Les noms des protagonistes de cette histoire ont été changés par respect pour leur vie privée. Toute recherche de ressemblance resterait cependant hasardeuse…
Héritier d’une très riche famille, Hubert savait depuis l’enfance comment tenir à une distance respectable tous ceux qui l’approchaient. Il pratiquait ce que son père avait exigé de lui depuis son plus jeune âge : un maintien strict et impassible, ne laissant filtrer aucune émotion en dehors de la colère.
“Tu dois regarder comme si tu avais les yeux au bout du menton“, lui avait régulièrement répété Fred, son père.
Cette pratique avait non seulement conféré à Hubert l’air hautain qu’il arborait toujours mais avait aussi façonné sa personnalité, son moi, à tel point qu’il était maintenant assuré de posséder une parfaite maîtrise de lui-même, ce qui lui conférait une évidente supériorité sur le commun des mortels.
À la fin de son adolescence, un jour où, confit dans ses principes, il tomba amoureux d’une jeune femme, on aurait pu penser qu’Hubert aller changer, baisser la garde, s’attendrir. Il n’en fut rien.
Les élans amoureux se contrôlent cependant difficilement et Hubert se révéla plein d’attentions pour cette beauté (soucieux de paraître, il n’aurait su choisir un laideron !) qu’il aimait sincèrement. Alice, c’était son nom, appréciait cette délicatesse forcée qui frisait parfois une certaine affectation mais elle préférait cent fois une telle attitude à celle d’un soudard qui l’aurait traitée sans ménagements. Elle trouvait cependant qu’Hubert, toujours sous contrôle de son apparence, manquait vraiment de fantaisie dans les jeux amoureux. Bref, elle le trouvait coincé, n’exprimant pas assez ses sentiments, et assez prévisible dans toutes ses réactions. Hubert sentait bien que quelque chose n’allait pas, mais la maîtrise du domaine sentimental ne lui avait jamais été enseignée et on pouvait même dire que cela se trouvait aux antipodes de son éducation rigide, de cette armure forgée depuis si longtemps d’où rien ne devait s’échapper, sauf peut-être une certaine morgue, ou au moins une condescendance vis-à-vis de ses semblables.
Cette histoire tournait mal et Hubert n’avait pas de solution. Demander conseil eut été un aveu de faiblesse et il n’y songeait même pas, formaté qu’il était dans son corset de macho toujours en représentation.
Alors, il se souvint du conseil de sa vieille gouvernante anglaise : “When something goes wrong, just turn your back and go away“. Il décida donc d’appliquer cette maxime qui lui offrait la seule attitude cohérente s’il voulait continuer à rester maître du jeu. Une attitude cependant bien pathétique : il tourna le dos et quitta Aline sans dire un mot, de peur que ce soit elle qui en prenne l’initiative, avant de renoncer pour le reste de ses jours à de telles faiblesses pseudo-sentimentales.
Qu’on lui fasse une remarque désobligeante, et il vous regardait avec son menton comme un prince aurait toisé un manant. Qu’on lui tienne obligeamment la porte, et il vous remerciait d’un battement de cil et d’un léger étirement des lèvres qu’on ne pouvait qualifier de sourire, comme pour vous signifier qu’il condescendait à vous laisser lui rendre ce service.
D’ailleurs, chaque grâce qu’on pouvait lui faire était ponctuée d’un hochement de tête et d’un regard du menton qui lui conféraient une sorte de bouclier personnel et qui inspiraient à ceux qui l’approchaient soit de la crainte, soit une franche hostilité.
Hubert répugnait à demander de l’aide à quiconque : il voulait montrer son auto-suffisance. Dans tous les sens du terme suffisance ! Pourtant nul n’est capable de tout assumer et quand Hubert sollicitait de l’aide, il s’assurait que cela ne serait porté à la connaissance de personne. Quitte à comploter en coulisse et jusqu’à certaines malversations, il voulait apparaître le meilleur en toutes choses et cela constituait à la fois sa force et sa faiblesse. Pour ne pas révéler des incapacités ou des incompétences bien naturelles chez chacun, il était capable d’imaginer des stratagèmes souvent très compliqués qui le mettaient parfois dans des situations intenables dont il ne se sortait que par quelque silence ou quelque nouveau mensonge.
Oui, la vie d’Hubert était parfois compliquée, mais pour rien au monde il n’aurait dérogé à ses principes pour descendre de ce piédestal qu’il s’était lui-même forgé. Il n’était même plus capable d’envisager que la vie aurait été plus douce en acceptant ses faiblesses ou ses petites lâchetés, et il continuait à vous regarder du bout de son menton.
Arrivé à un âge beaucoup plus avancé, Hubert avait tellement de bec qu’on le surnommait régulièrement “The Duck”. Héritier d’une des plus grandes fortunes de son pays, et moyennant des centaines de millions de dollars, il devint un jour contre toute attente le président des Etats-Unis de l’Amérique du nord. Mais lorsqu’il s’agit d’être élu une deuxième fois, il perdit.
Hubert n’avait pas été habitué à perdre, et cette fois-ci il ne pouvait rendre personne d’autre responsable. Aux yeux et à la vue de tous, il avait perdu, et il sentit qu’il avait aussi perdu… la face, ce qu’il ne pouvait supporter. Il entama alors une série de gesticulations : les yeux toujours au bout du menton, il contesta les résultats des élections avec véhémence et contre tout bon sens. Son arrogance et sa fureur, son incapacité à admettre une défaite quelle qu’elle soit le conduisirent même à fomenter une révolte qui toucha les plus hautes instances de son pays au point que l’on songe, au moment où j’écris ces lignes, à sa destitution.
