Rosita attendait derrière le comptoir de sa boulangerie. La vente n’avait pas été bonne et les gâteaux s’entassaient dans la vitrine. La porte du magasin sonna, livrant passage à une cliente, accompagnée de ses enfants.

Rosita s’ennuyait à mourir derrière son comptoir, pas un seul client depuis le début de l’après-midi, il faisait chaud et les gâteaux en rangs serrés commençaient à transpirer.

Fatiguée par la chaleur conjuguée du four et d’une après-midi d’été, la boulangère s’éventait en attendant désespérément les clients. Par cette température d’enfer personne ne sortait. Les gâteaux commençaient à se liquéfier sous l’effet de la canicule, formant par endroits des flaques de sucre glace coloré. Déjà les grilles commençaient à s’engluer de crème au beurre et de glaçages décomposés.

Épuisée par la chaleur et la fatigue, la boulangère ne sentait plus ses jambes. Elle avait beau s’éventer, elle s’étouffait. Elle était seule dans sa boutique avec ses monceaux de gâteaux invendus. La pile de tartes, de millefeuilles, d’éclairs glacés de couleur fluo lui parut soudain monstrueuse, grouillante même. En effet, il lui sembla que cette masse bougeait. Elle comprit vite la raison du mystère lorsqu’elle vit d’énormes cafards surgir toutes antennes dehors. Elle poussa un cri affolé, s’apprêtant à les écraser lorsqu’elle fut interrompue par une cliente qui arrivait précédée d’une nuée d’enfants sales et bruyants qui envahirent le peu d’espace de la boutique.

Anéantie par la canicule, au bord de l’évanouissement, Rosita s’agrippa au comptoir de sa boulangerie. Elle vit des tâches brillantes passer devant ses yeux. Elle s’efforça d’accrocher son regard à un point fixe et se concentra sur les grilles qui portaient ses gâteaux. Elle vit bientôt celles-ci onduler comme des serpents malfaisants se faufilant entre des gâteaux animés et grouillants de bestioles. Elle eut l’impression que la masse de pâtisseries grossissait, montant de façon monstrueuse, débordant de la vitrine pour couler sournoisement vers elle et l’engluer. Terrorisée, elle poussa un long râle d’effroi. A ce moment, la sonnerie de la porte retentit comme un gong salvateur : enfin, un client !

Mais les yeux de Rosita sortirent de leurs orbites lorsqu’elle se rendit compte qu’il s’agissait de Madame Barbebleue et de ses sept enfants. 

Par un soir de canicule on retrouva le corps de Rosita, la boulangère de la rue Victor Hugo. Une bien étrange affaire qui allait faire couler beaucoup d’encre. La pauvre femme gisait dans une mare de sucre gluant. Elle semblait avoir été piétinée par une multitude de petits pieds et on pouvait voir dans ses yeux grand ouverts toute l’horreur et l’incompréhension du monde.