Je partais, simplement, je partais, assoiffée d’absolu, d’ailleurs, d’autre chose.
Emmitouflée d’une simple cape, je prenais les chemins de traverse, la campagne, pour moi, n’avait plus de secrets, je connaissais le moindre raccourci, la moindre barrière, je franchissais les halliers, humant la senteur des iris sauvages à l’ombre des piquets. Je pataugeais dans la boue, de mes godillots à la pointe ferrée, aux étangs glissant, je foulais aux pieds les joncs, brisais les osiers.
J’escaladais les échelles et me glissais aux tréfonds des buissons, m’écorchant à quelques ronces rebelles.
Le ciel au dessus de moi, était noir, gris ou bleuté, qu’importe, il me fallait m’en aller.
J’évitais le village, et plutôt, m’attardais à la moindre masure écroulée, tâtant du soulier, la cendre encore chaude à la cheminée délaissée, qu’un chasseur pressé venait d’abandonner.
J’errais, non sans but, à la recherche du beau, sans doute bien caché…
Une rose trémière, rencontrée au marais, toute auréolée de poussière et qui dressait sa hampe fière m’était un trophée.
Je glissais un regard aux delà des murets de pierre pour sentir encore une fois le parfum capiteux, envoûtant, de cette rose ancienne, aux pétales chiffonnés que ma grand-mère avait planté, avant…
J’enjambais les rivières, les passages à gué et saluait les grands saules, sentinelles aux longs bras balanciers. Je sautais les canaux, au risque de tomber, m’accrochant à quelque herbe mouillée.
Je montais aux collines, pour rien, pour une vue, loin des fermes voisines, pour une dérobée…
Je découvrais les vallons, les bruyères, les ajoncs, « tout m’était idéal » et je cueillais des fleurs à foison.
Je caressais le lichen aux chênes et guignait alentours les couronnes de gui, aux globules de cristal.
Je cueillais selon la saison, la mure sanglante, extirpait à la bogue, la farineuse châtaigne, goûtait la noisette, l’aber not. Je faisais razzia de cormes et de sorbes, dénichait le cèpe, je secouais le cerisier sauvage et gaulais le poirier oublié…
Tout m’était prétexte, loin de la civilisation, à aimer, cette nature provende, qui plus que de nourrir, m’emplissait l’âme de rêves futurs.
Au vent, je me la jouais, hurle vents, et l’été j’arpentais les sentiers, tous poudrés.
J’avais dix-sept ans et le soir m’éloignais aux accents du rock, du jazz et de musiques planantes qui me venaient calmer, de savantes mélopées au contraire me faisaient vibrer.
Je puisais aux mares jouxtant, quelque argile, verte, fouillait la vase y plongeant le poignet. Je guettais au fossé , mais en vain, le kaolin tant prisé. Je gravais à l’encre noire la silhouette « aux semelles de vent », et quelque dragon, par moi inventé.
Car moi aussi, j’avais « des tilleuls sur la promenade » et j’ai mêle mes mains à d’autres mains, nous faisant naître sensations au moindre centimètre de peau caressé.
Le ciel était empli d’étoiles, lorsque au pré, je l’ai laissé sommeiller, ne le voulant réveiller, le clown me semblait rêver d’un amour, par moi impossible car j’étais au seuil de l’errance…
Nos vies se sont juste croisées, réunissant deux enfants, aux destins différents, pour un instant, pour un instant, que je n’ai pas oublié…
Un des meilleurs textes de toi que j’ai lu jusqu’à maintenant !
Je suis parti, non point emmitouflée d’une simple cape comme l’héroïne, mais de la candeur de l’enfance que j’ai gardée, malgré le poids des années.
J’ai retrouvé dans le texte des souvenirs épars, nichés au fin fond de ma mémoire : la masure écroulée, appelée la cabane des Prussiens dans la forêt de Farmoutiers où j’allais cueillir le muguet au printemps, les passages à gué dans cette même forêt où les ruisseaux charrient une eau jaunâtre alimentant des mares sombres où coassent les grenouilles lorsqu’il fait chaud et humide, le soir. Nos jeunes cerveaux dans le silence de la forêt imaginaient des cadavres immergés dans cette eau glauque.
Dans ces sous-bois point de farineuse châtaigne, mais des glands où nous plantions des allumettes pour en faire des animaux.
J’ai encore le souvenir dans la peau de mes bras et de mes jambes des morsures des ronces qui nous barraient le passage. Et des brûlures des orties si belles dans les clairières.
Nous nous orientions grâce aux mousses des chênes.
Les mûres étaient un festin de rois. Car oui nous étions les rois, d’un royaume où les adultes étaient exclus.
Aujourd’hui je n’ai plus que le souvenir de ce royaume disparu : je suis devenu un adulte…
Je ne peut m’empêcher de rapprocher ce texte de celui de Victor Hugo : Je partais, je franchissais, J’errais…
Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
Victor Hugo, extrait du recueil «Les Contemplations» (1856)
Magique.
Cette quête du Graal me rappelle la fée Viviane ou la Dame du lac, celle qui hante les marais et marche sur l’eau, et aussi les univers oniriques du Grand Meaulnes,
Que de mots encore découverts en te lisant.
Tu as le génie de tous ces mots rares qu’on ne connaît plus : halliers, aber not, cormes, sorbes, provende.
Une avalanche de mots versés dans des phrases d’une infinie souplesse qui nous prennent comme des lianes dans cet univers humide et végétal.
Bravo ! J’ai adoré cette lecture.
Merci Loki, je suis heureuse que tout ceci ait ravivé en toi des souvenirs d’enfance.
Merci Hermano, je suis fière que mes mots aient emporté ton agrément.
Bonjour Tanagra,
J’aime beaucoup ce texte. Il me rappelle mes escapades dans les bois, dans les prés…..
Tu m’emmènes dans cette belle nature grâce à des phrases miraculeuses ; tous mes sens s’éveillent.
L’être humain a tellement besoin de ce contact avec les arbres, les fleurs, les champignons…
Merci Tanagra.
Merci Nima de ton gentil commentaire, heureuse de t’avoir procuré des “sensations”
Tanagra, ce texte est splendide ! Par la magie de tes mots il nous replonge avec poésie et force dans la mélancolie des promenades adolescentes.
Je retiens cette phrase :
J’évitais le village, et plutôt, m’attardais à la moindre masure écroulée, tâtant du soulier, la cendre encore chaude à la cheminée délaissée, qu’un chasseur pressé venait d’abandonner.
Quelle puissance d’évocation en si peu de mots ! Il m’aurait fallu de longues lignes pour l’image de la masure isolée, de la vieille cheminée ressuscitée, de la rencontre ratée (sans regret sans doute), du chasseur appelé ailleurs par la traque du gibier, de la jeune fille se faisant détective, “Tiens la braise n’est pas éteinte, un chasseur sans doute…”
Et à te lire je mesure la pauvreté de mon vocabulaire, merci pour ces mots merveilleux (j’avoue que j’ai dû aller en découvrir le sens).
Bravo !
Merci chaleureusement Chamans, merci pour ce commentaire, à te lire bientôt dans un de tes merveilleux textes.