C’était la triade rivale du Lotus d’Argent. Eileen se précipita derrière son comptoir car la fusillade commença immédiatement. Elle devait sauver sa peau et celle de ses hôtesses, en particulier celle de Chen que Lang Cheng poursuivait de ses assiduités. Elle ne doutait pas que celui-ci avait appris qu’elle s’était réfugiée ici. Eileen tira parti de la confusion ambiante pour franchir une porte dérobée, cachée derrière un rideau de velours noir.

Hypothèses :

1. Chen était déjà derrière la porte.
2. Un type du Lys d’Or la rattrapa par le bras.
3. Elle perdit connaissance, terrassée par une crise cardiaque.
4. Elle n’arrive pas à trouver Chen.
5. Un incendie se déclencha.
6. L’hélicoptère de la police atterrit sur le toit du gratte-ciel.

Une dernière balle ricocha sur la porte blindée qu’elle venait de fermer. Mais Eileen s’effondra tout de même, terrassée par une crise cardiaque. Chen, mue par un pressentiment, était déjà auprès d’elle. Elle se précipita pour lui saisir la main.

— Tu es blessée, Eileen ? J’appelle tout de suite le docteur Xu Yuan !

— Non, je ne suis pas blessée, mais j’ai si mal à la poitrine.

— Oh ! Je vais te faire un massage cardiaque tout de suite.

— Non, appelle Gao, il saura. Il faut que tu t’en ailles immédiatement.

— Je ne veux pas te laisser, ma protectrice bien-aimée.

— Écoute, protesta Eileen faiblement, appelle Gao, je t’en prie, et sache que je t’ai toujours aimée. Je veux que tu vives heureuse.

Elle ferma les yeux et sentit un baiser infiniment doux sur ses lèvres et une main légère sur sa joue. Puis, elle entendit des petits pas précipités, suivis des pas lourds de Gao qui venait à son secours. Il glissa à son oreille : « Chen sera protégée par nos hommes. Je m’occupe de vous tout de suite. »

Alors, son esprit se détendit, désormais absent du tumulte environnant. Une dernière pensée l’environna de douceur : advienne que pourra, pourvu que Chen, la petite fleur de mon cœur, soit en sécurité.