De mes mains coule un silence vert, que rien ne trouble, du silence, du silence, du silence. Un silence lourd comme le soir qui vient, un silence silencieux comme le sablier où glisse le sable et qui laisse ma tête vide, ma tête qui ne comprend plus ce fil de l’eau immobile.
Immobiles mes pensées et immobile ma main, immobiles comme ce silence impressionnant, comme ce silence séculaire et vert dans lequel je me laisse immerger.
Une brise calme caresse les feuilles qui m’invitent en chatoyant doucement au soleil. Un instant, le souffle devient plus fort, un instant mes mains s’agitent dans un rêve de peau, puis redeviennent sages car rien ne peut, rien ne doit bouger dans le silence vert. La barque de mon rêve glisse entre les cardamines et les saules. Les hérons cendrés se taisent, retenant leurs ailes, les insectes sont posés.
Je n’ose pas respirer, mes yeux sont fixes ; l’éternité me touche et me prend.
Un nouveau coup de rame, très lent, un pas léger sur l’herbe fraîche, elle passe.
Je me demande si mon cœur bat encore, si mon cœur va se remettre à battre. Pourquoi ne pas s’arrêter pour toujours, dans ce moment parfait, pourquoi revenir aux paroles, aux gestes, aux regards ?
Et la stase continue dans le silence vert où le temps ne coule plus. Le temps est figé, il attend ; les arbres attendent, la nature attend. Autour de moi tout m’observe ; je suis l’acteur désemparé qui ne connaît pas son rôle, je n’ose plus bouger, même-plus-dire-un-seul-mot, peur de rompre le charme. Je suis la Belle au bois dormant qui vogue et s’abandonne dans cet onirisme vert.
Et tout attend, tout attend sans impatience, dans une si parfaite immobilité. Je n’ose pas poser ma main, ou bouger mon bras, je n’ose même pas tourner le regard ; peur de troubler cette harmonie bienheureuse, peur de briser à jamais le silence vert.
Rien, il ne se passe rien… Étrange et rare moment où seul le rêve est possible et, avec le rêve et le silence, tous les fantasmes de douceur aboutie, une éternité de douceur et de calme. Je pense : “Oui… Prendre le bonheur avant qu’il ne se pose… ” Je le sais, il faut le prendre et je le prends. Je veux rester pour toujours suspendu dans cette cotonneuse quiétude verte.
Alors, je continue de me taire. Je sais que je dois me taire, fermer les yeux, et puis attendre un nouveau rire, une parole. Une attente d’elle, une attente délicieuse que je prolonge en rêvant encore et encore, en rêvant que je rêve.
Je m’y croyais ! N’est-ce pas le meilleur commentaire à faire à ce texte remarquable qui transporte le lecteur dans ce silence vert.
Silence vert de plus en plus rare qui risque d’être le privilège des plus riches d’entre nous. Pour les autres il restera le bruit sous toutes ses formes, les miasmes des atmosphères polluées.
Merci de cette minute de silence…
Hermano, à te lire ” je n’ose respirer, mes yeux sont fixes. L’éternité me touche et me prend .”
Un silence vert immobile me saisit, m’envahit.
” Perdre le bonheur de peur qu’il ne se sauve”
Hermano , tu es source d’inspiration, tu es mon fanal au milieu de cette clairière.
Merci à vous deux de ces commentaires élogieux.
Tanagra, tu me fais rougir sous cet encensoir, mais j’accepte volontiers ! Rires !
Comme tu captes bien cet intense arrêt sur image. Les sons et les mouvements s’arrêtent, les hérons, les insectes, le sablier sont à l’unisson de ce coeur qui a cessé de battre de peur de faire fuir le bonheur.
L’image se fige pour mieux capturer cet instant d’éternité sous les voûtes d’une cathédrale verte. Mais ici point de divinité, c’est une femme qu’on adore.
Ce magnifique poème m’évoque le tableau romantique du peintre britannique John Everett Millais (1851) où la princesse Ophélie vogue en contemplant la verdure, quelque part entre le sommeil et la mort.
Chers Hermano et Tanagra, un commentaire commun pour vos magnifiques textes. J’ai un peu la tête ailleurs en ce moment et me suis éloigné de vous tous.
L’éternité… Que de questions ! Restons en à l’approche poétique. L’éternité a ceci de paradoxal qu’on n’a le sentiment de l’effleurer qu’en de très courts instants. Ce que vous avez si bien su rendre en décrivant si merveilleusement cette extraction fugace, et pourtant si pleine, de la frénésie que nous propose une société où tout semble s’accélérer. “En une nébuleuse dorée la poussière danse aux naseaux veloutés du baudet”. Le voilà l’instant d’éternité puisqu’on ne peut lui voler que cela, quelques instants où ” Tout attend, tout attend sans impatience, dans une si parfaite immobilité”.
Pauvres humains que nous sommes, et si éphémères !
Un grand merci à vous deux, admiratif !
Je vais publier les paroles d’une chanson où il aussi question de temps suspendu et d’éternité. Ce n’est qu’une chanson, pas un poème.