Assis sur un banc, le menton appuyé sur le pommeau de sa canne, le vieil homme observe, de l’aube côté de la grille, les enfants jouer dans la cour de l’école.
Deux petits élèves viennent timidement d’échanger une bise. Il imagine leurs prénoms, Jordan ? Déborah ? Il y a longtemps que les enfants ne se prénomment plus Pierre ou Marie-Hélène. Les amours enfantines en ont-elles changé pour autant ?
C’est la dernière récréation avant les vacances et les enfants circulent en ribambelle. Pierre précède Marie-Hélène, il sent sa petite main chaudement insérée dans la sienne. Leurs tabliers d’écolier se balancent au rythme de leurs pas et leurs voix se mêlent dans une entraînante comptine. Pierre est heureux.
Pierre voudrait que la ribambelle ne s’arrête jamais. Au départ il s’est débrouillé pour être à côté de Marie-Hélène, leurs mains se sont naturellement rencontrées et ils se sont souri.
A la fin de la récré, la ribambelle défaite, ils se tiennent encore par la main, le retour en classe les sépare cependant. Mais à présent il sait écrire et il connaît déjà les jolis mots qu’il va lui dédier.
Des mots qui ont traversé le temps.
La comptine résonne dans la tête du vieil homme et il se laisse envelopper par la douce brume de ce bonheur lointain. Une vie est passée.
Quelques notes dans un haut parleur le tirent de sa rêverie et il voit les deux enfants, chacun rejoignant son corps de bâtiment, prendre des directions différentes.
Pierre se lève, son visage se plisse légèrement et on ne sait si c’est un sourire. En s’appuyant sur sa canne il s’éloigne lentement.
Je sens encore l’air vibrer dans la cour de récréation… et les érables dans cette cour, aux samares hélicoptères qui nous amusaient tant après les parties d’osselets à même le sol, et les hannetons qu’on capturait dans des boîtes d’allumettes. Quand il y avait encore des hannetons et des érables dans les cours d’école.
Oui… les amours enfantines qu’on n’oublie pas et qu’on a gardées au fond du pot des baumes de l’enfance, à ressortir de temps en temps comme une madeleine (!) de Proust.
Merci Chamans pour ces vibrations !
Merci Chamans pour cette ribambelle !
Je ne sais pas l’âge que tu as, mais moi j’ai été tout de suite transporté dans la cour d’enfance de mon enfance.
Comme Hermano j’ai connu les osselets qu’on lançait en l’air. J’ai connu aussi les pliages que l’on accrochait sur les doigts et que l’on manipulait après avoir demandé un nombre au copain. Le résultat n’était pas vraiment une surprise. Et ces billes en verre multicolore que l’on propulsait par une pichenette, précieuses agates, sublime calot que l’on gagnait parfois.
Les courses d’escargots que l’on organisait quand le temps avait été humide.
Et mon tablier noir que ma mère lavait et repassait soigneusement.
Il n’y avait pas de hannetons et de samares hélicoptères dans ma cour, mais des marronniers, dont nous faisions des projectiles en cachette du maitre ou de la maitresse.
Oh mon maitre de CM2, dont j’étais amoureux de la fille. Je la guettais à travers les barreaux de la grille qui séparait les cours des garçons et des filles.
Le sifflet du directeur retentit ! La récréation est finie…
Nous nous immobilisions sur place. Gare à celui qui bougeait alors !
Deuxième coup, nous rejoignions alors notre place attitrée devant le bâtiment, pour rentrer en classe.
Merci Chamans d’avoir fait rejaillir par ta nouvelle ces merveilleux souvenirs.
Je n’ai qu’un regret : de ne pas l’avoir écrite moi-même…
“ Mais à présent il sait écrire et il connaît déjà les jolis mots qu’il va lui dédier.
Des mots qui ont traversé le temps.”
La magie a fait son oeuvre, merci pour tes mots Chamans, pour le charme de ce sortilège, cette ribambelle échappée au temps.
Quelles jolies images des danses et des amours enfantines, Chamans!
C’est si important dans l’évolution de l’être humain!
La construction de ta nouvelle permet de sentir le temps qui est passé, presqu’une vie ; je la trouve très habile (j’ai des difficultés en écriture avec le temps – passé, présent -)
Merci, Chamans.
C’est la structure de ce texte qui me fascine le plus. Dans cette nouvelle très courte, tu as réussi à décrire un très “long instant” de rêverie. Et tu l’as fait astucieusement.
Pour moi, il s’agit d’un retour en arrière sans véritable début ni fin bien définis, comme les sont tous ces moments suspendus. Ils peuvent nous submerger avec ou sans déclencheurs clairs.
Bon travail Chamans.
J’attends avec impatience d’autres de tes écrits dans ce style.
Merci à toutes et tous. Ah ! les cours de récréations, les billes, les pliages, les osselets … J’ajouterais volontiers les petites autos “Dinky Toys” dont on dessinait les routes dans le sable. Jeux de garçons sans doute.
Je suis content de savoir que mon petit texte vous a fait voyager un peu dans les souvenirs de votre enfance.
Oh oui ! Les “Dinky Toys” , quel bonheur…
Beaucoup de douceur et d’humanité dans cette nouvelle où le passé et le passé s’imbriquent avec une grande fluidité. De l’autre côté de la grille, bientôt de l’autre côté de la vie, Pierre observe cette scène de “déjà-vu”, sans doute partagé entre l’attendrissement et la nostalgie (son visage se plisse légèrement et on ne sait si c’est un sourire). Tout est dit: la magie de l’enfance, l’amour sincère, la vie qui va… Merci Chamans.