Sans cet homme, inconnu, de la plupart de nos contemporains, il m’aurait été impossible de raconter cette histoire et vous de la lire.

 

Cette nuit, du dimanche 25, au lundi 26 septembre 1983, est pour Stanislav Petrof est banale , mais aussi importante que les autres.

 

Stanislav Petrof est un officier de la Voyska PVO, la force de défense antiaérienne de l’Armée soviétique.

C’est un soldat qui connaît bien son métier et le système qu’il est chargé de gérer. La situation mondiale est explosive. Il s’agit d’être plus vigilant que jamais.

 

Dans sa datcha, il a fêté le 9 septembre, son anniversaire. Il vient d’avoir 44 ans.

 

Malgré la tension mondiale, il a la sensation que cette nuit sera une nuit comme les autres. Et pourtant…

 

 

 

Durant toute la guerre froide, le rôle la Voyska PVO est de protéger l’espace aérien soviétique d’une éventuelle agression ennemie.

Les forces de défense antiaérienne de l’Armée soviétique sont particulièrement efficaces

 

Elles ont détruit plus d’une quarantaine d’avions et hélicoptères étrangers.

Bien sûr il y eut parfois des bavures. On ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs !

 Par exemple.

Le 1er septembre 1983, le Boeing 747 effectuant le vol Korean Air Lines 007 reliant New York à Séoul via Anchorage dévie de sa route prévue et entre dans un espace aérien soviétique interdit. Il est abattu par un avion de chasse Soukhoï Su-15 de la défense aérienne soviétique à proximité de l’île Moneron, à l’ouest de l’île de Sakhaline en Russie. Aucun survivant n’est retrouvé parmi les 269 passagers et membres d’équipage, au nombre desquels figure le représentant américain Larry McDonald. L’Union soviétique nie d’abord avoir connaissance de l’incident, mais admet plus tard avoir abattu le Boeing coréen, affirmant que l’avion était en mission d’espionnage.

Louri Andropov est au pouvoir en Union soviétique depuis le 16 juin 1983 et c’est un dur qui s’est illustré dans la répression sanglante de l’insurrection de Budapest. La situation est particulièrement tendue entre l’Occident et l’Union soviétique depuis que le 23 mars 1983, le président américain Ronald Reagan stupéfiait les États-Unis et le monde en annonçant en pleine Guerre froide vouloir étendre à la stratosphère la rivalité nucléaire avec l’Union soviétique, une initiative surnommée depuis la « guerre des étoiles ».

Le but de cette stratégie au nom hollywoodien : développer des armes qui détruiraient tout missile nucléaire tiré en direction du territoire américain, avant même qu’il ne puisse s’en approcher.

 

 

Aussi, une confrontation entre les deux grandes puissances plane sur le monde.

 

Stanislav Petrof a cette idée en tête, quand il s’installe devant le pupitre de contrôle du système défense. Dans la nuit les grandes oreilles sont tournées vers l’ouest enregistrant le moindre mouvement au-delà de l’Atlantique.

 

À minuit quinze, heure de Moscou, le système informatique d’alerte antimissile indique un, puis quatre nouveaux tirs de missiles balistiques intercontinentaux en provenance de la Malmstrom Air Force Base, aux États-Unis. Ces tirs ont été détectés par le satellite d’alerte précoce Cosmos.

Stanislav Petrov ne dispose que de quelques instants pour analyser la situation.

La procédure dans cette circonstance est simple et impérative. L’officier doit avertir dans les plus brefs délais sa hiérarchie. Alors se déclenche un processus inéluctable que rien ne peut arrêter, des centaines de missiles s’envolent en direction du territoire de l’agresseur.

La riposte soviétique entraînera un conflit nucléaire ouvert.

Aller savoir ce qui traversa l’esprit du lieutenant Stanislav Petrov : les images de sa femme et de sa famille, le désastre, que sa décision allait entraîner ? C’est un militaire aguerri, et, comme dans toutes les armées du monde, la discipline est de ne pas penser : penser, c’est déjà désobéir.

Quoi qu’il en soit, il pensa !

 Il examina plus attentivement les images transmises par le système informatique d’alerte antimissile.

Devant le faible nombre de missiles détectés, il désobéit à la procédure et indique à ses supérieurs qu’il s’agit selon lui d’une fausse alerte. Son avis est suivi et permet ainsi d’éviter une riposte soviétique qui aurait pu être le point de commencement d’un conflit nucléaire ouvert.

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Par la suite, un diagnostic des systèmes soviétiques mit en cause le logiciel embarqué par les satellites, qui fit une interprétation erronée de la réflexion des rayons du soleil sur les nuages, confondue avec le dégagement d’énergie au décollage de missiles.

Les enquêteurs qui analysèrent la fausse alerte cherchèrent à faire de Stanislav Petrov un bouc émissaire du dysfonctionnement du système ; comme toujours il faut un responsable. Heureusement il fut mis hors cause.

Selon un ancien analyste à la CIA, cette alerte est survenue dans un contexte extrêmement tendu dans les relations entre les États-Unis et l’Union soviétique, car Andropov était alors obsédé par la crainte d’une attaque-surprise déclenchée par l’Occident, ayant en outre mis sur pied l’opération d’espionnage RYAN une opération mise en place par le KGB visant à réunir des informations sur les intentions supposées de l’administration Reagan de lancer une attaque nucléaire contre l’URSS.

Pour des raisons de secrets militaire et politique, l’incident ne fut rendu public qu’en 1998.

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L’humanité lui doit beaucoup, pourtant ce héros anonyme ne repose pas sous un mausolée comme tous ces bouchers qui ont tué des millions d’hommes dans l’histoire, mais dans un modeste cimetière de la banlieue de Moscou. Une petite tombe que rien ne distingue des autres.

Stanislav Petrov était un homme bien …