Il était une fois une petite fille qu’on appelait le petit chaperon rouge. Un jour sa maman lui dit : Va voir comment se porte ta grand-mère et porte lui a ppui et réconfort en ces temps de conspicion.

  • Mais maman, lui répondit la gamine écarquillant les yeux, je ne crois pas que le mot conspicion soit dans le dictionnaire ! 
  • Ah parce que toi tu le connais par coeur peut-être ! Sache ma petite fille, dit la maman d’un ton agacé, que ce mot désigne un mal qui nous menace et que s’il n’est pas encore dans le dictionnaire il y sera bientôt.
  • Et qu’est ce que la conspicion ?
  • La conspicion est la contagion de la suspicion et ron et ron petit patapon chantonna la maman. Comme ça tu t’en rappelleras.

Le petit chaperon rouge prit son minuscule sac à main et sortit avec ses premières chaussures à talons hauts arrachées de haute lutte à ses parents réticents comme cadeau de Noël. Il faut dire qu’elle faisait déjà beaucoup plus que son âge, à l’école on l’avait même surnommée « Red Lolita ». Comme elle aimait beaucoup sa grand-mère et qu’elles entretenaient toutes deux une affectueuse complicité, elle s’en alla toute contente. A cloche-pied sur le trottoir elle faisait tournoyer son sac à main au bout de son bras et se dirigeait vers la station de métro la plus proche, c’était la station « Sentier ».

Comme souvent la rame était bondée, elle resta donc debout, s’agrippant à une barre métallique verticale parmi de nombreux autres passagers au regard vague et horizontal. Elle remarqua tout de suite sept gnomes, aussi hideux les uns que les autres qui faisaient cercle autour d’elle. Sa réaction fut prompte et de son bras libre elle distribua sans hésiter quelques gifles bien ajustées à ceux qu’elle avait, dans sa pensée, déjà surnommés les sept mains. Red Lolita, encore bien jeune mais plutôt précoce et pas naïve du tout savait réagir, c’est à mère-grand qu’elle devait cette assurance. « Attention ma petite fille il n’y a pas de prince charmant, apprends à te défendre et s’il le faut vise entre les jambes ! ». Elle n’eut pas à en venir là car les petits bonshommes la main sur la joue protestaient de leur innocence et, assurant mal leur équilibre sous les secousses du wagon, allèrent s’agglutiner autour une autre barre verticale. Un homme d’âge mur s’approchant d’elle lui dit alors : « Ma chère mademoiselle vous semblez avoir des ennuis, beaucoup d’hommes d’aujourd’hui ne savent pas se tenir, puis-je vous être utile ? Où allez-vous ? »

Le chaperon rouge restait sur ses gardes mais il ne pouvait deviner les longues canines qui dépassaient sur les lèvres de ce monsieur si aimable, car c’était un temps étrange où tout le monde portait un masque dans les transports en commun. Quand même un peu échaudée par cette fâcheuse expérience elle décida de lui répondre, se disant qu’il serait bien temps de se débarrasser également de celui-ci le moment venu.

  • Je me rends chez ma grand-mère.
  • Ah ! Et où habite-t-elle ?
  • Près de la station « Chemin vert ».
  • Mon dieu quelle étrange coïncidence c’est exactement ma destination !

Après leur changement à République, seules deux places face à face étaient libres, voici donc le petit chaperon rouge assis près de cet individu dont elle ignorait toujours les dents aiguisées. Comme elle se montrait peu loquace son accompagnateur sortit un journal d’une poche profonde de son long pardessus gris. C’était le journal ‘L’épique » et il se plongea dans la lecture d’un article qui semblait faire l’éloge du dribble magique d’un grand joueur de football.

  • Chemin vert nous y sommes, me permettrez-vous de vous accompagner jusque vers votre chère grand-mère ?
  •  

La réponse fut un silence et un mouvement de tête.

Mère-grand habitait rue des tourterelles et la jeune fille n’avait pas refusé la proposition du monsieur en gris avec suffisamment de netteté. Elle composa discrètement un numéro sur le digicode, « Qui c’est ? » dit une voix féminine qu’on imaginait mal être celle d’une grand-mère, le chaperon s’identifia,  » Ah ! Mon petit Chap quelle joie ! Actionne la poignée et la porte s’ouvrira ». Elle s’engouffra donc dans l’immeuble suivi de son collant de compagnon dont elle n’arrivait pas à se défaire. La grand-mère étreignit affectueusement sa petite fille lorsqu’elle vit se profiler derrière elle la longue silhouette au manteau gris.

  • Monsieur ?
  • Ce monsieur a eu la gentillesse de m’accompagner dit le chaperon un peu gêné.
  • Comme c’est gentil lui dit la grand-mère en lui adressant un sourire invitant, mais entrez donc !

On but sans s’attarder une tasse de thé et mère-grand se montra si engageante que le monsieur décida d’abandonner la proie la plus jeune, qu’il avait traquée jusqu’ici, pour la plus facile et somme toute presqu’aussi alléchante. Alors qu’elle indiquait déjà la direction de sa chambre au visiteur elle passa à voix basse le message suivant dans l’oreille de sa petite fille : « Chap ne juge pas ta grand-mère, c’est toi qui l’a ferré, à ton corps défendant j’espère, comme il a l’air consentant permet moi un petit moment de bonheur, ils ne sont plus si fréquents ! Maintenant regarde bien cette poêle à frire, si je t’appelle tu viens et tu l’assommes avec de toutes tes forces ! ». C’est ce qui se produisit quand le petit chaperon rouge, ayant pris ce qui n’était qu’un gémissement de plaisir pour un cri d’alerte, fit irruption dans la chambre. Fermant les yeux pour ne pas trop en voir elle asséna un grand coup de poêle sur la nuque de celui qui, quelques instants auparavant, faisait mine d’être absorbé par un article sportif et jetait furtivement sur elle des regards concupiscents. Mais le coup fit tomber le masque et elles découvrirent horrifiées la vrai nature de cet être immonde.  » Merci ma petite fille ! Certes tu es intervenue un peu tôt mais Dieu sait ce que ce monstre aurait tenté de faire de moi, tu m’as sauvée ». Puis après un temps de silence : 

  • Je crois que tu y est allée un peu fort et que tu viens de nous débarrasser définitivement de ce dangereux prédateur, finalement pris à son propre piège, je suis fière de toi !
  • Si j’ai tapé si fort c’était pour mieux te défendre mère-grand.
  • Bon c’est pas le tout mais qu’est-ce qu’on en fait maintenant d’Ysangrin là !
  • Ben…
  • Ah ! J’ai une idée, passe moi mon téléphone portable, nous avons un groupe Whatsapp avec quelques copines qui seront ravis de l’évènement et me donneront un coup de main.
  • En tout cas nous pouvons dire l’une et l’autre que nous ne sommes pas touchées par la conspicion.
  • La quoi ?
  • La conspicion, comment tu ne sais pas ce qu’est la conspicion ? Voyons c’est la contagion de la suspicion ! Et nous n’avons rien soupçonné de ce monstre !
  • La suspicion est mauvaise conseillère ma petite fille, il suffit juste de savoir agir comme il faut lorsque c’est nécessaire et c’est ce que tu as fait. 

Et le petit chaperon rouge s’en revint vers sa maman, fièrement, après avoir promis à mère-grand de revenir bientôt et l’avoir remerciée de cette petite leçon de vie : Confiance en soi et détermination désamorcent rumeurs et suspicions.