Il est quelque pays où poser son bagage.
Le village de l’Enfer se mérite, promontoires herbeux se disputent aux escarpements.
Villas vanille mêlées aux cases créoles d’un bleu outrancier, tout n’est que « luxe,calme et volupté. »
Soulevé par des porteurs, le manchy balançait sur les courbes sinueuses de la marche.
La belle créole agrippait ses doigts aux accoudoirs rotinés , retenant ses jupons d’un bout de fessier, défendant sa virginité de la pointe acérée de son ombrelle.
Le chemin la menait jusqu’aux thermes où elle allait prendre les eaux dans une odeur soufrée.
Ensuite, elle descendait au village, à la villa des cimes se désaltérer d’une citronnade.
Oh, le temps passé…
Désormais, la case est hantée.
Une ombre servile se dessine sur les dalles,le fantôme de la bonne, long tablier de cotonnade.
Venue faire les poussières, elle tend l’oreille en essuyant le pied de la colonne table ronde.
Depuis longtemps, sa jeune maîtresse n’est plus là pour jouer au jacquet ou pour tirer les tarots de Marseille à ses amis, convoquant les esprits : ange gardien, grand-mère adorée, bon dieu malabar ou trisaieul malagasy.
Envolée, la cohorte de soupirants, émus, juste le temps d’un bal. Dehors, subsiste le squelette du boucan où les marmites de fonte tendent leurs culs noircis aux braises de l’enfer.
Dorénavant,sous la galerie,seul règne en maître mon chat Beauté.Il s’amuse d’une mouche l’argent toute piquetée de noir, sur brillant aux reflets changeants.
De ses yeux ourlés de khôl, Beauté me fixe sérieusement, d’un regard de propriétaire.Le chat bat la mesure, fouette l’air de sa queue feutrée.D’une patte de velours il touche ma joue, d’un air qui semble dire : » Prend garde ! »
En tapinois, il pousse le coléoptère sur les lames du plancher. Puis dans un baillement matois, il feint l’indifférence.
Qu’importe, Beauté tuera tout à l’heure, pour l’instant il accueille les revenants.
Au cimetière, sous les hortensias, repose un de mes lointains ancêtres, exilé, lui aussi.