En partant, l’autre matin, il avait mis son manteau et la grosse écharpe qu’il avait achetée la veille dans la galerie commerciale
des Rives d’Arcins. Une écharpe rouge.
Il faisait vraiment très froid et c’était encore la nuit. Aucun nuage dans le ciel, aucune lune non plus, seulement des étoiles
qui brillaient comme des pierres précieuses.
Le bus de 7h15 n’arrivait pas et il battait la semelle pour se réchauffer. Dix minutes plus tard, il claquait déjà des dents. Bizarrement, il était tout seul à cet arrêt de bus, en pleine campagne. Est-ce qu’il s’était trompé d’horaire ? Y avait-il
une grève ce matin ? Personne ne passait sur cette route et il continuait à regarder les étoiles en grelottant.
À force de fixer ainsi le ciel, il vit les étoiles se mettre à bouger puis à danser devant ses yeux. Il se mit à rêver…
Les étoiles sont en joie ce matin, pensa-t-il.
Juste à côté de l’arrêt de bus trônait un énorme mimosa. La tête dans les étoiles, et avec l’odeur subtile, du meilleur flacon, que dégageait le mimosa, il était comme énivré et il avait fini par oublier le froid. Il gardait la main droite dans la poche de son manteau, il ne voulait pas la perdre, cette lettre, cette missive porteuse d’une ardente prière :
- Viens, rejoins-moi, je suis là-bas maintenant, au bout de la voie lactée !
Viens, je t’attends !
Il se sentait basculer dans une autre dimension et il finit par comprendre pourquoi le bus n’arrivait pas, pourquoi il n’arriverait jamais.
Sous ses yeux, les étoiles continuaient de briller dans cette voie lactée. Il était sur le bon chemin, il le sentait confusément maintenant. Il pensa furtivement à Cent ans de solitude et à Remedios la belle quand elle monta au ciel comme cela, sans effort, tout en douceur.
Alors, il fit un premier pas et s’éleva au-dessus du sol, puis un deuxième et il sentit qu’il était parti la rejoindre. Elle, l’amour
de sa vie. Il y a une vraie bravoure de la marche lorsqu’on s’attaque ainsi à la voie lactée. Il continuait, il continuait de marcher
et de s’élever ; il se trouvait de plus en plus léger.
Elle le regardait venir vers elle. Elle le regardait s’approcher, chacun de ses pas était lumineux, et ils se rejoignirent enfin pour
une éternelle étreinte.
Atelier d’écriture de Bègles – Janvier 25
Nous sommes tous en partance…
Pourtant il y a des départs plus ou moins poétiques.
Merci d’avoir écrit ces quelques lignes, pleines de douceur et de tendresse !
Elles nous font plaisir, nous misérables humains à une époque où la fin est synonyme d’hôpital.
Tous ces symboles : écharpe rouge, pierre précieuse, voie lactée, odeur des mimosas sont des lumières dans un avenir angoissant.
Nul n’est revenu pour dire ce qu’il y a après, pourtant cette nouvelle est un baume à passer sur l’angoisse prégnante ou cachée qui sommeille en chacun de nous…
Un texte qui s’enracine au départ dans la réalité, le froid, le bus de 7h15 pour finalement nous amener vers les étoiles, vers l’éternité, seul endroit où les absences s’effacent et les amours se renouent.
Je pense à ma mère qui croyait dur comme fer que dans l’au-delà elle retrouverait tous les êtres aimés.
A son mécréant de fils il reste le rêve et l’amitié des poètes…et il ne perd pas au change.
Merci Hermano
Bonjour Hermano,
J’ai lu ta nouvelle avec grand plaisir, comme une belle histoire.
J’aimerais bien terminer ma vie terrestre ainsi ;
par un matin d’hiver très froid, monter vers le ciel rempli d’étoiles,
retrouver l’amour de ma vie qui m’attend là-haut .
C’est une nouvelle très poétique ; j’aime beaucoup les images
( l’écharpe rouge, le grand froid, le bus, le petit matin…)
La montée, j’ai “vraiment” senti comme si je la vivais ( comme dans un ascenseur)
Merci pour cet écrit qui permet l’évasion.
J’aime bien ce glissement d’un réel apparent à un rêve apparent.
Egalement : ” Il y a une vraie bravoure de la marche lorsqu’on s’attaque ainsi à la voie lactée “..
Belle éternité à eux…
Merci pour vos lectures et vos commentaires.
Oui, je m’entraine au “Réalisme magique” ! 🙂
in https://revue.leslibraires.ca/articles/sur-le-livre/le-realisme-magique/ :
En littérature, trois caractéristiques nous permettent d’en constater la présence. D’une part, il faut la présence du monde réel comme trame de fond. Ce monde est celui que nous connaissons tous, perçu par les sens communs et pris en charge par la raison; celui décrit par Balzac, Zola, Hugo et leurs semblables. D’autre part, la présence d’un monde opposé est tout aussi essentielle. Ce monde, au contraire du précédent, n’est régi par aucune règle. Il est le domaine du fantasme, de l’insolite, du rêve, du mysticisme. Pour finir, il faut que ces deux mondes se confondent au sein d’un même récit sans s’opposer. C’est-à-dire que l’étrange doit être présenté sans commentaire, comme s’il était entièrement naturel et partie intégrante de la réalité la plus banale.
https://www.babelio.com/liste/493/Le-realisme-magique