Le vieux dépliait ses mains comme un accordéon malade ; des mains froides,
à la peau si fine qu’on y voyait battre le sang. Une peau comme de la soie sauvage,
froissée, dont les rides ne s’effaceraient jamais.
Il sentait l’empreinte de la mort, comme une boule blanche dans son cœur.
Pourtant, il devait terminer sa besogne, une dernière besogne.
Non, ce n’était pas Hollywood Boulevard,
mais cette idée lui était venue devant le ciment encore frais
qui recouvrait le parvis de sa prochaine demeure, en haut d’une colline du Gers,
entre tous ceux qu’il avait connus depuis son enfance. Oui, il lui fallait faire ce geste pour l’éternité.
Alors, il s’agenouilla, à l’ombre du grand érable qu’il avait lui-même planté depuis si longtemps,
et il enfonça ses deux mains bien ouvertes dans la matière grise et molle qui recouvrait la tombe.
Il les retira, puis tomba allongé dans l’allée sur le côté.
Mort.
Merci pour ce texte poignant, dont la conclusion tranchante évoque le geste sec et sans appel de la Grande Faucheuse. J’aime beaucoup les images fortes de début de texte : l’accordéon malade qui illustre bien des vieilles mains ralenties par la fatigue et la maladie, la soie sauvage et froissée d’une peau autrefois resplendissante mais abîmée par la vie.
Quelle belle idée de laisser sa trace ainsi ! Cela me fait penser aux multiples empreintes de mains que l’on trouve dans beaucoup de grottes préhistoriques, émouvantes traces anonymes qui nous relient à nos ancêtres d’il y a plusieurs dizaines de milliers d’années, preuves d’humanité, maillons d’une chaîne qui relie le très lointain passé au présent.
Merci Hermano, pour ce texte plein de sensibilité qui nous rappelle l’importance des mains d’une façon presque humoristique et inattendue.
Les mains plus que le visage sont les marqueurs de notre âge ce que tu exprimes magnifiquement par la phrase : des mains froides,
à la peau si fine qu’on y voyait battre le sang. Une peau comme de la soie sauvage,
froissée, dont les rides ne s’effaceraient jamais.
Et cet âge qui s’écoule inexorablement l’homme essaie de tout temps de le fossiliser en plongeant ses mains dans de la peinture ou dans de la glaise.
J’ai les souvenirs de mes petits-enfants par la trace de leurs mains dans de l’argile cuite ou sur un magnifique torchon regroupant les mains de tous les élèves d’une classe d’école maternelle.
À propos de mains je ne peux m’empêcher de penser à ma mère qui a été active toute sa vie et qui est morte à 100 ans. Nous en rions encore quand à 92 ans regardant ses mains elle s’est exclamée : ce n’est pas déjà des taches de vieillesse !
Les mains que tu décris si justement comme le reflet de nos âges, constamment sous nos yeux et qui comptent nos années plus sûrement que tous les miroirs. Les mains qui écrivent et soulignent nos paroles, les mains créatrices qui font et qui défont, les mains messagères d’amour.
Les mains du vieil homme qui ne peuvent retenir la vie mais qui la signent pour toujours dans le ciment de sa tombe.
Superbe image ! Encore une très belle réussite Hermano !
Hermano, j’ai senti un frisson me parcourir l’échine comme ces deux mains imprimaient le bétond’une empreinte indélébile, combien certaines vies impressionnent.
Merci pour vos commentaires sensibles (voire sensuels !)
et heureux que les mains, cet impitoyable marqueur de l’âge,
aient évoqué en vous autant de choses différentes.