La journée allait être chaude, alors ils avaient décidé de profiter de la fraicheur du matin et s’étaient installés sur la terrasse pour ce premier petit-déjeuner ensemble. Sous la tonnelle couverte de jasmin, où filtraient déjà les premiers chauds rayons du soleil… ils rêvassaient.
Ils avaient, la veille, pris connaissance de l’endroit où ils avaient choisi d’aller en voyage de noces. Des moments prometteurs leur avaient été vendus par leur agence de tourisme : mer, soleil, chaleur, cocotiers…et ils n’étaient pas déçus. La mer était là devant eux, une légère brise écartait la chaleur montante quand brusquement…
un grondement. On était le 26 décembre 2024 et, exactement vingt ans plus tôt, ici même à Phuket, le mot tsunami avait remplacé et rendue à jamais désuète l’expression “raz-de-marée”.
Ils n’étaient pas superstitieux, mais un peu tout de même. Sonia avait choisi l’endroit selon le vieux prétexte des poilus de 14 qui s’abritaient dans les trous d’obus au motif peu scientifique qu’un obus ne tombe jamais au même endroit. Et maintenant ce grondement qui n’en finissait pas la faisait trembler. Après dix-sept heures d’avion et une nuit d’amour, elle se sentait néanmoins en pleine forme et avec un appétit d’ogresse. Julien, quant à lui, restait encore dans la torpeur de la nuit et semblait sourd à ce bruit qui inquiétait la jeune mariée.
Marie-Amélie, la mère de Julien, dont l’activité favorite était de jouer les cartomanciennes de quartier, avait pourtant bien essayé de les dissuader en les suppliant de rester en eau douce, mais ni la Baie de Somme ni la Venise verte ne leur avaient paru une destination assez chic pour ce voyage de noces. Pfff ! Pourquoi pas l’Entre-deux-mers !? Bref, Sonia et Julien, surtout pour épater leurs copains, avaient opté pour couler quelques jours heureux et qu’ils prédisaient inoubliables du côté de la Thaïlande et de ses fameux massages.
Le grondement devenait de plus en plus présent, un vent violent faisait rage, c’est alors que Sonia et Julien, qui était sorti de sa torpeur, virent déferler une vague immense, tant en hauteur qu’en largeur. En quelques secondes la vague envahit la plage, les habitations riveraines, et s’engouffra dans les terres en entraînant tout sur son passage.
Julien se retrouva sur un arbre mais Sonia semblait disparue …
Ayant appris la terrible nouvelle, Marie-Amélie composa aussitôt un philtre et se lança dans les incantations magiques. Chacun sait que les couples de perroquets sont inséparables au point que – dit-on – lorsque l’un d’eux meurt, l’autre est capable de se suicider ; et elle aussi savait cela.
Alors, sur son arbre et enfin complètement éveillé, Julien se sentit pousser deux petites ailes et observa tout son corps se couvrir de plumes colorées et chatoyantes. Posé sur cette branche, il était devenu perroquet.
Il ne resta pas longtemps seul : après quelques instants, d’un coup d’aile une compagne vint le rejoindre sur ce perchoir. C’était Sonia, la gorge toute parée de plumes d’un rose tendre. Leurs becs s’approchèrent, caressèrent le cou l’un de l’autre, et tout doucement se frottèrent. Ils s’étaient reconnus et unis de nouveau jusqu’à la mort, dans cette jungle thaïlandaise.
Écrit avec Yvonne – Atelier d’écriture de Natacha Sels
Il n’y pas de doute les grands esprits se rencontrent (rire).
Je n’y croyais pas ! Sur le même thème j’avais écrit en 2004 une nouvelle dont le titre était “Les psittacidés”. J’aurais bientôt l’occasion de la publier sur le site pour que les lecteurs puissent comparer deux façons de traiter le même sujet.
La façon d’Hermano relève du conte, on verra que ma nouvelle est plus réaliste.
Mais je ne suis pas ennemi des contes, ils parlent à tout le monde !
Ce thème est d’actualité ! voir ou revoir “La grande librairie” émission dans laquelle Henri Gougaud explicite magnifiquement ce qu’est un conte.
La grande librairie
S13 : Henri Gougaud, Sophie Nauleau et Souleyman Diamanka
Merci, Loki, d’avoir lu et commenté, et merci de me traiter de grand esprit, ce que je ne mérite nullement. Toi, peut-être ? (rires !)
Bonjour Hermano,
J’ai lu cette courte nouvelle avec plaisir.
J’y trouve des caractères du conte, la magie notamment ; ça me plait.
J’y vois, entre les lignes, des critiques du capitalisme extrême de notre société.
La mère cartomancienne me fait sourire; la montée des ésotérismes m’inquiète.
J’ai côtoyé une voisine qui cultivait de grands champignons noirs sur une armoire pour lui apporter
la” réussite” de sa vie, une autre qui lisait les cartes du Tarot, et un astrologue amateur qui étudiait
les cartes du ciel pour prédire l’avenir …
Après de longues années, je reste très prudente par rapport à ces méthodes.
C’est intéressant d’avoir construit votre nouvelle à deux; on ne remarque pas beaucoup les différences.
J’aime bien l’écriture simple, qui donne des images colorées et très vivantes .
Merci Hermano.
Merci, Loki, d’avoir lu et commenté, et merci de me traiter de grand esprit, ce que je ne mérite nullement. Toi, peut-être ? (rires !)
Moi sûrement ! Tu n’en doutais pas n’est-ce pas ?
@Nima : merci d’avoir lu et apprécié.
Oui, c’est intéressant d’écrire à plusieurs et nous le faisons souvent dans les ateliers d’écriture car cela rajoute la contrainte de s’adapter à des situations et des styles qui ne sont pas les nôtres et cela nous pousse hors de nos sentiers battus. On peut quelquefois y trouver quelques pépites.
D’ailleurs, souviens-toi, nous avons pratiqué cela sur le site d’Oasis il y a quelque temps (3 opus !!!) :