Jean-Marc vient de s’allonger sur son transat au bord de sa piscine, son corps est encore perlé de gouttes d’eau, le soleil est haut, la chaleur est déjà forte alors que le mois de juin n’est pas encore entamé. Caché dans un arbre tout proche un rossignol persiste dans ses trilles et ses roucoulades et c’est à peine si l’on perçoit au loin les rumeurs de la ville.

Jean-Marc a pris de la lecture mais pour le moment, les yeux clos, il se laisse entraîner par ses pensées. Il s’est toujours efforcé d’être un bon citoyen et l’évolution du monde le préoccupe même si elle n’a aucune influence directe sur sa confortable vie. Jean-Marc sait qu’il est chanceux, il n’est pas très riche mais il n’a pas à compter pour vivre, quand il fait le marché le prix des denrées n’est pas un problème pour lui mais il sait qu’il n’en va de même pour tout le monde. Il garde les yeux ouverts sur les injustices auxquelles il a échappé. Avec quel mérite ? Pratiquement aucun, tout lui a été apporté sur un plateau, une enfance heureuse, des parents aimants, des études menées à leur terme sans difficultés majeures, une profession qui ne l’a certes pas enrichi mais qui lui a permis de s’épanouir et de vivre dignement. Sa vie sentimentale, chaotique dans ses premiers essais, fut ensuite illuminée par une magnifique histoire d’amour avec Alexandra, qui taille la haie sous son chapeau de paille à quelques pas de lui et qui ne tardera pas à le rejoindre. Leur fils semble lui aussi avoir plutôt bien réussi sa vie, il les appelle une fois par semaine et viens les voir assez souvent. Jean-Marc a conscience de tout cela, il est juste né au bon endroit et se sait privilégié. S’il se rapporte à la population de la planète il est dans les cinq pour cent peut-être même moins des humains qui ont la plus belle vie.

Chanceux.

Il est sorti de sa torpeur par le ding-dong assourdi de la sonnette qui vient de retentir dans la maison. Il se lève rapidement s’enveloppe de sa serviette de bain enfile ses claquettes et se dirige rapidement vers l’intérieur de la villa par une porte latérale. Le ding-dong se répète plusieurs fois avant qu’il n’atteigne la porte d’entrée. “On se calme” pense-t-il tout en se demandant qui peut sonner avec une telle insistance. Il ouvre et découvre planté devant lui, un homme essoufflé, chichement vêtu, à la peau brune. “Monsieur je vous en supplie laissez-moi entrez chez vous, je suis poursuivi par la police, s’il me prennent il vont me renvoyer dans mon pays où l’on va me tuer. Cela fait bientôt huit ans que je vis en France, j’ai une famille, j’ai du travail, je suis un honnête homme. Laissez moi entrer, dès qu’il seront repartis sans me trouver je vous promets que je quitterai votre maison”

Jean-Marc est interloqué, il reste immobile et muet sur le pas de sa porte. Puis il finit pas ouvrir la bouche : “Attendez moi là je reviens immédiatement”; Il reparaît quelques instants plus tard avec deux billets de cinquante euros à la main, “Tenez j’espère que cela vous sera utile” et il referme la porte sans avoir le temps d’apercevoir les reflets bleus d’un gyrophare sur le mur du voisin.

Il retourne au bord de sa piscine faisant mine de ne pas entendre les cris et les claquements de portière pourtant facilement perceptibles depuis l’entrée de sa maison.

“Qu’est-que c’était ?” demande Alexandra. “Rien, un démarcheur” et Jean-Marc se ré-installe sur son transat en tentant de se persuader qu’en bon citoyen il se doit d’obéir aux lois de son pays, même celles qu’il désapprouve.