Ne manquez pas, demain, de suivre cette chronique pour connaître la fin de l’histoire et la chute de son protagoniste principal.
@Hermano
Comme dans tes précédents textes je retrouve la vivacité de l’écriture et le déroulement harmonieux de l’intrigue.
Comme toujours tu m’as bluffé sur la nature du personnage.
J’ai bien aimé l’image : “Tu dois regarder comme si tu avais les yeux au bout du menton”
Finalement tu as réussi à me rendre sympathique ton héros, victime de son éducation à la supériorité.
Brusquement cela a été la douche froide en m’apercevant que ton héros est un clone d’un président faisant l’actualité.
Ton « Hubert » prenait une autre dimension, certes un orgueil démesuré, mais aussi une bêtise qui relève de la pathologie.
C’est cette caractéristique que tu as gommée dans le portrait de ton personnage.
En tout cas félicitations d’avoir tiré de la vie de ce sinistre personnage un portrait d’une certaine classe en ne gardant que l’orgueil.
Le Hubert de la réalité est grossier, stupide et nombre de femmes ont dû subir ses outrages.
Le plus grave c’est qu’il a réussi à attirer, tel un aimant, un grand nombre d’Américains en flattant leurs sentiments les plus vils.
Ton Hubert est un enfant de chœur à côté d’un tel président. On frissonne en pensant qu’il pouvait appuyer à tout moment sur le bouton nucléaire…
Merci, Loki, pour ces compliments et pour ton commentaire. J’avais un peu peur que mes phrases paraissent trop longues au lecteur.
Oui, comme pour la paresse, l’idée d’associer mon Hubert à “Duck” ne m’est venue que vers la fin de mon écriture, lorsque je cherchais une conclusion… et c’est pour cela que ce récit reste une totale fiction !
Oui, l’orgueil peut nous conduire à quelques bêtises et quelques incohérences et probablement à un autre péché, celui de la colère.
Je n’ai pas trop de craintes pour le bouton nucléaire, par contre j’ai toujours été inquiet, ici et ailleurs, sur cette facilité qu’ont certains en entraîner les foules dans les ornières de l’histoire. Ces personnages ont toujours mal fini, mais malheureusement après bien trop de ravages.
Je renifle l’orgueil (l’arrogance, la suffisance) à des kilomètres à la ronde, et c’est probablement le péché que j’exècre le plus, avec l’avarice peut-être, sur laquelle il faut que je trouve quelque chose à d’intelligent (mais est-ce possible ?) à écrire.
Bonjour Hermano,
Cette nouvelle m’ a fort touchée.
Au début, je lis le portrait d’un jeune homme coincé; ça m’intéresse; j’ai envie d’en savoir plus.
J’aime beaucoup les conseils de son père et de sa gouvernante anglaise (ce qui est entre guillemets).
A partir du moment où il”arrive à un âge plus avancé”, reconnaissant le monstre que je vois trop souvent à la télé,
le malade qui me rend tellement révoltée, qui apparait dans mes cauchemars, une inquiétude immense
s’empare de moi; mon coeur bat à toute vitesse; je sors prendre l’air pour me ressaisir.
L’émotion est d’autant plus forte que je ne m’attendais pas à le rencontrer (!)
L’animal de la photo est magnifique; j’ai l’impression qu’il me dit:
“prends ça moins au tragique!”
Toutes sortes de questions se pointent :
quelles différences entre l’homme et l’animal ?
comment arrêter les actions des hommes de ce type et empêcher leur influence?
Merci pour cette nouvelle, Hermano!
Merci Nima, d’avoir lu et commenté, et heureux d’avoir déclenché autant d’évocations et de réflexions chez toi.
C’est drôle, mais moi, je voyais la photo comme l’expression d’une grande morgue, d’un grand dédain, qui pouvait figurer l’orgueil. Je vois que tu es plus optimiste que moi ou plus accommodante, plus tolérante.
Quant à ta question sur “comment éviter ça ?”, ce n’est tout de même pas la Saint Barthélémy ou la Nuit des longs couteaux, même si c’est déplorable et même si certains y ont laissé leur vie.
Je ne vois comme solution que la démocratie, toujours imparfaite et toujours à conquérir et à mériter. Elle paraît fonctionner plutôt bien par là-bas, la preuve ! Mes illusions quant à la nature humaine sont cependant assez limitées, mais j’ai tout de même l’impression qu’on progresse doucement en s’éloignant de la barbarie. Mon côté optimiste ! Encore quelques siècles…
Petite précision par rapport à la photo:
Oui, Hermano, je vois bien dans la figure du singe l’orgueil, une fierté sans limites.
La tête de cet animal ressemble très fort à celle d’un homme orgueilleux;
mais, en même temps, cette gueule de singe, je la trouve belle et elle me fait rire….
Elle désamorce chez moi les émotions fortes provoquées par Hubert.
Hubert / The Duck récidive.
Après plusieurs procès non encore terminés, le revoila 47e président des Etats-Unis d’Amérique du Nord !
… et vous savez ce qu’il me dit ?
“Duck you !“
Une idée de cadeau de Noël à ne pas rater et à ne pas mettre entre toutes les mains :
https://www.amazon.fr/Duck-Boutique-Donald-Trump-Canard/dp/B077P8F8JG
En relisant mon commentaire de l’époque, je pense qu’aujourd’hui aucune ligne n’est à changer.
Seule la gradation de la bêtise du personnage a progressé de plusieurs crans et celle de ceux qui ont voté pour lui fait exploser le cadran !