Je ne suis pas attendu, je pense. Ils n’ont jamais connu un patronyme tel que le mien.
Je flotte jusqu’au bureau d’accueil comme dans un nuage, une sorte d’univers ouaté, comme si les murs matelassés absorbaient tous les bruits. Un homme, barbe blanche, très gros, aussi avachi que son vieux fauteuil, me fait signe d’approcher. Il me sourit, je me présente :
- Jean-Marie Vinjosvitz.
- Hum… fait-il en pianotant sur son clavier d’ordinateur, quel âge avez-vous ?
- Cinquante-trois ans.
- Statistiquement parlant, je ne vous attendais que le 25 mai 2049. Suivez-moi.
Il se lève prestement malgré sa corpulence et, à travers de longs couloirs de marbre blanc me rappelant les musées du Vatican, il me conduit à l’entrée d’une salle : Salle Jean-Marie Vinjosvitz.
Avant de disparaître, il me fait pénétrer dans cette pièce immense, bien éclairée, absolument silencieuse, au parquet vernis qui crisse sous mes semelles. Derrière les vitrines figurent quatre-vingt-trois Jean-Marie Vinjosvitz, tous différents, tous en état de parfaite conservation. Dans une absolue sidération, j’avance, incapable de résister à cette visite que personne ne m’impose pourtant. Le numéro 28 : un soldat d’empire avec tout son attirail, l’air épuisé. Le 36 : style homme d’affaires, cheveux blonds coupés très courts, costume trois-pièces bleu foncé. Le numéro 61 : un jeune enfant en costume marin tenant à la main un cerceau jaune. Tous des Jean-Marie Vinjosvitz.
Interrompant ma visite, un jeune-homme aux allures d’éphèbe, au teint de métis indo-européen, les cheveux noirs de jais attachés en catogan, est entré silencieusement dans la pièce. Il tient à la main une petite valise.
- Jean-Marie Vinjosvitz, je suppose ? me fait-il avec une grande douceur.
- Oui.
- Je suis l’embaumeur. Installez-vous, je vous prie.
Une nouvelle courte (ne n’est pas un défaut) et prestement menée.
Dès la deuxième page je tombe dans le panneau : je suis au ciel et l’homme, barbe blanche, très gros, aussi avachi que son vieux fauteuil ne peut être que Saint Pierre.
Je ne vous attendais que le 25 mai 2049 : ça y est nous allons apprendre que Jean-Marie Vinjosvitz arrive trop au ciel.
Nous allons découvrir la raison de sa mort prématurée !
Evénement inattendu…
Il me conduit Salle Jean-Marie Vinjosvitz.
La situation devient ubuesque !
La salle est pleine de Jean-Marie Vinjosvitz de différentes époques.
Les valeurs du lecteur sont totalement chamboulés. Nous sommes une salle d’un muséum.
Où est-ce ? Au ciel ? Ailleurs ? Au musée Grévin ?
L’atroce vérité se révèle avec le jeune éphèbe à la valise.
Le lecteur sombre un peu plus dans la déraison…
Est-cela un avant goût de la folie ?
Peut-être plus prosaïquement dans l’univers de Vladivostok Circus ?
J’aime…
Mais c’est comme ça que ça se passe, bien sûr !
Quel flair, Loki, tout de même ! C’est bien cela, et j’ai eu l’heur d’être distingué !!!
https://www.inventoire.com/vos-textes-a-partir-de-vladivostok-circus-delisa-shua-dusapin-2-2/
Félicitations Hermano pour cette sélection dans les textes retenus par Aleph lors de leur atelier ouvert.
Voici une vraie nouvelle à chute qui laisse le champ libre à l’interprétation. Je suis peut-être à côté de la plaque, mais il me semble bien qu’on est au Paradis ? Enfin, dans un Au-delà peu paradisiaque, je vous l’accorde ? Version ré-incarnation ?
Est-ce une fable sur notre manque de modestie, notre propension à nous croire remarquables et uniques ? Ils n’ont jamais connu un patronyme tel que le mien? Et le fait est que Google lui-même ne connaît pas ce nom. Et pourtant là-haut (là-bas ?) ils en ont toute une collection…
Si on est au paradis, je vais vite pécher pour aller en enfer, car l’embaument ce n’est pas mon truc. Je n’aimerais pas qu’on m’enlève le cerveau avec un crochet par les trous de nez, qu’on m’éviscère et qu’on m’imprègne de natron !
Il faut rendre justice à Google, il connait : “Jean-Marie Vinjosvitz”.
https://www.google.com/search?q=Jean-Marie+Vinjosvitz.&oq=Jean-Marie+Vinjosvitz.&aqs=chrome.0.69i59.4351j0j7&sourceid=chrome&ie=UTF-8
Merci Line et merci Loki !
Détends-toi, Loki, tu ne souffriras pas !
Non, ce n’est pas du tout le paradis mais quelque chose issu de mon cerveau probablement enfiévré momentanément.
Malgré cela, je suis heureux de vous avoir plu et d’avoir plu au jury de L’inventoire.
Effectivement, mon héros est accessible sur Google, mais seulement depuis que je lui ai donné vie (si l’on peut dire !)
Justement, j‘avais précédemment vérifié que ce nom n’existait pas ! … et pourtant … ils sont déjà au moins 84 là-bas (ou là-haut ?), me dit-on.